N° 143 - Printemps 2024

« L’art doit être dérangeant. »

Provocatrice, branchée et iconique… Depuis plus de quarante ans, Marina Abramovic est la figure emblématique d’un art performatif radical et extrême. Le Kunshtaus de Zurich lui consacre une grande rétrospective à partir du mois d’octobre 2024. Rencontre avec une artiste qui dit les choses avec son corps.

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(ProLitteris, Zurich)
Portrait de Marina Abramovic.

Vous êtes née à Belgrade. Vous êtes une Serbe dont les parents sont originaires du Monténégro…

Je déteste toutes ces distinctions. Je suis né en ex-Yougoslavie, à l’époque de Tito. C’était un seul pays lorsque je l’ai quitté et aujourd’hui, c’est six pays. Alors si je viens de quelque part, c’est de l’ex-Yougoslavie.

Votre père était l’un des généraux de Tito, un héros de la Seconde Guerre mondiale et un partisan, tout comme votre mère. Vous avez vécu les premières années de votre vie avec votre grand-mère très croyante qui haïssait passionnément le communisme et qui passait la plupart de son temps à l’église. Avez-vous reçu une éducation religieuse d’un côté, et une éducation communiste de l’autre ?

Oui, puis il y a un autre détail. L’oncle de ma mère était un saint patriarche proclamé. Il y a donc un saint dans la famille. C’est un grand mélange. Mais mon enfance a été terrible, avec beaucoup de restrictions et de violence entre mon père et ma mère. J’étais une enfant malheureuse, mais, avec le recul, je ne changerais cela pour rien au monde. Cela m’a rendue incroyablement forte. Je fais toujours ce que je veux, sans faire de compromis.

Quelle philosophie de vie avez-vous reçue de vos parents ?

Mes parents étaient athées. Ils ne croyaient en rien, jamais. Ma grand-mère était orthodoxe. Je me suis beaucoup plus intéressée au bouddhisme, mais pas en tant que religion. J’aime la spiritualité, ce qui est une grande différence.

Adolescente, que rêviez-vous de devenir ?

Je me souviens d’un anthropologue extraordinaire, très petit et avec de grosses lunettes, qui partait chaque année pendant un an dans les endroits les plus reculés du monde, comme la Papouasie Nouvelle-Guinée, pour parler aux cannibales. À la fin de l’année, il donnait une conférence au centre culturel de Belgrade. Je n’oublierai jamais cela. J’étais toujours au premier rang avec un petit carnet et je dévorais tout ce qu’il racontait, en pensant qu’un jour je quitterais ce pays, je m’échapperais et j’irais partout pour découvrir le monde.

Plus tard, vous avez beaucoup voyagé, mais vous avez vécu dans la maison de vos parents à Belgrade jusqu’à l’âge de 29  ans, soumise à une discipline stricte et n’ayant pas le droit de sortir après 22 heures.

Oui, mais il y avait une différence incroyable entre mon père et ma mère. Mon père était un pur communiste issu d’un milieu très pauvre. Il était même allé en prison avant la Seconde Guerre mondiale et il adorait tout ce qui avait trait à la Russie et à la culture russe. Ma mère, elle, était passionnée par le français et l’art français, une vraie bourgeoise. Même lorsque j’étais au jardin d’enfants, j’allais à l’ambassade de France pour apprendre la langue en même temps que le serbo-croate. Tout ce qui était français était pour elle formidable. Mon éducation se résumait à des leçons de français et de piano.

À Édimbourg en 1973, vous avez pour la première fois « joué » avec des couteaux. Que faisiez-vous avec ?

À l’époque, je m’intéressais beaucoup à Dora Maar et à Picasso. Elle l’avait séduit parce qu’elle s’asseyait dans un de ces cafés français et jouait à planter la lame d’un couteau entre ses doigts tous les soirs. Je faisais la même chose, aussi vite que possible. Chaque fois que je me coupais, je changeais de couteau. J’enregistrais le son de l’erreur, puis je rembobinais le magnétophone après m’être coupée dix fois avec dix couteaux. J’ai ensuite écouté le son, puis j’ai pris le même couteau, j’ai fait le même jeu et j’ai essayé de répéter l’erreur au même endroit. L’idée de cette pièce était de faire coïncider le temps passé et le temps présent avec les erreurs.

Amsterdam est ensuite devenue le centre de votre vie. Vous y avez rencontré l’artiste Ulay, avec lequel vous êtes restée en couple douze ans, de 1976 à 1988. Vous vous aimiez, vous travailliez ensemble et vous vous déplaciez dans un bus Citroën.

Nous avons vécu et voyagé dans cette voiture pendant cinq ans. Nous n’avions pas d’argent, mais ce fut l’une des périodes les plus heureuses de ma vie. Ensuite, nous sommes allés en Australie où j’ai passé un an dans le désert avec deux tribus. J’avais besoin de revendiquer la planète Terre comme mon atelier.

La performance Balkan Baroque à la Biennale de Venise de 1997.
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(© Courtesy of the Marina Abramovic Archives / ProLitteris, Zurich)
La performance Balkan Baroque à la Biennale de Venise de 1997.

Comment travailliez-vous ensemble ?

Nous réfléchissions à des idées. Le plus important était de ne jamais dire de qui elle venait. Ni son ego ni le mien n’étaient présents, nous nous fondions en un seul être. Le travail portait sur les relations humaines, sur le fait de respirer le même air, de se gifler, de se crier dessus, de voir le corps dans les espaces architecturaux, dans la relation dans le temps, dans l’espace et dans le mouvement. À l’époque de ces actions très dures et radicales, notre relation était excellente. Du moment où nous avons cessé de travailler et de bouger, nous avons commencé à avoir des problèmes. Nous nous sommes séparés et notre relation est devenue un enfer.

Vous avez été l’une des premières artistes à utiliser le corps comme œuvre d’art, ou comme outil artistique… À moins que ce ne soit les deux à la fois ?

Le corps est venu plus tard. Au début, je peignais et j’étudiais les nuages. Un jour, j’ai regardé en l’air. Il n’y avait rien d’autre que le ciel vide. Et puis, venus de nulle part, douze avions supersoniques l’ont traversé en traçant des dessins étonnants. Cela m’a complètement ouvert l’esprit. Pourquoi devrais-je aller dans un atelier pour produire quelque chose de bidimensionnel alors que je peux simplement demander que douze avions fassent des dessins ? Je suis allée à la base militaire qui a appelé mon père en lui disant : « Votre fille est complètement folle. Sortez-la d’ici. » Je n’ai pas eu mes avions, mais ce n’était pas grave. À la place, je pouvais utiliser l’eau, la terre, le corps…

… et le son.

Oui, c’est avec lui que j’ai commencé mes performances. Je voulais placer des haut-parleurs sur un pont qui diffuserait le bruit de son effondrement. J’ai dû demander la permission à la mairie, qui m’a répondu que les vibrations provoquées par les ondes pourraient réellement le détruire. Alors je suis allé dans l’immeuble où je vivais et j’ai mis des enceintes partout. Les gens ont eu l’impression que le bâtiment s’écroulait ; et tout le monde est sorti en criant. Il y avait aussi un centre culturel où tout le monde venait s’asseoir et boire un café en attendant d’aller voir des spectacles ou d’aller au cinéma. À l’époque, les gens ne pouvaient pas quitter la Yougoslavie, pas pour des raisons politiques, mais parce qu’ils n’avaient tout simplement pas l’argent nécessaire pour partir. J’ai placé des haut-parleurs dans le hall avec ma voix qui annonçait les départs de la compagnie aérienne yougoslave pour Tokyo, Bangkok ou Hong Kong, tous les endroits où je n’étais encore jamais allée. Toutes les 3 ou 4  minutes, cette voix se faisait entendre, de sorte que chacun, dans cette salle, devenait passager d’un voyage imaginaire qu’il ne pourrait jamais faire. Et puis, de plus en plus, j’ai commencé à impliquer mon propre corps.

Pourquoi avez-vous décidé de montrer votre corps nu au public ?

Parce que cela me terrifiait, c’est pourquoi je l’ai fait. À Amsterdam, j’ai échangé mon rôle avec une prostituée. Je me suis assise à sa fenêtre et elle est venue dans ma galerie.

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(Marco Anelli, © Courtesy of the Marina Abramovic Archives / 2023, ProLitteris, Zurich)
The Artist is present, la célèbre performance de l’artiste au MoMA de New York en 2020.

Après avoir vécu pendant vingt-neuf ans sous le régime communiste, comment vous êtes-vous sentie quand vous êtes arrivée à Amsterdam, dans un pays démocratique ?

À Belgrade, les restrictions étaient très claires. Si vous faisiez une blague politique, vous étiez condamné à 4 ans de prison. Si vous plaisantiez sur Tito, vous preniez 6 ans. Nous connaissions les limites à ne pas dépasser et nous devions les respecter. Je les enfreignais constamment. Même si je ne suis jamais allée en prison, mon père était critiqué par rapport à mon attitude lors des réunions du parti et mes professeurs pensaient que je devais être placée dans un hôpital psychiatrique. Lorsque je suis arrivé à Amsterdam, il n’y avait plus d’interdits. Les artistes d’Europe de l’Est sont en général très forts chez eux, ils se battent contre tout, mais lorsqu’ils sortent de leur pays, ils n’ont plus rien à défendre. Être nue à Amsterdam n’était pas un problème. C’était pour moi un moyen de m’imposer de nouvelles limites à franchir.

En 1997, votre performance Balkan Baroque, dans laquelle vous dénonciez la guerre en Yougoslavie en nettoyant une montagne d’os, remportait le Lion d’or de la Biennale de Venise. Est-ce l’historien de l’art italien Germano Celant, directeur de l’exposition, qui vous a demandé de la présenter ?

Non. J’ai été invitée par le ministre de la Culture du Monténégro pour représenter le pavillon du Monténégro et de la Yougoslavie. Lorsque j’ai proposé ma pièce, il a déclaré que ce n’était pas de l’art et qu’il ne me donnerait jamais ce lieu. Germano Celant en a entendu parler et m’a dit qu’il restait un espace dans la cave de la section principale de la Biennale. Je lui ai répondu que c’était un endroit parfait pour réaliser cette performance.

Laquelle fera partie de l’exposition au Kunsthaus de Zurich en septembre prochain, tout comme « House with an Ocean View » une œuvre de 2002 où vous vous êtes privée de manger pendant douze jours. Comment fait-on pour endurer cela ?

C’est pour ça que le communisme fonctionne, parce qu’il vous endurcit. Ce qui vous donne de la concentration, de la volonté, de la détermination, ainsi que du courage.

Aujourd’hui dans vos expositions, certaines de vos premières œuvres sont interprétées par des artistes plus jeunes. Je pense aux deux performeurs nus d’Imponderabilia, entre lesquels les visiteurs passent. Pourquoi ?

Parce que je l’ai déjà fait. Cela m’intéresse bien plus d’expérimenter de nouveaux formats. Je dirige maintenant des opéras et des ballets. Les artistes de ma génération détestaient l’idée que quelqu’un d’autre prenne leurs œuvres et les réinterprète. C’est une attitude tellement égoïste ! Pour moi, l’œuvre doit devenir indépendante, avoir sa propre vie et être offerte au monde.

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(ProLitteris, Zurich)
Imponderabilia de 1977. L’une de ses actions historiques que l’artiste fait désormais rejouer par d’autres performeurs.

Pourquoi soumettre votre corps à un tel stress, parfois même à la limite du danger ?

Je m’inspire de cultures anciennes dont les rituels traitent toujours de la mort. Il ne s’agit pas de faire souffrir son corps, mais plutôt de repousser les limites physiques pour atteindre un autre état de conscience et comprendre la vraie réalité. C’est très philosophique. Lorsque vous faites des choses que vous aimez, vous ne pouvez jamais changer. Si vous faites des choses qui vous font peur et que vous repoussez les frontières de l’espace vers un territoire inconnu où vous n’êtes jamais allé, vous commencez à comprendre l’univers. C’est pourquoi toutes les cultures anciennes ont ce genre de rituel. La performance est, à bien des égards, une recherche dans ce sens.

Maintenant, je dois également considérer les limites de mes capacités physiques, car il faut tenir compte de mon âge. Et aussi de l’expérience. J’ai joué The Artist is Present à 65 ans. Je n’aurais jamais pu interpréter cette performance quand j’étais jeune, car je n’avais pas la sagesse, la concentration et la détermination nécessaires.

Justement, The Artist Is Present est l’une de vos performances les plus fortes. Vous l’avez réalisée en 2010 au MoMA en invitant les visiteurs du musée à s’asseoir en face de vous. Vous êtes restée assise, en silence, huit heures par jour pendant trois mois. N’était-ce pas très éprouvant ?

C’était un silence créatif dans la tornade d’un musée où tout le monde court pour voir les différentes salles, aller à la bibliothèque, au café. Klaus Biesenbach, le conservateur du MoMA à l’époque, me disait que personne n’allait s’asseoir là parce que personne n’a le temps en Amérique. Non seulement les gens se sont assis, mais des centaines de personnes dormaient devant le musée, des milliers faisaient la queue pour passer du temps avec un artiste vivant. La fréquentation de l’exposition a battu un record absolu. J’ai alors compris que la fonction du musée devait changer. Le public n’y vient pas pour regarder quelque chose. Aujourd’hui, il a besoin de faire partie d’une énergie vitale qui est aussi une forme matérielle d’art hautement émotionnelle.

À quoi pensiez-vous en face de toutes ces personnes ?

À être là dans l’instant, dans le présent. Si vous restez assis à rêvasser, vous ne verrez jamais la réalité. L’idée était d’arrêter de penser pour capter l’énergie de la personne assise en face de moi. Pendant trois mois, j’ai considéré chaque jour comme le dernier. Je me suis beaucoup entraînée pendant un an, comme une astronaute, pour apprendre à manger et à boire la nuit, et à dormir suffisamment pour ne jamais devoir aller aux toilettes pendant la journée. C’était très difficile.

Et puis Ulay, avec qui vous aviez rompu une vingtaine d’années auparavant, est soudainement apparu et s’est assis à votre table. Comment avez-vous ressenti ce moment ?

Je ne savais pas qu’il viendrait et ce fut un choc. C’est la seule fois où j’ai enfreint la règle qui m’interdisait d’entrer en contact avec la personne en face de moi. J’ai simplement tenu sa main. Nous n’avons pas parlé, mais beaucoup pleuré. La vie était si intense, si incroyablement forte entre nous. L’amour et la haine… Quand on aime, on déteste aussi. Tout cela était réuni dans ce moment qui a touché des milliers de personnes.

Votre vie a été faite de voyages, d’expériences extrêmes, de spectacles, de recherches, de maîtrise de votre tempérament, de votre caractère, de votre corps. Avez-vous trouvé un sens à tout cela ?

Oui, bien sûr. Lorsque j’ai eu 70 ans, j’ai écrit un livre intitulé Walk Through Walls, car lorsque je vois un mur, je le brise, je le traverse et derrière, il y a un autre mur à briser, à traverser… et ainsi de suite. Je l’ai dédié à mes amis et à mes ennemis, à mes amis qui sont devenus des ennemis et à mes ennemis qui sont devenus des amis. Honnêtement, quand je pense à ce que j’ai vécu, à ce que je vis encore, j’ai eu une vie incroyable.

Portal, 2022.
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(Oak Taylor Smith for Factum Arte, © Courtesy of the Marina Abramovic Archives / 2023, ProLitteris, Zurich)
Portal, 2022.

Quel rapport entretenez-vous avec le monde très technologique d’aujourd’hui ?

Je l’aime et je le déteste à la fois. La technologie a été inventée pour que les êtres humains aient plus de temps, mais nous en sommes dépendants et accros. Les gens ne s’intéressent plus à l’intuition ou à la télépathie. Il est bien plus important d’écouter la sagesse de son propre corps. C’est pourquoi la performance est si importante pour moi. J’apprends toutes ces choses pour les utiliser ensuite dans mes spectacles et les transmettre dans les cours que je donne à l’Institut Marina Abramovic.

Qu’est-ce que vous y enseignez ?

La première chose que nous faisons lorsque vous y entrez, c’est de confisquer votre téléphone, votre ordinateur et votre montre pendant dix jours. Ensuite, vous ne parlez ni ne mangez pendant cinq jours. Vous effectuez des exercices simples : ouvrir et fermer une porte, par exemple. Et puis c’est tout. Vous faites cela pendant trois heures, très lentement, et au bout d’une heure, la porte devient l’univers, devient une réponse à la conscience, devient quelque chose d’autre. Ces exercices vous transforment complètement.

Êtes-vous un bon professeur ?

Je le pense, parce que j’ai formé des groupes entiers de jeunes artistes qui n’ont rien à voir avec mon propre travail. C’est très important. Je ne veux pas créer de petits Abramovic. Je veux que les gens se trouvent eux-mêmes.

Leur apprenez-vous à comprendre ce qu’est un artiste ?

Oui. Si vous, ou quelqu’un d’autre veniez, à l’Institut en me disant: « Je veux être un artiste », je le renverrais. On ne peut pas vouloir être un artiste. On l’est ou on ne l’est pas. L’art, c’est comme respirer ou se réveiller le matin. Vous ne les remettez pas en question. De la même manière, si vous devez créer, vous ne remettez pas en question la création.

Quels sont les artistes que vous aimez vraiment ?

Rothko, Van Gogh, Yves Klein. J’aime les artistes qui inventent un nouveau langage, qui changent la façon dont la société pense.

Vous êtes une artiste à succès. Comment vivez-vous cette célébrité ?

Elle ne doit jamais être la raison principale pour devenir artiste. La célébrité va et vient. J’y fais très attention, car l’ego est un obstacle qui peut être nuisible.

Comment gérez-vous le vôtre ?

En restant humble. Je ne pense pas être la meilleure du monde. Sinon, mon travail ne serait pas créatif et ne serait que foutaise. L’absence d’ego est nécessaire si vous devenez célèbre. Cela vous donne la possibilité d’être entendu, et lorsque vous êtes une voix à entendre, ce que vous dites est primordial. Le plus important pour moi dans mon travail, c’est d’élever l’esprit des gens. C’est tout.

Crystal Wall of Crying, 2021.
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(© Courtesy of the Marina Abramovic Archives / 2023, ProLitteris, Zurich)
Crystal Wall of Crying, 2021. Un mémorial en hommage au massacre de Babi Yar, près de Kiev, où 33’000 juifs furent exécutés par les nazis.

Vous aimez toujours autant enfreindre les règles ?

Plus maintenant, mais l’art ne se limite pas à une belle peinture assortie à la moquette. L’art doit être dérangeant. L’art doit poser des questions, être dynamique, prédire l’avenir. Il doit exprimer plusieurs niveaux de signification pour que chaque société puisse y puiser ce dont elle a besoin. Seul ce type d’art a une longue durée de vie. Sinon, il est immédiatement rejeté comme les vieux journaux.

Est-ce pour cela que vous avez ressenti le besoin de vous exprimer très vite contre la guerre en Ukraine ?

Lorsque Volodymyr Zelensky est devenu président du pays, il m’a invitée à créer un mémorial. Il est installé à Babi Yar, près de Kiev, là où les nazis ont exécuté 33’000 juifs en trois jours et les ont enterrés dans une fosse commune. Crystal Wall of Crying est un mur de 40  mètres fait de charbon et hérissé de cristaux. Les présidents allemand et israélien sont venus l’inaugurer. Deux mois plus tard, les Russes envahissaient l’Ukraine. La première chose qu’ils ont bombardée était une tour située à quelques centaines de mètres du mémorial qui n’a pas été touché. Il est toujours là, préservé, ce que je n’arrive toujours pas à croire. Si ce mur survit, je serai la première artiste à avoir réalisé un monument qui commémore deux moments terribles de l’histoire de l’humanité : la Seconde Guerre mondiale et l’invasion russe.

Votre vie est-elle votre œuvre d’art ?

Ce sont deux choses que je ne peux pas séparer. Mes idées viennent de la vie. Le contexte fait l’histoire et je place ma vie dans le contexte de l’art. C’est mon travail. C’est de l’art.

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