Les travaux de rénovation du Colisée. Selon le programme, la façade sera achevée cette année.
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Les travaux de rénovation du Colisée. Selon le programme, la façade sera achevée cette année. © Eric Vandeville
N° 120 - Été 2016

À Rome, tous les chemins mènent au mécénat

La ville éternelle est un vaste chantier à ciel ouvert. Colisée, Fontaine de Trevi, Place d’Espagne, les monuments les plus emblématiques de la capitale italienne nécessitent d’importantes restaurations. Faute d’argent, Rome fait appel à de riches mécènes pour financer ces coûteux travaux. Un recours aux fonds privés qui ne fait pas toujours l’unanimité.

A a sortie du métro Colosseo, certains touristes s’arrêtent net, incrédules. Les yeux écarquillés, ils pointent du doigt le célèbre amphithéâtre. Une partie du Colisée est couverte d’échafaudages. A 50 mètres du sol, des ouvriers s’affairent. Ils semblent minuscules. L’étonnement se lit sur les visages des vacanciers : « J’ignorais que le monument était en travaux, j’espère que je vais pouvoir le visiter », s’inquiète Edward.

Ce touriste américain est vite rassuré, il va enfin marcher sur les traces de Maximus, le héros de Gladiator. Ce personnage imaginé par Ridley Scott est devenu le meilleur ambassadeur du Colisée. Depuis la sortie du péplum en 2000, la fréquentation du site a presque triplé. Chaque année, près de 6 millions de personnes arpentent les arènes du célèbre monument, qui reste ouvert pendant toute la durée du chantier. Le site le plus fréquenté d’Italie est victime de sa popularité…et de son emplacement. Pendant des décennies, le Colisée a été cerné par les voitures. « Le monument le plus célèbre de Rome était devenu un vulgaire rond-point pour les automobilistes, ce n’était plus tolérable », fustige Ignazio Marino, l’ancien maire de la ville. Lors de son court mandat, l’édile a profité des travaux pour réduire la circulation et lancer un grand projet de piétonnisation du centre-ville.

L’argent public fait défaut

La pollution, les intempéries, l’intense trafic routier ont certes fragilisé l’édifice mais les dégâts les plus lourds ont bien été causés par le manque d’argent public. La dernière grande campagne de restauration du Colisée a été achevée dans les années 40. Le ministère de la Culture italien est soumis à une cure d’amaigrissement sans précédent. Son budget atteint à peine 1,5 milliard d’euros en 2015. La somme semble dérisoire : l’Italie est le pays qui abrite le plus grand nombre de sites inscrits au Patrimoine de l’UNESCO. Cinquante et un, précisément.

L’équation est particulièrement délicate. Les fonds publics se tarissent, les travaux de restauration deviennent toujours plus onéreux. Rome n’a plus le choix : il faut dénicher de nouvelles ressources. Et vite ! Ces derniers temps, un vent nouveau souffle sur la Ville éternelle. Alea jacta est ! Le Rubicon du mécénat est franchi. D’importantes déductions fiscales sont désormais accordées aux donateurs. Les deniers commencent à affluer d’Italie et du monde entier.

Le Colisée est le monument le plus fréquenté d’Italie. Chaque année, près de 6 millions de personnes le visitent.
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© Adrien Buchet
Le Colisée est le monument le plus fréquenté d’Italie. Chaque année, près de 6 millions de personnes le visitent.

Le Colisée, un chantier symbolique

Le Colisée symbolise ce changement d’ère. Il y a cinq ans, Rome se met en quête d’un riche mécène, capable de financer la restauration de l’amphithéâtre Flavien. Le coût des travaux est exorbitant : 25 millions d’euros. Deux entreprises manifestent leur intérêt : la compagnie aérienne low cost Ryanair et le groupe de mode italien Tod’s. L’offre de Ryanair est rapidement déboutée. En échange de ses précieux deniers, le transporteur aérien exige d’afficher ses avions sur la façade du célèbre monument. Sacrilège ! Diego Della Valle, le président de Tod’s, est moins « gourmand » : pas de marque tapageuse, pas de pancartes criardes vantant les mérites de sa dernière collection. L’entrepreneur transalpin réclame l’exclusivité mondiale sur la communication de la restauration, la possibilité d’organiser des visites privées et l’utilisation du logo du Colisée pour une durée de quinze ans. Fin 2011, le compromis est accepté, les travaux vont pouvoir débuter.

L’hypogée. La structure souterraine du Colisée sera aussi restaurée.
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© Eric Vandeville
L’hypogée. La structure souterraine du Colisée sera aussi restaurée.
La restauration du Colisée va coûter plus de CHF 30 millions. Les travaux ont pris trois ans de retard en raison d’un recours judiciaire.
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© Eric Vandeville
La restauration du Colisée va coûter plus de CHF 30 millions. Les travaux ont pris trois ans de retard en raison d’un recours judiciaire.

Bataille judiciaire

Mais le Codacons, une association de défense des consommateurs et de l’environnement, ne l’entend pas de cette oreille. Ses représentants déposent un recours. Ils jugent les contre-parties accordées à Tod’s excessives et dénoncent « l’exploitation commerciale d’un monument comme le Colisée ». Une longue bataille judiciaire commence. Le chantier est suspendu.

En juillet 2013, Diego Della Valle obtient finalement gain de cause. « Nous avons perdu trois ans pour des caprices, des polémiques inutiles. J’espère que ça n’arrivera plus », peste le président de Tod’s devant toute la presse étrangère.

Les travaux de la façade extérieure sont quasiment achevés. La tâche est immense. Il faut nettoyer le moindre recoin du monument, restaurer les travées et la structure souterraine, installer un nouvel éclairage, construire un centre d’accueil flambant neuf. Une fois les échafaudages enlevés, le résultat est saisissant. Débarrassé de sa couche de crasse, le travertin affiche une magnifique teinte ivoire qui vire à l’ocre au coucher du soleil.

« Restaurer un monument aussi important, qui est le symbole de l’Italie dans le monde, à travers une forte synergie entre public et privé… Nous aimerions servir d’exemple aux autres », se targue publiquement Diego Della Valle, après la conclusion de cette première phase de restauration.

Fontaine de Trevi. Pendant les travaux, une passerelle a été construite pour permettre aux curieux d’approcher au plus près du chantier.
Fontaine de Trevi. Pendant les travaux, une passerelle a été construite pour permettre aux curieux d’approcher au plus près du chantier. © Eric Vandeville
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Fontaine de Trevi. Pendant les travaux, une passerelle a été construite pour permettre aux curieux d’approcher au plus près du chantier.
© Olivier Cougard
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Fontaine de Trevi. Pendant les travaux, une passerelle a été construite pour permettre aux curieux d’approcher au plus près du chantier.
© Olivier Cougard
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Un patrimoine menacé de « Disneyfication »

Le vif débat autour du Colisée le montre : en Italie, les donateurs suscitent encore une certaine méfiance. Pur mécénat ou générosité intéressée ? Philanthropie ou exploitation commerciale « déguisée » ? La frontière n’est pas toujours très nette. Le sujet des contreparties accordées aux mécènes est sensible, et les réponses sont souvent très évasives.

Le Washington Post s’est intéressé récemment au problème. Le quotidien américain a publié un article qui a fait grand bruit dans la capitale italienne, (lire l’article du 6 septembre 2014 Will corporate cash save Roman monuments or diminish them ?). Le journal estime que le patrimoine romain est menacé de « Disneyfication ». L’Italie, dans sa quête effrénée de sponsors, serait même en train de « vendre son âme ». Beaucoup de Transalpins verraient d’un mauvais œil l’arrivée de cette « horde envahissante de fonds privés ».

Des publicités recouvrent les échafaudages à Rome. Les deniers publics se tarissent mais grâce à des déductions fiscales les dons privés affluent.
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© Eric Vandeville
Des publicités recouvrent les échafaudages. Les deniers publics se tarissent mais grâce à des déductions fiscales les dons privés affluent.
La pyramide de Cestius. Située au sud de Rome, elle a souffert de l’intense circulation automobile.
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© Eric Vandeville
La pyramide de Cestius. Située au sud de Rome, elle a souffert de l’intense circulation automobile.

Frénésie de travaux

Mais cette frénésie de travaux déconcerte en premier lieu les touristes. Les monuments les plus célèbres de Rome font quasiment tous peau neuve au même moment. Impossible de profiter de la perspective exceptionnelle de la place d’Espagne, la fontaine Barcaccia a été rénovée, mais l’escalier de la place et l’église de la Trinité-des-Monts est encore en chantier. Une imposante publicité aux couleurs vives a recouvert pendant des semaines la façade de l’abbaye. Elle vantait les saveurs de… spaghettis aux crevettes. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes ont ironisé sur cette réclame au goût douteux. Elle a ensuite été remplacée par une publicité plus sobre.

A quelques encablures de là, au bout d’un dédale de rues étroites et pittoresques, le choc a été encore plus profond pour certains touristes. Pendant près de 18 mois, la fontaine de Trevi est… restée à sec ! Pas une goutte d’eau ne s’est écoulée de ses somptueuses statues. L’édifice a été entièrement entouré de panneaux en plexiglas de près de 2 mètres de haut. Un échafaudage a recouvert la partie centrale. Le monument, immortalisé par Federico Fellini dans La Dolce Vita, s’est offert une indispensable cure de jouvence. « Je comprends la déception des touristes, mais c’est absolument nécessaire. La dernière grande intervention sur le monument remonte à près de vingt-cinq ans », justifie Anna-Maria Cerioni, coordinatrice scientifique de la surintendance de Rome.

La restauration de la fontaine Barcaccia. Située à la place d’Espagne à Rome, cette importante restauration vient d’être achevée.
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© Eric Vandeville
La restauration de la fontaine Barcaccia. Située à la place d’Espagne, cette importante restauration vient d’être achevée.

Initiatives originales

Sur la vasque centrale, les restaurateurs, dos courbé, ont retiré millimètre par millimètre la couche de calcaire qui s’est accumulée avec le temps. D’autres spécialistes ont nettoyé avec précaution les statues de marbre. Tous ont travaillé sous étroite surveillance. Des milliers de touristes ont défilé chaque jour sous leurs yeux. Une passerelle a été spécialement édifiée pour permettre aux curieux d’approcher à quelques mètres du chantier, sans déranger les restaurateurs. La marque de prêt-à-porter Fendi a imaginé cette initiative originale en accord avec la surintendance de Rome.

La maison de couture italienne a subventionné la totalité des travaux dans le cadre du programme Fendi for Fountains. L’addition est corsée : plus de 2 millions d’euros. « Il est de notre devoir de rendre hommage à la ville de Rome, qui nous a tant donné et qui fait partie intégrante du patrimoine créatif de Fendi », explique Silvia Venturini Fendi, sur le site Internet spécialement dédié à cette opération de mécénat. En contre-partie, la mairie de Rome a apposé une discrète plaque de remerciements sur le monument, pour une durée de quatre ans. « C’est une chose bien modeste, un souvenir, il ne s’agit pas d’une publicité », souligne de son côté Anna-Maria Cerioni.

Aucun détail n’a été négligé. Lors de la rénovation, un petit bassin a même été aménagé devant les panneaux de protection pour permettre aux touristes de pratiquer le symbolique « lancer de monnaie ». Une jeune femme s’approche de la modeste vasque, surmontée du portrait du dieu Neptune. Comme le veut la tradition, elle tourne le dos à la fontaine et jette une pièce de la main droite. « Voilà, c’est fait, maintenant je suis sûre de revenir à Rome ! », sourit Lucia, qui a fait le voyage depuis Barcelone. En se retournant vers le monument en travaux, elle précise, l’air malicieux : « Mais je vais attendre quelques années, je pense. Le temps que toutes ces restaurations soient achevées. » Encore un peu de patience.

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