N° 140 - Printemps 2023

De Lodz à New York

L’Américaine Elizabeth Diller, d’origine juive polonaise, est avec son mari Ricardo Scofidio et leurs par tenaires, à la tête d’une des agences d’architecture les plus en vue des États-Unis – Diller Scofidio + Renfro. Elle évoque l’histoire de sa famille ainsi que cinq projets récents et en cours.

Portrait d'Elizabeth Diller.
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(Geordie Wood)
Portrait d'Elizabeth Diller.

Entre novembre 2021 et mai 2022, le Jewish Museum de New York présentait Le lièvre aux yeux d’ambre. Basée sur le livre d’Edmund de Waal paru en 2010, qui raconte l’histoire de la famille de collectionneurs Ephrussi, l’exposition retraçait l’émergence de cette dernière du milieu du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale avec la saisie de la fortune et des œuvres d’art par les nazis. Des toiles de Fragonard, Monet, Berthe Morisot, Gustave Moreau et Renoir étaient accrochées en regard de photos et d’objets ayant appartenu aux Ephrussi, comme ces 168  netsukes japonais, dont le désormais célèbre Lièvre aux yeux d’ambre. « Cette histoire est, à bien des égards, liée à la mienne », explique l’architecte Elizabeth Diller née en 1954 à Lodz, en Pologne, d’une mère juive polonaise et d’un père tchèque, qui est la curatrice de cette exposition. « Je n’ai jamais connu mes grands-parents après l’holocauste, il ne restait que deux survivants de part et d’autre de ma famille… Quelques photos d’avant la guerre sont tout ce qui me reste d’elle », expliquait-elle dans un article du New York Times.

En 1959, ses parents quittaient le pays dévoré par l’antisémitisme pour s’installer aux États-Unis. « Ma première langue a été le polonais. Je l’ai parlé avec ma mère le reste de sa vie. Je me sens culturellement européenne et juive. C’est à cette histoire culturelle que je me suis identifiée lorsque j’ai lu le livre d’Edmund de Waal. Nous avons commencé à parler de cette exposition il y a dix ans. Claudia Gould, la directrice du Jewish Museum, nous a mis en contact avec l’auteur qui était enchanté par le projet. Nous avons utilisé les matériaux disponibles d’une manière spécifique au site. Nous l’avons organisée comme une expérience liée au musée, qui est un bâtiment ayant également été occupé par une famille juive, celle de Felix Warburg. »

Vue de l’exposition Le lièvre aux yeux d’ambre.
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(Iwan Baan)
Vue de l’exposition Le lièvre aux yeux d’ambre, organisée en 2021 au Jewish Museum de New York avec le concours d’Elizabeth Diller.

Diplômée de l’école d’architecture Cooper Union à New York en 1979 et professeur d’architecture à l’Université de Princeton, Elizabeth Diller a cofondé Diller Scofidio avec son mari Ricardo Scofidio en 1978. Par la variété des projets sur lesquels elle travaille et grâce à l’assurance et au professionnalisme dont elle fait preuve, Liz Diller est l’une des figures les plus significatives de l’architecture américaine contemporaine ainsi que l’une des femmes architectes les plus influentes du monde. Son esprit ouvert et sa capacité de trouver des solutions novatrices pour l’architecture font d’elle une personnalité à part.

Son agence Diller Scofidio + Renfro a la particularité d’accepter volontiers des commandes pour des espaces publics – actuellement à Madrid et à Milan, mais aussi pour des spectacles à New York et ailleurs. Les projets de l’agence comprennent l’Institut d’art contemporain de Boston (2006) ; le réaménagement du Lincoln Center à New York (2010), notamment l’agrandissement de l’école de musique Juilliard (2009), la rénovation du Alice Tully Hall (2009), les espaces publics de tout le campus, et le pavillon Hypar (2011). Citons encore le centre d’art contemporain Broad dans le centre-ville de Los Angeles (Californie, 2015), le Berkeley Art Museum et la Pacific Film Archive (Californie, 2016), ainsi que le parc Zaryadye à Moscou (2017).

THE SHED, NEW YORK, ÉTATS-UNIS, 2019

Intégré à l’extrémité nord de la High Line, The Shed est un bâtiment inhabituel, un centre transformable de 18’000  mètres carrés « consacré à la commande, à la production et à la présentation de tous les types d’arts de la scène, d’arts visuels et de culture populaire ».

La coque extérieure télescopique du Shed peut, selon la conception, être déployée au-dessus d’un bâtiment de base sur des rails vers la place adjacente, créant 1600 mètres carrés d’espace dans un hall où la lumière, le son et la température sont contrôlés. « Nous avons répondu à une demande de la ville concernant l’utilisation culturelle d’une parcelle dans ce développement commercial. Cette situation est inhabituelle à Manhattan. Malheureusement, avec seulement 1950 mètres carrés, le terrain était trop petit pour une institution culturelle contemporaine, mais avec une coque extensible la propriété adjacente pouvait être couverte à 50% du temps. Pendant de nombreuses années, nous n’avions pas de clients, et c’était un projet théorique qui a commencé avec l’idée du bâtiment. Nous avons pu presque tripler la taille de l’emplacement initial de The Shed en imaginant la coquille extensible et en reprenant les étages inférieurs de l’immeuble en copropriété voisin (15, Hudson Yards) sur lequel nous avons également travaillé. »

THE SHED, NEW YORK, ÉTATS-UNIS, 2019
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(Iwan Baan)
THE SHED, NEW YORK, ÉTATS-UNIS, 2019

RENAZCA, MADRID, ESPAGNE, 2024

Ce projet implique la régénération d’un quartier commercial des années 60 en un espace public urbain de 5,6 hectares. Il est situé à la limite nord du centre-ville de Madrid, dans la zone financière AZCA. « Il s’agit d’une très grande zone, mais l’aménagement et l’espace public existant sont assez sinistres. Notre projet concerne précisément l’espace public. L’idée est de créer un parc en plein milieu, une sorte d’oasis verte conçue avec les architectes paysagistes Gustafson Porter + Bowman. Il existe 15  espaces résiduels entre les bâtiments qui n’ont jamais été vraiment conçus, mais nous les transformons en destinations, comme des salles extérieures reliées par des chemins. »

RENAZCA, MADRID, ESPAGNE, 2024
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(Courtesy of Diller Scofidio + Renfro)
RENAZCA, MADRID, ESPAGNE, 2024
RENAZCA, MADRID, ESPAGNE, 2024
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(Courtesy of Diller Scofidio + Renfro)
RENAZCA, MADRID, ESPAGNE, 2024

MILE LONG OPERA, NEW YORK, ÉTATS-UNIS, 2018

La High Line est un parc long de 2,3  kilomètres créé en 2009 sur les anciennes lignes de train surélevées de la New York Central Railroad. Diller Scofidio + Renfro a participé à sa création. Elizabeth Diller est à l’origine de l’idée de l’utiliser du 3 au 8 octobre 2018 pour le Mile Long Opera avec le compositeur David Lang. « Le parc était une scène à l’échelle urbaine pour une performance immersive dans laquelle le public était mobile, les interprètes répartis dans l’espace, tandis que la ville agissait à la fois comme protagoniste et toile de fond pour une expérience collective célébrant notre diversité. Le Mile Long Opera est de mon initiative. Lorsque nous avons créé la High Line, nous ne pensions pas qu’elle s’embourgeoiserait si vite. Nous voulions organiser une performance et réfléchir à l’évolution rapide des villes. J’ai mis en place la stratégie et la structure – 1000 chanteurs étaient répartis sur toute la longueur de la High Line, et le public déambulait entre eux. J’ai constitué l’équipe créative, j’étais le metteur en scène et le producteur, j’ai également réuni les fonds. »

MILE LONG OPERA, NEW YORK, ÉTATS-UNIS, 2018
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(Iwan Baan)
MILE LONG OPERA, NEW YORK, ÉTATS-UNIS, 2018

EXTENSION DU MOMA, NEW YORK, ÉTATS-UNIS, 2019

Le Musée d’art moderne de New York, MoMA, est considéré comme « iconique » à bien des égards. Il a ouvert pour la première fois à son emplacement actuel, sur la 53e rue, en 1939, conçu par les architectes Goodwin-Stone. Depuis lors, il a été successivement agrandi par Philip Johnson (1964), Cesar Pelli (1984), Yoshio Taniguchi (2004) et, plus récemment, par Diller Scofidio + Renfro (2016-19). Le MoMA occupe désormais la partie inférieure de la tour 53W53 voisine de Jean Nouvel (également 2019).

L’entrée du musée du MoMA.
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(Brett Beyer, Courtesy of Diller Scofidio + Renfro)
L’entrée du musée du MoMA.

Liz Diller était au cœur de la conception qui ajoute 9500 mètres carrés d’espace à l’un des plus grands musées du monde, dans un contexte de chevauchement des ajouts architecturaux successifs. « Au début du projet, nous avions le sentiment que le MoMA avait une histoire architecturale longue et complexe. Une partie du nouveau site était récemment occupée par l’American Folk Art Museum, conçu par Williams & Tsien (2001), mais ce bâtiment a été démoli et l’expansion s’est poursuivie vers le nouveau bâtiment de Jean Nouvel. Nous avons critiqué le fait que le MoMA a lissé les différences entre toutes ces phases dans le passé. Le visiteur n’a aucune idée des différentes parties du musée. Nous voulions, au contraire, être très clairs sur la fin d’une extension et le début de la suivante. L’utilisation du site du Folk Art était le seul moyen d’établir une connexion physique avec le reste du musée à partir de la tour de Jean Nouvel. Nous avons commencé à travailler dans tout le MoMA, en remontant jusqu’au bâtiment de 1939. Nous avons essayé de traiter chaque zone avec sa propre distinction, mais il y a aussi un nouveau langage qui est apparu. Toute l’histoire du modernisme s’incarne dans les agrandissements successifs. Le but de notre travail était d’ouvrir les choses, comme l’avaient voulu les fondateurs du MoMA. Nous pensons qu’il y a encore de nouveaux chapitres à écrire dans l’histoire du modernisme. »

La boutique du MoMA.
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(Brett Beyer, Courtesy of Diller Scofidio + Renfro)
La boutique du MoMA.

PARCO ROMANA, MILAN, ITALIE, 2026

Situé près de la Fondation Prada conçue par Rem Koolhaas/OMA (2018), le plan directeur de Diller implique la création d’un quartier résidentiel de 18,5 hectares prévu pour les logements des athlètes qui assisteront aux Jeux olympiques d’hiver de 2026 à Milan-Cortina.

« Le Parco Romano est situé sur une gare de triage, qui se trouvait autrefois à la périphérie de Milan. À l’exception de deux lignes au milieu, la zone de triage est abandonnée. Nous faisons partie de l’équipe de master planning qui a remporté le concours. Nous concevons l’espace public, mais il est difficile de faire circuler les trains au milieu du site. Nous avons imaginé une passerelle est-ouest de 1 kilomètre, comme la High Line à New York, au-dessus des voies ferrées. Les rues la traversent dans le sens nord-sud comme des tentacules, ou des côtes le long d’une colonne vertébrale. »

PARCO ROMANA, MILAN, ITALIE, 2026
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(Courtesy of Diller Scofidio + Renfro)
PARCO ROMANA, MILAN, ITALIE, 2026
PARCO ROMANA, MILAN, ITALIE, 2026
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(Courtesy of Diller Scofidio + Renfro)
PARCO ROMANA, MILAN, ITALIE, 2026

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