Raid Latécoère Afrique, survol de la Mauritanie. Le raid c’est aussi l’occasion d’apporter des fournitures scolaires ou du matériel à des écoles et des hôpitaux.
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Raid Latécoère Afrique, survol de la Mauritanie. Le raid c’est aussi l’occasion d’apporter des fournitures scolaires ou du matériel à des écoles et des hôpitaux. © Marie-Cécile Desalbres/Raid Latécoère
N° 121 - Automne 2016

Raid Latécoère : les nouveaux fous volants

Il y a près de cent ans, Pierre-Georges Latécoère a eu l’idée folle de relier la France à l’Afrique, et à l’Amérique du sud, à l’aide d’avions qui tombaient régulièrement en panne, et aux ailes entoilées comme des cerfs-volants. Aujourd’hui, un voyage aérien, le Raid Latécoère, perpétue la mémoire du pionnier de l’aviation. Récit d’une aventure humaine hors du commun.

Raid Latécoère. Revue des hydravions sur la plage de Barcarès, en Languedoc-Roussillon.
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© Marie-Cécile Desalbres/Raid Latécoère
Raid Latécoère. Revue des hydravions sur la plage de Barcarès, en Languedoc-Roussillon.

Chaque année depuis 2007, une nouvelle race de fous volants reprend les airs sur les traces de Pierre-Georges Latécoère : pour perpétuer la mémoire mais aussi transmettre les valeurs humanistes du pionnier de l’aviation avec des projets solidaires.

Au petit aéroport de Francazal, planté au milieu des champs de la campagne du sud toulousain, vingt-trois avions patientent sur le tarmac fissuré : des Cessna, des Robin, des Cirrus. Ces petits monoplans sont plus habitués aux sauts de puce, aux balades du dimanche mais, cette fois-ci, si leurs propriétaires les briquent et font le check-up complet, c’est pour le grand saut : demain, ils feront route vers Saint-Louis, au Sénégal, à plus de 4 000 km de Toulouse.

Le 25 décembre 1918, Pierre-Georges Latécoère décollait lui aussi de Toulouse, et réalisait l’exploit de franchir les Pyrénées et d’atteindre Barcelone. Le 9 mars 1919, il rallie Rabat, où il remet au Maréchal Lyautey le journal Le Temps du jour et un bouquet de violettes à la Maréchale.

Le Raid Latécoère, en route vers l’Afrique. Survol du viaduc de Millau.
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© Raid Latécoère
Le Raid Latécoère, en route vers l’Afrique. Survol du viaduc de Millau.

Les Lignes Latécoère, devenues plus tard L’Aéropostale, connurent un succès fulgurant. Elles reliaient la France à ses colonies, transportant rapidement un courrier, mais également des passagers : elles seront empruntées par un roi, deux ministres français et un maréchal. Derrière « La Ligne », comme la liaison se fit vite connaître, il y avait des héros. Didier Daurat, Jean Mermoz, Antoine de Saint-Exupéry… furent les premiers « pilotes de la Ligne », un terme qui allait entrer dans le vocabulaire français sous l’expression devenue aujourd’hui usuelle : « pilote de ligne ».

Certains y laissèrent leur vie, tant les dangers étaient nombreux. Les pannes étaient régulières sur ces machines encore approximatives, que l’on envoyait pourtant survoler les 2 800 km de désert qui séparent Casablanca de Dakar. Et si, par chance, l’atterrissage de fortune était encore possible dans les dunes, des tribus insoumises kidnappaient le pilote contre rançon. Mais le courrier primait. Alors les appareils partaient toujours en binôme : si l’un flanchait, l’autre reprenait le flambeau, et les lettres.

Raid Latécoère Afrique. A Tarfaya au Sud du Maroc, photo des organisateurs et des bénévoles devant l’Antonov.
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© Marie-Cécile Desalbres/Raid Latécoère
Raid Latécoère Afrique. A Tarfaya au Sud du Maroc, photo des organisateurs et des bénévoles devant l’Antonov.

« Aujourd’hui, on est plus sécurisé », reconnaît Jean-Louis Cigliani, qui s’apprête à décoller pour son quatrième Raid Afrique, un des quatre parcours qui forment le « Raid Latécoère », avec l’Amérique du Sud, Madagascar et le tout nouveau Raid Hydravion. « Mais on trouve toujours des situations difficiles et là, c’est toi et Dieu. On se retrouve face à soi-même. C’est un dépassement de soi », raconte Jean-Louis.

Si Jean-Louis vole aujourd’hui sur les traces des « anciens », c’est « pour perpétuer la mémoire » mais c’est aussi pour vivre la « dimension humaine » du Raid. « Des dizaines de personnes qui ne se connaissent pas partent ensemble. Et, naturellement, la passion nous relie et l’amitié naît. La dimension humaine est extraordinaire », dit-il, tout fiévreux avant le départ.

Sud du Maroc. Antoine de Saint-Exupéry à Cap Juby, Tarfaya.
Sud du Maroc. Antoine de Saint-Exupéry à Cap Juby, Tarfaya. © Fondation Latécoère
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Sahara espagnol. La traversée périlleuse du Rio de Oro.
Sahara espagnol. La traversée périlleuse du Rio de Oro. © Fondation Latécoère
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En 1919. Premier courrier par avion Casablanca-Toulouse.
En 1919. Premier courrier par avion Casablanca-Toulouse. © Fondation Latécoère
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Pas réservé à une élite

« L’aviation est un milieu un peu fermé. On a l’impression que c’est une élite mais, en fait, ce n’est pas du tout le cas. C’est un milieu abordable », renchérit Benoît Sales, 37 ans, qui part pour son premier Raid Afrique. « Le Raid Latécoère, c’est la même chose : ce n’est pas réservé à de très bons pilotes, on est encadrés. » Le Raid est ainsi ouvert à tous : pilotes ou non, experts ou élèves. Il suffit de remplir un formulaire sur le site1 et de débourser 7 000 euros environ, location de l’avion comprise (pour le Raid Afrique). « On ne vient pas pour la compétition mais pour l’expérience. C’est une sorte de Paris-Dakar mais sans compétition. Le challenge, il est vis-à-vis de soi-même, pas contre les autres », ajoute Benoît. « On ne voulait pas être dans la compétition. Non, ce n’est pas le Paris-Dakar de l’aviation », confirme Hervé Bérardi, président du Raid Latécoère. « Nous, c’est le plaisir d’être ensemble. »

Chaque année, une quarantaine d’équipages participent ainsi au « raid aérien le plus long du monde avec le survol de plus de dix pays sur trois continents », comme se définit le Raid Latécoère. En fait, il se découpe en quatre raids, tous organisés par l’association Aéroclub Pierre-Georges Latécoère, une petite organisation largement bénévole et basée à Lézignan, dans l’Aude. Le premier raid, le Raid Afrique, a été mis en place en 2007 et relie Toulouse à Saint-Louis. En 2015, vingt-trois avions, soit septante-deux participants, ont pris leur envol, dont pour la première fois… des ULM.

Raid Latécoère Afrique. Sur le tarmac de l’aéroport de Toulouse-Francazal, les petits monoplans patientent avant de décoller.
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© Georges Buchet
Raid Latécoère Afrique. Sur le tarmac de l’aéroport de Toulouse-Francazal, les petits monoplans patientent avant de décoller.

« En ULM, on est plus libre. On a plus de sensations », explique Christian Pagonneau, 42 ans, ancien pilote de ligne pour Air Tahiti, aujourd’hui retraité et qui a fait le voyage depuis l’île polynésienne où il habite pour voler sur un biplace ULM de 460 kgs seulement, pleins faits, et d’une vitesse maximale de 330 km/h. Après la mise en place du Raid Afrique, a suivi en 2011 le Raid Amérique du Sud, qui relie Buenos Aires à Santiago du Chili. Le tronçon sud-américain est mythique. Jean Mermoz faillit y perdre la vie, quand il tomba en panne en pleine Cordillère, avant de finalement pouvoir réparer, in extremis. Henri Guillaumet, lui, fut sauvé après cinq jours de marche dans les Andes. « Ce que j’ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l’aurait fait », devait-il dire en retrouvant son ami Antoine de Saint-Exupéry. Un troisième raid, à Madagascar, a eu lieu en juillet 2015. Le quatrième et dernier-né, le Raid Hydravion, a décollé pour la première fois le 5 septembre 2015, afin de rendre hommage aux nombreux hydravions construits par Latécoère. Six hydravions, soit vingt personnes, ont relié Biscarrosse, dans les Landes, capitale de l’hydraviation, à Monaco.

En Afrique, menaces et dangers toujours là

Dans un gigantesque hangar longeant la courte piste du petit aéroport de Francazal, des dizaines de pilotes écoutent attentivement les consignes, les détails techniques, et la longue liste des menaces qui les attendent, avant de décoller pour le Raid Afrique.

Survol des Andes.
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© Marie-Cécile Desalbres/Raid Latécoère
Survol des Andes.

« Attention aux lignes à haute tension qu’on n’attend pas, en plein désert, et aux oiseaux qui peuvent avoir des conséquences dramatiques en vol à basse altitude », lance le président Bérardi.

« L’Afrique n’est pas une cour de récréation », avertit-il. « Tout le monde devra rester sur la trajectoire au millimètre près, et surtout au Sahara, du fait de la présence des rebelles du Polisario ». Le trajet restera d’ailleurs secret jusqu’à la dernière minute. « Sinon, on peut avoir un comité de réception », explique Hervé Bérardi. Une fois au sol, les consignes sont aussi strictes. « Ne sortez jamais seuls, même au Maroc. En Mauritanie, on ne sort pas. C’est clair et net. Et pas de filles seules dans les taxis ! »

Les « raiders » notent soigneusement dans leur carnet de vol, déjà bien rempli de consignes. Car rien n’est oublié, jusqu’aux précautions à prendre pour ne pas salir l’image du Raid.

« On se bat toute l’année pour démontrer que ce n’est pas un raid de nantis qui vont se faire plaisir. Si on vous voit boire du whisky en boîte de nuit, cela va impacter l’image du Raid Latécoère. Attention, nous sommes un raid solidaire », assène le président du Raid. Car « la priorité est avant tout d’entretenir la mémoire du Raid Latécoère, mais aussi de perpétuer l’humanisme de Pierre-Georges Latécoère par l’intermédiaire de projets solidaires ».

« Emprunter les traces des pionniers, c’est quelque chose de magique. On cherche tous le Petit Prince. Et si on n’entretient pas la mémoire, tout ça va disparaître. Mais l’objectif est également de soutenir la francophonie et, surtout, des projets solidaires », selon Hervé Bérardi. A Saint-Louis par exemple, « on a aidé une école, qui n’était avant qu’une cabane de tôle, et, aujourd’hui, c’est un collège et lycée qui réunit 3 000 gamins et où le taux de réussite est de 80 % », souligne fièrement Hervé Bérardi.

Arrivée du Raid Latécoère en Amérique du Sud. Sur la minuscule piste d’Ushuaïa.
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© Marie-Cécile Desalbres/Raid Latécoère
Arrivée du Raid Latécoère en Amérique du Sud. Sur la minuscule piste d’Ushuaïa.
Arrivée à Rio.
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© Marie-Cécile Desalbres/Raid Latécoère
Arrivée à Rio.

Deux tonnes de fournitures scolaires

Ainsi, à leur arrivée à Saint-Louis, conclusion du Raid Afrique, les participants ne se sont pas contentés de faire un pèlerinage au mythique Hôtel de la Poste, où les pilotes des Lignes Aériennes Latécoère et de L’Aéropostale venaient se reposer et célébrer le fait d’être toujours en vie. Ils ont aussi offert quelques instants de bonheur, grâce à un baptême de l’air gratuit, à une vingtaine d’enfants de « La Liane », une maison qui accueille des gamins victimes de violences ou d’exploitation.

« Le Raid, c’est aussi l’aspect solidaire. Apporter quelque chose fait partie de l’origine même du Raid », raconte Magali, avant de décoller pour l’Afrique. Dans un gigantesque hangar à avions de l’aéroport de Francazal, une palette de livres attend ainsi d’être chargée, mais aussi des seringues, des compresses, du petit matériel d’une valeur marchande totale de 5 000 euros, destinés à l’hôpital de Saint-Louis.

A travers les vitres des cockpits des monoplans qui patientent sur le tarmac, on aperçoit également quelques ballons de foot de couleurs vives posés sur le siège passager. « Quand on offre un ballon à un gosse… Le sourire est magnifique », raconte un participant, Didier Bertay, un ancien para qui a découvert le Raid lors d’une escale à Saint-Louis.

Ushuaïa. A la pointe sud de l’Amérique latine, la courte piste d’atterrissage, qu’il ne faut pas rater.
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© Marie-Cécile Desalbres/Raid Latécoère
Ushuaïa. A la pointe sud de l’Amérique latine, la courte piste d’atterrissage, qu’il ne faut pas rater.

Non loin des monoplans, un impressionnant Antonov ventru a été appelé à la rescousse pour transporter des fournitures scolaires. Mais le gros biplan, le seul du Raid Afrique, n’est pas suffisant : il y a tellement à offrir que certaines palettes ont dû être acheminées par mer et attendent déjà au port de Tanger. « Nous donnerons environ deux tonnes de fournitures scolaires, dont 200 kgs de livres offerts par Hachette », précise Hervé Bérardi.

Reconstruire le légendaire Latécoère 28

Après neuf ans d’existence, le Raid se fixe dorénavant un nouvel objectif : offrir à Latécoère le centenaire de sa première liaison Toulouse–Barcelone, le 25 décembre 1918. « Le rêve est de juxtaposer les deux lignes et de faire coller les raids Afrique et Amérique du Sud en reliant Toulouse à Santiago, voire Ushuaïa, dans l’extrême sud de l’Amérique latine », explique le président du Raid. « Mais sans traverser l’océan Atlantique. On n’est pas fous », ajoute-t-il.

En 2019, année qui coïncidera avec le centenaire de la première expédition commerciale jusqu’à Rabat, le Raid ambitionne de reconstruire un Latécoère 28, un des avions mythiques de L’Aéropostale… L’objectif est de le faire voler de Toulouse à Dakar. « Il faut un million d’euros pour la construction et le programme. Nous recherchons une région intéressée. On aurait une préférence pour celle de Toulouse, bien entendu », ajoute Hervé Bérardi.

La belle-fille de Pierre-Georges Latécoère, Marie-Vincente, se félicite de toutes ces actions. « Le Raid Latécoère s’inscrit dans le souvenir et l’action de mon beau-père », déclare la présidente de la Fondation éponyme, et la marraine du Raid. « Pierre-Georges Latécoère serait fier de voir des jeunes gens de France célébrer son action et celle de tous ceux qui ont participé à la réussite de cette belle histoire française. »

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