Panneau des chevaux. Caverne du Pont d’Arc, réplique de la Grotte Chauvet, France.
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Panneau des chevaux. Caverne du Pont d’Arc, réplique de la Grotte Chauvet, France. © Patrick Aventurier-Caverne du Pont d’Arc
N° 121 - Automne 2016

Les trésors 2.0

Comment notre patrimoine culturel, victime des guerres et en proie à des destructions idéologiques de plus en plus fréquentes, peut-il être préservé ? Des innovations technologiques peuvent apporter une solution. Celles-ci peuvent aussi faire renaître les trésors disparus du passé en reconstituant par exemple les temples de Palmyre avec une imprimante 3D, ou encore nous permettre de visiter un musée virtuel. Ce qui était hier une utopie pourrait bientôt devenir une réalité.

Gardienne des témoins du passé, des vieilles pierres de l’humanité, de l’histoire culturelle des peuples. Oui. Mais l’UNESCO a-t-elle réellement les moyens de son action sur le terrain ? Doit-elle aujourd’hui se réinventer au regard de l’actualité ou laisser le passage de l’histoire agir comme une fatalité ? Car il semble que l’inscription de sites sur la liste du patrimoine mondial en péril – créée pour protéger les sites menacés par les guerres ou les catastrophes naturelles – ne suffise plus.

Le point de vue de l’archéologie

Hatra, Khorsabad, Ninive, Damas, Mossoul, Nimrud, Palmyre… L’exemple des grands sites archéologiques du Moyen-Orient en est la preuve. Leur histoire récente reste intimement liée aux conflits qui secouent la région et des légendes millénaires s’effacent sans que la communauté internationale ne puisse agir à temps. Depuis la guerre du Golfe, les sites irakiens sont régulièrement pillés et endommagés, entraînant la dispersion ou la perte d’un peu plus d’informations archéologiques chaque jour. Les accalmies précaires, qui ont permis aux experts de l’UNESCO de se rendre sur le terrain pour effectuer des restaurations, n’existent presque plus dans cette région du monde.

Caverne du Pont d’Arc en France. Réplique de la Grotte Chauvet, où se trouve le panneau des lions.
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© Patrick Aventurier-Caverne du Pont d’Arc
Caverne du Pont d’Arc en France. Réplique de la Grotte Chauvet, où se trouve le panneau des lions.

Marc-André Haldimann, chercheur associé à l’Université de Berne et expert à l’UNESCO pour la Syrie, en est conscient. S’il a raccroché sa truelle pour se consacrer à l’organisation d’expositions au Musée d’art et d’histoire de Genève et à des publications scientifiques, c’est qu’il est pour le moment trop dangereux d’aller fouiller en Syrie. Alors que faire ? Ici et là, des voix s’élèvent pour prôner des reconstitutions de monuments détruits : « Au sujet des destructions des grands temples de Palmyre, la reconstruction en préfabriqué à l’emplacement d’origine n’est pas une solution du point de vue de l’archéologue, car on va d’abord voir du ‹ faux vieux › mais, surtout, il faudra creuser, ce qui entraînera la disparition des fondations du bâtiment d’origine et la perte des couches archéologiques antérieures encore exploitables », explique-t-il. Cette solution, bien que séduisante, apparaît donc d’un intérêt plus touristique que scientifique : « Cela permet au public de découvrir et de voir mais ne peut remplacer l’authenticité. » A contrario, il est d’avis que la reconstitution à l’identique d’une réplique à côté de l’original, pour préserver ce dernier, comme ce qui a été fait à Lascaux et récemment à la Grotte Chauvet, est « une solution excellente car l’original est préservé ». De même, l’idée « de présenter certains sites en réalité augmentée, dont un des meilleurs exemples est l’abbaye de Cluny en France, est une bonne solution », dit-il en insistant sur le fait que les archéologues peuvent continuer leur travail sur le terrain. C’est ici que les nouvelles technologies ont leur rôle à jouer, au service de la connaissance pour améliorer les relevés archéologiques. Drones et scanners numériques se promènent désormais au-dessus des vieilles pierres tandis que l’imagerie satellite traque au jour le jour les pilleurs. Car aujourd’hui, c’est l’urgence qui conditionne l’archéologie et la protection du patrimoine dans les zones de conflit. Quand le patrimoine devient malgré lui une arme de guerre.

Caverne du Pont d’Arc, réplique de la Grotte Chauvet, France. Rhinocéros sortant de la paroi.
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© Patrick Aventurier-Caverne du Pont d’Arc
Caverne du Pont d’Arc, réplique de la Grotte Chauvet, France. Rhinocéros sortant de la paroi.
Caverne du Pont d’Arc, réplique de la Grotte Chauvet, France. Rhinocéros sortant de la paroi.
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© Patrick Aventurier-Caverne du Pont d’Arc

Sauvetage numérique et refuges culturels

Yves Ubelmann, fondateur en 2013 de la start-up française Iconem, l’a bien compris. De Pompéi au site de Mes Aynak en Afghanistan, munie d’un drone ultraperformant, son équipe cible des territoires archéologiques menacés de disparition pour évaluer leur état de dégradation et en faire un « sauvetage numérique » : « Nous allons sur le terrain, même en zone de conflit. L’urgence nous pousse à le faire. L’idée est de se servir des nouvelles technologies comme vecteurs de diffusion pour redonner une accessibilité à ce patrimoine », explique-t-il, en parlant de la reconstruction photo-grammétrique permettant de numériser, conserver et archiver des sites archéologiques en 3D. En utilisant le maximum de documentations exploitables (photographies, relevés archéologiques, dessins anciens,…), Iconem reconstitue l’évolution d’un monument, depuis son origine jusqu’à ses restaurations les plus récentes, comme sur le temple de Bêl à Palmyre, juste avant sa destruction (en août 2015), et actuellement sur la mosquée des Omeyyades à Damas. Comme Iconem, plusieurs entreprises récentes se sont mises à développer un savoir-faire innovant pour faire renaître le patrimoine et garder sa mémoire. Une prise de conscience née en partie suite aux conflits de la zone du Moyen-Orient.

Caverne du Pont d’Arc, réplique de la Grotte Chauvet. Enveloppe architecturale vue de l’extérieur.
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© Fabre Speller Architectes Atelier 3A / Patrick Aventurier
Caverne du Pont d’Arc, réplique de la Grotte Chauvet. Enveloppe architecturale vue de l’extérieur.

Un « nettoyage culturel »

Car en Syrie et en Irak, il ne s’agit plus seulement d’une guerre qui tue les hommes et saccage les œuvres d’art, il s’agit d’un nettoyage culturel systématique, d’une annihilation de toutes traces des civilisations passées perpétrée par les bras armés de l’Etat islamique qui torture sauvagement en même temps qu’il détruit les vestiges archéologiques à l’aide de bulldozers. Le patrimoine, au fil des siècles, a souvent été un outil de propagande mais aujourd’hui l’horreur des destructions a dépassé tout ce que la communauté internationale pouvait imaginer, au-delà des controverses sur les reconstructions douteuses de l’ancienne cité de Babylone (sous l’égide de Saddam Hussein qui rêvait de s’identifier à son ancêtre mythique Nabuchodonosor II), au-delà même des reproches que l’on a toujours envie de faire aux anciennes puissances coloniales, principaux fouilleurs des sites du croissant mésopotamien au XXe siècle, Allemagne, France et Angleterre, rapporteurs en cols blancs chanceux de trésors que le touriste est aujourd’hui plutôt soulagé de voir trôner dans les galeries du Louvre, du Pergamon ou du British Museum. Ironie de l’histoire, une des mesures qui vient d’être mise en place est celle de créer des « refuges » pour les objets culturels de pays tiers en danger. La Suisse en est à l’origine avec une loi permettant la mise à disposition sur son territoire de ces « refuges culturels ». D’autres pays se sont engagés à faire de même comme la France qui a voté un amendement en ce sens en septembre 2015. Cette initiative rejoint la nécessité de créer une méthodologie post-conflit et post-cataclysme pour la protection du patrimoine. Urgence oblige, l’UNESCO a ainsi décidé l’envoi de « Casques bleus culturels » sur des sites menacés et la création de « zones culturelles protégées » autour de ces sites.

Numérisation au scanner laser 3D par CyArk. CyArk s’applique à numériser des monuments avant leur éventuelle disparition ou destruction pour cause de catastrophe ou de guerre.
Numérisation au scanner laser 3D par CyArk. CyArk s’applique à numériser des monuments avant leur éventuelle disparition ou destruction pour cause de catastrophe ou de guerre. © CyArk’s archive
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Numérisation au scanner laser 3D par CyArk. CyArk s’applique à numériser des monuments avant leur éventuelle disparition ou destruction pour cause de catastrophe ou de guerre.
© CyArk’s archive
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Numérisation au scanner laser 3D par CyArk. CyArk s’applique à numériser des monuments avant leur éventuelle disparition ou destruction pour cause de catastrophe ou de guerre.
© CyArk’s archive
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Evidemment, ces mesures ne suffiront pas à arrêter la folie destructrice volontaire. Mais force est de constater que ces décisions sont intervenues pour la plupart en 2015, au moment de la destruction à l’explosif de Palmyre, en particulier les temples de Bêl et Baalshamin et le grand arc de triomphe à l’entrée de la colonnade. Un choc dont la violence a été accrue par l’assassinat de l’ancien directeur des Antiquités de Palmyre, Khaled al-Asaad. « Palmyre a opéré comme un déclencheur », confirme Youmna Tabet de l’UNESCO (Unité Etats arabes). « Les nouvelles technologies sont la question d’actualité. Elles vont aider à donner une nouvelle vie aux sites au-delà de leurs destructions », déclare-t-elle.

Préserver le patrimoine

L’UNESCO a été approchée par de nombreux acteurs porteurs de projets de numérisation 3D de sites et d’objets du patrimoine en Syrie, en Irak ou ailleurs. Certaines initiatives proposent même de reconstruire physiquement des répliques des sites détruits, à partir de modèles 3D. Ces initiatives sont en quantité probablement inédite au regard de l’archéologie, comme si la guerre en Irak et en Syrie avait galvanisé les ingénieurs et les archéologues, devenus les nouveaux Monuments Men de l’ère technologique.

Les ruines de Palmyre par Louis-François Cassas (1756-1827), plume, encre de Chine et aquarelle. Cette aquarelle, datée de 1821, qui représente Palmyre est suggestive de l’imaginaire que véhiculaient, déjà au XIXe siècle, les ruines de la « perle du désert ».
Les ruines de Palmyre par Louis-François Cassas (1756-1827), plume, encre de Chine et aquarelle. Cette aquarelle, datée de 1821, qui représente Palmyre est suggestive de l’imaginaire que véhiculaient, déjà au XIXe siècle, les ruines de la « perle du désert ». © Musée des Beaux-Arts de Tours, France
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Reconstitution de l’arc de triomphe de Palmyre (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO). Daté de janvier 2016 et effectué par New Palmyra, ce projet participatif a été lancé en octobre 2015 sur Internet et se base sur les croquis et photographies réalisés par un opposant au régime syrien.
Reconstitution de l’arc de triomphe de Palmyre (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO). Daté de janvier 2016 et effectué par New Palmyra, ce projet participatif a été lancé en octobre 2015 sur Internet et se base sur les croquis et photographies réalisés par un opposant au régime syrien. © New Palmyra Project
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L’arc de triomphe de Palmyre (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO). © AFP
L’arc de triomphe de Palmyre (classé au patrimoine mondial de l’UNESCO). © AFP
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Parmi les initiatives les plus ambitieuses, l’UNESCO collabore avec l’Institut d’Archéologie Digitale (IDA) pour la distribution de caméras 3D à des membres de la société civile volontaires pour photographier des objets et des sites menacés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et permettre une évaluation des dommages de certains sites. Fort d’un financement annoncé de 3,1 millions de dollars, l’IDA espère numériser (avec plus de 20 millions d’images sous plusieurs angles d’ici à 2017) l’ensemble du patrimoine de ces deux zones géographiques. Fol espoir ou ambition démesurée, Roger Michel, directeur de l’IDA – qui rêve notamment de remonter l’arc de Palmyre à Times Square ou à Londres –, souhaite faire résistance à l’iconoclasme de Daesh : « En consignant l’enregistrement de notre passé dans le monde numérique, il reste à tout jamais hors de portée des vandales et des terroristes », a-t-il déclaré au Times. Il s’agit de constituer un immense archivage numérique accessible à tous, appelé « Million Image Database ». Ce sera aussi un moyen de référencement qui permettra de lutter contre le trafic illicite des œuvres d’art.

Dans le même esprit, l’UNESCO a annoncé sa collaboration étroite avec l’organisation CyArk, spécialisée dans la modélisation 3D du patrimoine culturel, et plus particulièrement dans le projet Anqa pour la formation de professionnels syriens à l’utilisation de technologies de modélisation 3D dans le cadre de la sauvegarde d’urgence du patrimoine syrien. A l’origine de CyArk, l’Américain Ben Kacyra, ingénieur dans le bâtiment, qui fut profondément choqué par la destruction des grands bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan par les talibans. Lui vient alors l’idée de créer CyArk en 2003 pour numériser les monuments emblématiques du patrimoine mondial. Un des derniers en date est le Lincoln Memorial de Washington. Le monument est scanné au laser avec une précision à 2 mm pour être ensuite reproduit virtuellement en 3D. Plus de 12 milliards de points ont pu être numérisés sans que le bâti soit touché. Plus de 190 monuments ont déjà été numérisés, dont les données précieuses sont conservées en Pennsylvanie dans une mine à 120 mètres de profondeur ! Cette méthode innovante de préservation de la mémoire patrimoniale a déjà permis de retrouver, voire peut-être un jour de reconstituer, le site de Kasubi en Ouganda, qui a été détruit par un incendie un an après le passage digital de CyArk.

Relief provenant du site de l’ancienne cité fortifiée d’Hatra en Irak. Ce relief était conservé au musée de Mossoul et a été détruit en février 2015 lors du saccage du musée par les islamistes. Il est ici reconstitué virtuellement grâce à la technique de la photogrammétrie utilisée par les volontaires du Projet Mossoul consacré à la numérisation du patrimoine culturel irakien.
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© Projectmosul.org
Relief provenant du site de l’ancienne cité fortifiée d’Hatra en Irak. Ce relief était conservé au musée de Mossoul et a été détruit en février 2015 lors du saccage du musée par les islamistes. Il est ici reconstitué virtuellement grâce à la technique de la photogrammétrie utilisée par les volontaires du Projet Mossoul consacré à la numérisation du patrimoine culturel irakien.

Vers l’impression 3D et la mémoire numérique

L’ensemble des exemples cités jette un nouvel éclairage sur les méthodes de protection du patrimoine. La restauration des objets notamment est un domaine qui connaît beaucoup de progrès grâce aux scanners permettant par exemple de numériser et de retrouver, sans intervention, sur un objet méconnaissable, sa forme originelle : « C’est plus rapide que la radiographie », explique Régis Bertholon de la Haute Ecole Arc de conservation-restauration de Neuchâtel. « Il y a aussi es recherches en cours sur la manière de concilier les techniques d’imagerie et d’analyse pour pouvoir par exemple obtenir une vue d’ensemble d’un objet avec tous les éléments chimiques et les pigments qu’il intègre.

« Il y a également un intérêt pour les techniques 3D dans le domaine du comblement des lacunes d’une sculpture. L’imagerie 3D permet de calculer la forme d’un fragment manquant et de le replacer virtuellement, voire même de l’imprimer en 3D, et des recherches sont en cours sur le vieillissement des résines utilisées en impression 3D », précise-t-il, en indiquant que l’école de Neuchâtel possède un Fab-Lab avec une vingtaine d’imprimantes 3D, et que le travail récent d’un étudiant de Master a permis de reproduire la poignée manquante d’un poignard retrouvé sur le site de Kerma au Soudan puis d’en montrer un moulage lors d’une exposition au Laténium de Neuchâtel.

Reconstitution. Tablette provenant de l’ancienne cité fortifiée d’Hatra reconstituée virtuellement grâce au projet Mossoul lancé par deux chercheurs européens, Matthew Vincent et Chance Coughenour.
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© Projectmosul.org
Reconstitution. Tablette provenant de l’ancienne cité fortifiée d’Hatra reconstituée virtuellement grâce au projet Mossoul lancé par deux chercheurs européens, Matthew Vincent et Chance Coughenour.

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