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La beauté au bout du monde

Au Musée Barbier-Mueller, les photographies du franco-vietnamien Jean-Baptiste Huynh font écho aux œuvres de la collection de l’institution. Un voyage à travers le temps et les cultures où le beau et les âges de la vie servent de fi ls rouges.

« Flower Children – Portrait 57 ».
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(Jean-Baptiste Huynh)
« Flower Children – Portrait 57 ».

Comment est née cette exposition ?

D’une proposition de Caroline Barbier-Mueller après qu’elle a vu, à Paris, mon travail en immersion chez les Enfants-fleurs, un peuple qui vit au fin fond de l’Éthiopie, dans la baie de la rivière Omo. L’idée était de créer des dialogues entre les œuvres de la collection Barbier-Mueller et mes photographies que je prends depuis une trentaine d’années partout sur la planète. Ce projet, c’est aussi la convergence entre deux démarches similaires, celle d’un artiste et d’une famille de grands collectionneurs qui, comme moi, parcourent le monde en quête de beauté et de compréhension des cultures et des rites.

Vous avez intitulé votre exposition « Échos ». Le terme renvoie pourtant davantage à un mot qui se répète qu’à un dialogue ?

Au départ, le fil conducteur de l’exposition était le dialogue. Avec Caroline et sa fille Alix, nous avons ensuite réfléchi à quelque chose de moins terre à terre et qui évoque davantage l’onirisme. J’ai fait la proposition du mot « écho » qui renvoie aussi au son. Cette notion de réflexion et de miroir est cruciale dans mon travail. Mes photographies ne cherchent pas seulement à faire des associations entre une forme et une autre, entre une couleur et une autre. Elles sont aussi des évocations profondes qui font appel à la mémoire sensorielle du spectateur et à son introspection, comme dans le cas d’une main ridée ou d’un objet. Avec l’équipe du musée, nous avons également choisi de regrouper mes photographies autour des grandes étapes de la vie : la fécondité, la naissance, la maternité, la vieillesse, l’amour, la mort et l’au-delà. Et cherché, à partir de ces thèmes, les objets capables de les évoquer.

Un appui-nuque Teke de la République démocratique du Congo provenant de la collection du Musée Barbier-Mueller fait écho à « Intime Infini – Lune » du photographe.
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(Jean-Baptiste Huynh / Musée Barbier-Mueller)
Un appui-nuque Teke de la République démocratique du Congo provenant de la collection du Musée Barbier-Mueller fait écho à « Intime Infini – Lune » du photographe.
Un appui-nuque Teke de la République démocratique du Congo provenant de la collection du Musée Barbier-Mueller fait écho à « Intime Infini – Lune » du photographe.
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(Jean-Baptiste Huynh / Musée Barbier-Mueller)
Un appui-nuque Teke de la République démocratique du Congo provenant de la collection du Musée Barbier-Mueller fait écho à « Intime Infini – Lune » du photographe.

Le dialogue se trouve aussi bien dans des correspondances évidentes entre le sujet photographié et l’objet. Est-elle aussi plus allusive ?

Il y a des correspondances qui sautent aux yeux. Si vous prenez cet enfant de la tribu des Enfants-fleurs qui est exposé avec un fétiche, vous trouverez le rapport à la coiffe à plumes, mais aussi des similarités en termes de taille et d’âge. Juste à côté, un autre enfant de ce peuple est accompagné d’un plat d’offrande égyptien. La photo le montre tendant une feuille qui contient de l’eau, l’élément fondamental de la vie. L’écho entre l’image et l’objet se répercute ici dans la symbolique du don nourricier. On retrouve ce rapport métaphorique dans cette idole iranienne que j’ai mise en miroir avec un de mes nus dont le nombril en gros plan est à la fois un paysage, une image abstraite qui ressemble à un petit tableau de Lucio Fontana et le symbole du lien à la mère.

Les photographies que vous présentez couvrent trente ans de votre carrière. Vous n’en avez pas produit de spécifiques pour cette exposition ?

Non, en revanche, pour le catalogue, j’ai décidé de photographier devant mon fond noir toutes les œuvres de la collection que j’ai retenues. Je les ai ensuite mises en face de mes images, à l’échelle. Cela afin de créer des dialogues qui, dans le livre, se retrouvent sur un même niveau.

Exposition « Échos »
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(Musée Barbier-Mueller, photo Kim Chanel)
Deux vues de l’exposition « Échos » qui associe une amulette aux deux doigts égyptienne de l’époque ptolémaïque (664-30 avec J.-C.) et un masque Iraqwe de Tanzanie.

Dans le catalogue, le rapport entre les objets et les photographies est en effet très différent de ce qu’on peut voir au Musée Barbier-Mueller. Le livre se propose-t-il ainsi comme une sorte de deuxième exposition ?

C’est un deuxième voyage, en effet. Prenez le visage et le masque de la couverture. Dans l’exposition, ils se trouvent dans des proportions très différentes et dans une tout autre mise en scène. Dans le livre, la jeune femme regarde le masque qui nous regarde, comme une sorte de métaphore du concept de l’écho. Même chose avec l’appui-nuque du Congo que j’associe à une photo de la Lune. Ici, il y a une correspondance évidente entre le galbe du premier et le croissant de la seconde. Le parti pris est de souligner le cercle, mais aussi d’évoquer une similitude moins visuelle et plus symbolique : l’appui-nuque, c’est un objet pour dormir et donc un appel au rêve que représente la Lune.

Exposition « Échos »
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(Musée Barbier-Mueller, photo Kim Chanel)
Deux vues de l’exposition « Échos » qui associe une amulette aux deux doigts égyptienne de l’époque ptolémaïque (664-30 avec J.-C.) et un masque Iraqwe de Tanzanie.

A-t-il été compliqué de trouver des correspondances ?

La collection Barbier-Mueller compte 6000 pièces, alors oui le travail a été assez ardu. D’autant qu’il ne s’agissait pas de m’envoyer une centaine de photos pour que je fasse mon choix. Je tenais à vivre en immersion à l’intérieur de cette collection. Je suis venu à Genève plusieurs fois et j’ai fonctionné au coup de cœur, comme je le fais lorsque je me trouve au fin fond de l’Éthiopie, au Mali ou au Japon et que je choisis un visage qui m’inspire de manière complètement intuitive et sensible.

Vous photographiez des visages, mais aussi des mains. Les mains sont un grand sujet d’étude chez les artistes. On pense à Rodin qui les considérait comme des cathédrales. Et chez vous, quelles significations prennent-elles ?

La main est le siège de l’unique sens qui ne se trouve pas sur le visage. Le toucher permet l’incarnation de l’intelligence de la matière, de la fabrication de l’objet, de l’outil et de la création de l’écriture.

Un poisson des Îles Salomon en dialogue avec la photo « Mains 8 ».
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(Jean-Baptiste Huynh / Musée Barbier-Mueller)
Un poisson des Îles Salomon en dialogue avec la photo « Mains 8 ».
Un poisson des Îles Salomon en dialogue avec la photo « Mains 8 ».
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(Jean-Baptiste Huynh / Musée Barbier-Mueller)
Un poisson des Îles Salomon en dialogue avec la photo « Mains 8 ».

Vous travaillez dans des régions parfois très éloignées, où les rites et la vie des communautés sont encore préservés. Nourrissez-vous une appétence pour l’ethnographie ?

J’en ai une connaissance intuitive et pas du tout universitaire. J’aime me plonger dans ce type de collections. Le Louvre m’avait donné carte blanche afin de porter mon regard sur certaines de ses œuvres. Le Musée Guimet m’avait également invité comme artiste en résidence pour apporter une vision contemporaine et renouvelée des œuvres qu’il conserve. J’adore découvrir les objets, qu’ils soient d’art ou du quotidien, et me les approprier avec ma photographie.

De la même manière que chaque portrait recèle une histoire, l’objet raconte-t-il quelque chose ?

Bien sûr. Ce que j’aime surtout, c’est lui donner un sens autre que sa fonction. Ce plat d’offrande égyptien par exemple. Dans la réalité, vous tournez autour, vous observez qu’il est concave et convexe. Ce qui n’apparaît pas sur ma photo. Représenté frontalement, vous ne voyez qu’un cercle qui est à la fois le symbole du cycle et de l’infini.

« Louvre », une image prise par Jean-Baptiste Huynh.
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(Jean-Baptiste Huynh)
« Louvre », une image prise par Jean-Baptiste Huynh à travers la canopée du toit du Louvre Abu Dhabi de Jean Nouvel.

Vous photographiez tous vos sujets sur un fond noir et carré. Pourquoi ?

Le fond noir est vraiment mon langage photographique. Je parlais de la notion d’immersion tout à l’heure. J’aime la concentration que j’ai devant mon fond noir, avec un seul objet, ou un seul visage, éclairé avec une seule source de lu-mière. Ainsi, il devient une sorte de métaphore de l’objet ou du visage au-delà de sa propre description. Le fond noir permet aussi de sortir le sujet de son contexte social. Vous ne pouvez pas dire où il a été pris, dans quelle circonstance, dans quel pays. Il devient une sorte d’abstraction, de symbole de lui-même.

Est-ce facile de convaincre les gens de se prêter à cet exercice ?

Facile n’est pas le mot qui me vient à l’esprit. Je dirais que la confiance est primordiale. Se trouver devant un appareil extrêmement précis, avec un fond noir et une lumière particulière, dans un rapport de face-à-face, ce n’est pas une situation de la vie courante. L’acceptation du sujet photographié, du vieillard, de la femme dans sa nudité est indispensable, sinon il n’y a pas d’image. Il y a tout un travail en amont pour me faire accepter par la communauté à qui je rends visite. J’installe mon petit studio et j’incite les gens à venir. Je choisis ensuite l’angle qui montrera à la fois l’intériorité de la personne à travers la présence du regard, tout en éliminant les tensions qu’il y a dans le visage pour obtenir une image intemporelle et la plus paisible possible.

« Kenya – Portrait 61 ».
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(Jean-Baptiste Huynh)
« Kenya – Portrait 61 ».

Vous avez mis en dialogue une petite sculpture des Cyclades avec un de vos grands nus en noir et blanc. L’image fait penser à certains travaux de photographes surréalistes. L’histoire de la photographie vous sert-elle parfois de référence ?

Je suis un autodidacte qui s’est nourri de livres et d’expositions de peintures et de photos. Tout mon langage pictural a été construit à partir de ces images qui se sont imprimées dans ma mémoire visuelle. Mon prochain projet aura pour sujet la représentation du corps à travers des chefs-d’œuvre de Michel-Ange, Bacon et Dürer en collaboration avec un danseur étoile de l’Opéra de Paris. Cela dit, le nu, chez moi, n’est pas du tout érotique. Il représente la quête de la beauté c’est certain, mais c’est davantage la sensualité de la peau et la beauté de l’architecture du corps qui m’intéressent.

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