La Fondation Prada à Milan
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Art à Milan : le parvis de la Fondation Prada et la Casa degli Spiriti recouverte de feuilles d’or.
© Bas Princen / Courtesy Fondazione Prada
N° 131 - Printemps 2020

LES TRÉSORS DE LA FONDATION PRADA

Milan est connue pour ses défilés de mode ou son design, mais la capitale lombarde possède un atout supplémentaire : La Fondation Prada, un centre d’art contemporain interdisciplinaire. Visite guidée.

Une juxtaposition éclectique. Le projet architectural de la Fondation Prada joue avec sept bâtiments industriels et trois nouvelles constructions qui se combinent harmonieusement.
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© Bas Princen / Courtesy Fondazione Prada
Une juxtaposition éclectique. Le projet architectural de la Fondation Prada joue avec sept bâtiments industriels et trois nouvelles constructions qui se combinent harmonieusement.

À l’instar de la Fondation Louis Vuitton et de son centre artistique à Paris, la Fondation Prada inaugure à Milan un espace encore plus vaste. Après sept années de travaux dans le quartier Largo Isarco, la Fondation a ouvert ses portes au printemps 2015. Grâce à la styliste Miuccia Prada et à son mari Patrizio Bertelli, le nouveau complexe se déploie aujourd’hui sur une surface de 19’000  mètres carrés. L’agence d’architecture OMA et son maître à penser Rem Koolhas ont ainsi réalisé un projet ambitieux fondé sur la rénovation d’une distillerie désaffectée datant de 1910 et la construction de trois nouveaux bâtiments. La préservation des espaces industriels associée à une architecture contemporaine induit une interaction remarquable et propose un parcours fascinant au cœur de volumes divers.

Décoré par le cinéaste Wes Anderson, le café de la Fondation est un clin d’œil aux années 1950 et aux cafés milanais de cette époque.
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© Attilio Maranzone / Courtesy Fondazione Prada
Décoré par le cinéaste Wes Anderson, le café de la Fondation est un clin d’œil aux années 1950 et aux cafés milanais de cette époque.

LA FONDATION ET SES DIFFÉRENTS SITES

Quand la ville se métamorphose et que l’on désire valoriser les traces de son passé, le résultat est souvent spectaculaire. Le simple mot « réhabilitation » est enthousiasmant : les projets de rénovation et de restructuration connaissent une croissance importante depuis une vingtaine d’années, comme ce fut le cas pour le Lingotto de Turin. Le nouveau musée de Prada en est l’un des meilleurs exemples en Italie.

La Fondation Prada a été créée par la maison de mode éponyme en 1993, comme organisation culturelle dédiée à l’expression artistique, au cinéma et à la philosophie. Depuis trois décennies, elle a réussi à se faire un nom grâce à la programmation d’expositions d’art contemporain dans des entrepôts abandonnés ou des églises désaffectées. Dès lors, quelques-uns des plus grands artistes internationaux ont eu le privilège de présenter leurs travaux au public italien et ce, dans des lieux souvent atypiques.

« Après plus de vingt ans d’expositions organisées dans le monde entier, mon mari a dit qu’il était temps que nous fassions quelque chose de permanent à Milan », a commenté Miuccia Prada dans une interview accordée au New York Times. C’est ainsi qu’au début des années 2000, la Fondation a établi ses quartiers dans un site qui allait devenir une destination artistique incontournable. Le sud de Milan, avec l’ancienne distillerie où était produit il y a un siècle le célèbre brandy Cavallino Rosso, s’est avéré adéquat pour présenter des collections de la Fondation.

Une installation de l’Américain Robert Gober.
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© Attilio Maranzano / Courtesy Fondazione Prada
Une installation de l’Américain Robert Gober.
L’Accademia dei Bambini. Dédiés aux enfants et aux activités pluridisciplinaires, cet espace et ce projet ont été élaborés en collaboration avec Giannetta Ottilia Latis, pédopsychiatre.
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© Delfi no Sisto Legnani / Courtesy Fondazione Prada
L’Accademia dei Bambini. Dédiés aux enfants et aux activités pluridisciplinaires, cet espace et ce projet ont été élaborés en collaboration avec Giannetta Ottilia Latis, pédopsychiatre.

Outre le nouveau musée, la Fondation Prada est riche de deux autres lieux d’exposition grandioses. Le premier, Milano Osservatorio (l’observatoire), est un espace de 800 mètres carrés dédié à la photographie et au langage visuel. Surplombant le dôme de verre de la Galleria Vittorio Emanuele II, cet endroit fait face à la magnifique verrière réalisée en 1867 par Giuseppe Mengoni. L’observatoire est consacré à l’exploration des tendances de la photographie contemporaine ainsi qu’aux liens qu’elle tisse avec d’autres disciplines. Alors que la photographie participe grandement au flux de la communication numérique mondiale, l’un des objectifs de cet espace consiste aussi pour les visiteurs à s’interroger sur les implications culturelles et sociales que provoquent les images.

Le second site se trouve à Venise. En 2011, le palais Ca’ Corner della Regina du XVIIIe siècle devenait le siège vénitien de la Fondation. Sur les rives du Grand Canal, le palais est en cours de restauration, ce qui n’empêche pas quelques visiteurs privilégiés de découvrir des expositions temporaires, comme la rétrospective consacrée au travail de Jannis Kounellis, programmée en novembre 2019.

Réalisées par l’Américain Michael Wang, les serres de poche Extinct in the Wild rassemblent une sélection de plantes et d’animaux aujourd’hui disparus.
Réalisées par l’Américain Michael Wang, les serres de poche Extinct in the Wild rassemblent une sélection de plantes et d’animaux aujourd’hui disparus. © Delfi no Sisto Legnani et Marco Cappelletti / Courtesy Fondazione Prada
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Réalisées par l’Américain Michael Wang, les serres de poche Extinct in the Wild rassemblent une sélection de plantes et d’animaux aujourd’hui disparus.
© Delfi no Sisto Legnani et Marco Cappelletti / Courtesy Fondazione Prada
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Réalisées par l’Américain Michael Wang, les serres de poche Extinct in the Wild rassemblent une sélection de plantes et d’animaux aujourd’hui disparus.
© Delfi no Sisto Legnani et Marco Cappelletti / Courtesy Fondazione Prada
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REM KOOLHAAS

Conçu par l’entreprise d’architecture Office for Metropolitan Architecture (OMA) et dirigé par Rem Koolhaas – prix Pritzker 2000 –, » le nouveau bijou de Prada est particulièrement abouti. Combinant sept bâtiments industriels juxtaposés et trois nouvelles constructions, cet ensemble se regroupe autour de la cour de l’ancienne distillerie. L’objectif principal du projet était de créer de multiples espaces originaux pour la présentation d’œuvres d’art. Mêlant volumes, couloirs, escaliers, recoins, styles ou matériaux variés, la transformation renouvelle le répertoire des configurations spatiales dans lesquelles l’art est exposé. Koolhaas explique en effet que « la plupart des institutions contemporaines dédiées à l’art offrent des typologies d’affichage relativement limitées et sont très similaires en termes d’échelle, de circulation ou de conditions ».

S’agissant de la restauration des entrepôts, des laboratoires ou des silos de brassage, elle s’est faite avec beaucoup de respect. Pour éviter des contrastes trop vifs, les architectes ont reproduit une situation où les espaces préservés et créés se retrouvent dans un état d’interaction permanente. Comme le rapporte Koolhaas, ils ont même parfois été fusionnés pour que le visiteur se perde au point de ne plus savoir s’il se trouve dans un espace rénové ou moderne.

Concernant les trois bâtiments supplémentaires, ils enrichissent par leur diversité ces lieux d’exposition. On leur a d’ailleurs attribué un caractère industriel qui reproduit sensiblement le style des constructions existantes. Le nouveau Podium – conçu pour accueillir des expositions temporaires – et la salle de cinéma ont été réalisés au cœur de l’ensemble et divisent l’espace en une série de petites cours.

Pour prendre un peu de hauteur, une tour de 60 mètres parachevait en 2018 le complexe dans l’angle nord-est du site. Les façades se distinguent par une alternance de surfaces en béton et en verre. Au sixième étage, un restaurant peut accueillir 84 personnes qui auront la chance de goûter aux meilleures spécialités locales, tout en contemplant des œuvres de Lucio Fontana, Goshka Macuga ou encore Jeff Koons, confortablement installées sur des chaises d’Eero Saarinen. La terrasse extérieure, tout comme les différentes baies des neuf étages de la tour, offrent des points de vue inédits sur le site et sur la capitale lombarde.

Il faut enfin gravir les escaliers de la maison hantée, Casa degli Spiriti. Ses murs, entièrement recouverts de feuilles d’or 24 carats, apportent une touche originale et des reflets qui font flamboyer l’environnement proche. « À mesure que la lumière évolue, l’effet de cette intervention est vraiment perceptible dans tout le complexe », s’étonne Rem Koolhaas. Ainsi, la maison hantée se distingue-t-elle du bâtiment principal, lequel est revêtu d’une dentelle de métal.

Kienholz : Five Car Stud. 76 J.C.s Led the Big Charade (1993-1994) d’Edward & Nancy Reddin Kienholz.
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© Delfi no Sisto Legnani Studio / Courtesy Fondazione Prada
Kienholz : Five Car Stud. 76 J.C.s Led the Big Charade (1993-1994) d’Edward & Nancy Reddin Kienholz.
Une installation de l’Américain Robert Gober.
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© Attilio Maranzano / Courtesy Fondazione Prada
Une installation de l’Américain Robert Gober.
Une installation de l’Américain Robert Gober.
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© Attilio Maranzano / Courtesy Fondazione Prada

MISSION COMPLEXE

La vocation de la nouvelle structure institutionnelle de la Fondation veut incarner le renouvellement et présenter un lieu ouvert au sein duquel les idées circulent librement. La Fondation Prada est habitée par le concept de culture. Elle nous guide et nous aide à comprendre la manière dont les Hommes et le monde évoluent. Depuis vingt ans, elle ne cesse de souligner l’importance de l’engagement culturel par le biais d’expositions, de conférences de philosophie contemporaine ou encore d’initiatives de recherche dans le domaine du cinéma. C’est aussi dans cette perspective que la Fondation projette la programmation de ses futures activités. Choisissant l’art comme outil de travail, la Fondation se penche encore sur la façon dont l’humanité a fait évoluer les idées en une multitude de disciplines : littérature, cinéma, musique, philosophie, arts et sciences. Un nouveau mode de partage intellectuel est en marche.

Ainsi, l’Accademia dei Bambini est dédiée aux enfants. La disposition architecturale de l’espace a d’ailleurs été confiée à un groupe d’étudiants de l’École nationale supérieure d’architecture de Versailles. La structure, indépendante, sert à expérimenter toutes sortes d’activités pluridisciplinaires, telles que les expositions mais aussi les ateliers dirigés par des experts éducateurs, artistes, scientifiques, réalisateurs, etc. Le dialogue intergénérationnel est ici sollicité tout comme les débats liés aux problèmes pédagogico-culturels.

INSTALLATIONS PERMANENTES

Même si, à juste titre, les amateurs d’art moderne s’attardent sur cette réalisation architecturale désormais culte, ce lieu présente également des expositions majeures. L’art y jouit d’un cadre unique dont les volumes n’oppriment pas les œuvres exposées. À Milan, quelques installations permanentes sont drôles, décalées et intrigantes. Dans les chambres individuelles de la Maison hantée, deux célèbres artistes de renom ont pour mission d’« exorciser » les lieux. L’Américain Robert Gober, qui explore les thèmes de la politique, de la religion, de la sexualité ou encore de la nature, propose ici quelques installations dont Untitled (1993-1994), une immense boîte de céréales Farina. À partir d’objets du quotidien, le sculpteur crée aussi bien des œuvres hybrides comme Arms and Legs Wallpaper (1995-2015) que des éléments d’architecture tels que Corner Door and Doorframe (2014-2015). Au premier étage, le travail de Gober dialogue avec deux œuvres de Louise Bourgeois, dont Clothes (1996), une construction circulaire constituée de portes où pendent des objets et des habits de l’artiste, ainsi qu’une sculpture textile, Single III (1996).

Pour sa part, l’artiste et photographe allemand Thomas Demand présente le projet Processo Grottesco (2006). Connu pour ses reconstitutions à l’échelle 1/1 de décors architecturaux en carton-pâte, l’artiste s’inspire ici d’un lieu naturel – une grotte à Majorque – pour le reproduire en une construction tridimensionnelle. Ainsi, avec 30 tonnes de cartons gris, il s’inspire de l’image d’une carte postale pour répliquer les stratifications naturelles de la grotte. Ce travail, installé sous le nouveau cinéma, est présenté conjointement avec une photographie que l’artiste a prise de sa réalisation. De cette façon, Demand permet au visiteur de découvrir le processus de création qui l’a conduit à la prise de vue.

Slight Agitation 2/4. Infection (2017), de la Suissesse Pamela Rosenkranz, représente un monticule de sable imprégné de phéromones de chat.
Slight Agitation 2/4. Infection (2017), de la Suissesse Pamela Rosenkranz, représente un monticule de sable imprégné de phéromones de chat. © Delfi no Sisto Legnani Studio et Marco Cappelletti / Courtesy Fondazione Prada
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Slight Agitation 2/4. Infection (2017), de la Suissesse Pamela Rosenkranz, représente un monticule de sable imprégné de phéromones de chat.
© Delfi no Sisto Legnani Studio et Marco Cappelletti / Courtesy Fondazione Prada
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Slight Agitation 2/4. Infection (2017), de la Suissesse Pamela Rosenkranz, représente un monticule de sable imprégné de phéromones de chat.
© Delfi no Sisto Legnani Studio et Marco Cappelletti / Courtesy Fondazione Prada
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EXPOSITIONS VARIÉES

La question de l’intérêt d’une institution culturelle est prépondérante pour la Fondation Prada. Depuis son ouverture en 2015, de multiples interventions originales montrent l’utilité et la nécessité de l’art comme de la culture. Une moyenne croissante de quinze projets annuels continue de suivre son cours dans ce laboratoire expérimental. Afin d’explorer d’autres instruments de recherche que les arts visuels, la Fondation a hébergé par exemple Atlante del Gesto, faisant la part belle à la danse par une série d’actions chorégraphiques conçues par Virgilio Sieni. Quelques mois plus tard (2016), Theaster Gates : True Value a installé sa première exposition (Chicago 1973) ainsi que quelques-unes de ses nouvelles commandes dans le Podium et la Cisterna. De 2017 à 2018, se sont succédé de nombreux événements variés, à l’instar de Slight Agitation 2/4 associé à un cycle de quatre projets d’artistes internationaux parmi lesquels Tobias Putrih, Pamela Rosenkranz, Laura Lima et le collectif autrichien Gelitin. Leur mission ? Provoquer une expérience sensorielle chez le spectateur. Réalisé spécialement pour la Cisterna – l’un des bâtiments industriels du site –, le deuxième projet consistait en l’installation Infection de l’Uranaise Pamela Rosenkranz : une montagne de sable imprégné de phéromones de chat (!), déclenchant aussi bien des réactions d’attraction que de répulsion chez les visiteurs. En outre, Extinct in the Wild, un projet de l’artiste américain Michael Wang, se compose de trois petites serres abritant des espèces aujourd’hui disparues dans la nature mais que l’on trouve uniquement dans des structures artificielles. Vingt photographies représentent, quant à elles, ces espèces dans leur habitat d’origine, avant leur extinction.

Puis, l’exposition TV 70 : Francesco Vezzoli guarda la Rai a connu un beau succès, en collaboration avec la chaîne de la télévision nationale italienne. Dans les galeries nord et sud ainsi que dans le Podium, l’artiste italien Francesco Vezzoli a décortiqué les productions télévisuelles des années 1970. « Là encore, il est question d’éclectisme, de confrontations de contraires pour exprimer une réalité complexe. Comme chez Prada. » (Le Monde, 10.05.2017)

S’il ne faut retenir qu’un seul événement en 2019, c’est celui du cinquième chapitre de Soggettiva, qui a orienté ses projecteurs sur Pedro Almodovar. Parallèlement à la projection du dernier film du cinéaste, Dolor y Gloria, le projet du réalisateur espagnol a révélé huit films n’ayant jamais été diffusés ailleurs qu’en Espagne. Rappelons que Soggettiva invite périodiquement des personnalités du monde des arts et de la culture à présenter les films qui ont marqué leur éducation.

Pour clore la visite, le Bar Luce offre un véritable moment d’évasion. Ce lieu, dessiné par le réalisateur Wes Anderson, est meublé de tables en formica des années 1950, de flippers, de jukebox ainsi que de bocaux de bonbons et crée une atmosphère ludique. Le formica, les couleurs et les motifs font écho aux cafés milanais de ces années-là.

Dans cet ensemble magistralement réhabilité, la Fondation Prada semble avoir réussi le pari d’implanter à Milan l’un des plus importants centres d’art contemporain en Europe. En associant l’art et le luxe, ces fondations permettent incontestablement aux entreprises d’accroître leur renommée. Or, Miuccia Prada à Milan ou Louis Vuitton à Paris comblent le vide créé par des coupes budgétaires qu’imposent de nombreux gouvernements européens.

TV 70 : Francesco Vezzoli guarda la Rai. III B : Facciamo l’appello, 1971, d’Enzo Biagi et Renato Guttuso.
TV 70 : Francesco Vezzoli guarda la Rai. III B : Facciamo l’appello, 1971, d’Enzo Biagi et Renato Guttuso. © Courtesy Rai Teche
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Luca 2-49, 1977, de Libera Mazzoleni.
Luca 2-49, 1977, de Libera Mazzoleni. © Claudia Cataldi / Courtesy Frittelli Arte Contemporanea, Firenze
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Il televisore che piange, 1972, de Fabio Mauri (de gauche à droite).
Il televisore che piange, 1972, de Fabio Mauri. © Courtesy the Estate of Fabio Mauri and Hauser & Wirth
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Il televisore che piange, 1972, de Fabio Mauri (de gauche à droite).
© Courtesy the Estate of Fabio Mauri and Hauser & Wirth
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