Façade d'un pub irlandais typique dans la ville de Dingle,
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Façade d'un pub irlandais typique dans la ville de Dingle, "capitale" de la péninsule de Dingle. Comté de Derry.
N° 122 - Printemps 2017

L’Irlande et les Irlandais : beauté et lutte vont de pair

À quoi pensez-vous lorsque vous entendez le mot « Irlande » ?

Île à la beauté sauvage empreinte d’une résonance quasi mythique située sur la partie de l’Atlantique la plus à l’ouest de l’Europe, son nom est certainement évocateur et peut être associé à toute une série de visions, d’idées et de qualificatifs. Que vous inspire l’Île d’Émeraude, une expression inventée pour décrire les magnifiques paysages luxuriants et verdoyants d’Irlande, conséquence particulièrement positive de sa pluviométrie élevée ? Et puis il y a les gens connus pour leur convivialité, leur hospitalité et la facilité qu’ils ont à raconter une bonne histoire, et pourtant le mot même d’« Irlande » peut aussi évoquer des notions moins harmonieuses de divisions, de discordes et de conflits sanglants. Et puis il y a les deux icônes mondiales de tout ce qui est irlandais : Guinness et saint Patrick, les plus improbables des alliés, la symbolique ancienne de l’amour des Irlandais pour la bière et ses effets, le second tout compte fait plus sobre dans son symbolisme au centre de l’Église catholique romaine d’Irlande.

Scène de rue bondée dans le centre de la ville de Galway, Irlande.
Scène de rue bondée dans le centre de la ville de Galway.
Statue d’Oscar Wilde. Square Merrion, à Dublin.
Statue d’Oscar Wilde. Square Merrion, à Dublin.
Statue de James Joyce. O’Connel Street, dans le centre de Dublin.
Statue de James Joyce. O’Connel Street, dans le centre de Dublin.

À l’image de la vie, l’Irlande est un mélange de paradoxes apparemment incompatibles qui, d’une certaine manière, s’entremêlent pour créer un pays fascinant. Mais j’ai déjà marché sur un champ de mines en utilisant le mot « Irlande » à la légère. L’île d’Irlande est divisée entre la République d’Irlande indépendante, constituant la grande majorité de l’île, et l’Irlande du Nord située au nord-est qui fait partie intégrante du Royaume-Uni. Le gouvernement de la République d’Irlande, à Dublin, soutient que l’île doit être, et qu’elle sera un jour unie comme un pays indépendant, refusant obstinément de reconnaître l’existence de la frontière. La réponse de Belfast, la capitale de l’Irlande du Nord, est un « non » très ferme, même s’il s’agit, du moins ces temps-ci, d’une réponse négative polie, mais les deux parties se parlent maintenant.

Après que diverses factions se sont combattues en Irlande du Nord pour la maîtrise de leur destin jusqu’à la fin des années 1970 et 1980, la paix règne maintenant, même si tout n’est pas harmonieux depuis, au moins suffisamment pour faire de toute l’Irlande un endroit attrayant à visiter. La paix aide aussi à donner une image positive de la République qui a célébré en 2016 ses cent ans d’indépendance.

Comté de Kerry, vue vers le nord, depuis Clogher Point, à l'extrême ouest de la péninsule de Dingle. L'une des parties les plus sauvages, les plus magnifiques et les plus renommées de la côte atlantique de l'Irlande.
Comté de Kerry, vue vers le nord, depuis Clogher Point, à l'extrême ouest de la péninsule de Dingle. L'une des parties les plus sauvages, les plus magnifiques et les plus renommées de la côte atlantique de l'Irlande.

Un paysage ancien et la marque de l’humanité

Regardons d’abord le décor. Le versant est relativement abrité est un endroit avec une fissure est-ouest bien délimitée, un paysage agricole composé de collines vallonnées d’un vert intense, ponctué par la plupart des plus grandes villes d’Irlande et interrompu par deux petits massifs montagneux : les Montagnes de Mourne en Irlande du Nord et les Montagnes de Wicklow au sud-est de la République.

À l’ouest, exposée aux vents et à la pluie battante venant de l’Atlantique, s’étend l’Irlande folklorique, une terre de montagnes accidentées, entrecoupées de tourbières, de cultures et de villes, concentrant le plus de zones abritées. La côte atlantique consiste en une série spectaculaire d’alternances d’anses abritées, de grandes baies, de falaises accidentées, de vastes dunes ondulées et de plages de sable blanc d’une beauté stupéfiante.

Dans ce paysage sont éparpillés les restes de presque toutes les époques des implantations humaines. Les plus anciennes de toutes sont les tombes de Brú na Bóinne, au nord de Dublin, qui n’ont été mises au jour qu’au cours des dernières années, et sont considérées comme étant significativement plus anciennes que Stonehenge en Grande-Bretagne. Des tombes d’un âge et style similaires ont également été découvertes à l’ouest de l’Irlande, près de la ville de Sligo. Une myriade d’autres sites préhistoriques sont éparpillés à travers le pays, depuis une série de tumulus et de fossés sur la colline de Tara, centre des anciens rois d’Irlande, jusqu’au Dolmen néolithique de Poulnabrone, une tombe mégalithique dans la région du Connemara, ou le simple cercle de pierres de Drombeg sur la côte sud, près de Cork.

Si l’on passe directement aux premières années de l’ère chrétienne, il est difficile d’échapper à l’impression que l’Irlande abrite plus de ruines d’édifices religieux au kilomètre carré que tout autre pays sur Terre. Depuis les ermitages et monastères datant du début du Ve siècle, qui a vu l’apparition du christianisme irlandais, jusqu’au XVIe siècle, presque chaque sommet de colline, promontoire rocheux et village serait tout simplement incomplet sans au moins une ruine. Parmi les plus célèbres d’entre elles figurent celles de Glendalough et le superbe Rocher de Cashel, les deux étant des monastères en ruine, la première datant du XXIe siècle et la seconde du XXIIe siècle. Alors que Glendalough se trouve dans un splendide isolement, entouré par la forêt au cœur des montagnes de Wicklow, Cashel est perché en haut d’une colline juste au nord d’une ville du même nom, à l’extrême sud de l’Irlande.

Viennent ensuite les châteaux. Des vagues successives d’envahisseurs ont déferlé sur l’Irlande pour tenter de s’y établir et de la dominer. Les Vikings semblent avoir laissé des traces visibles, en dehors des noms de lieux, mais les Anglo-Normands qui les ont suivis y ont laissé des chapelets de châteaux, en particulier la forteresse de Trim, au nord-ouest de Dublin, et Carrickfergus en Irlande du Nord. De nombreux autres sont dispersés à travers toute l’Irlande, mais un de mes favoris est Dunluce, un édifice du XVIe siècle, perché de manière pittoresque sur des falaises dominant la mer près de Coleraine, également en Irlande du Nord.

D’autres, datant principalement de la présence britannique plus récente en Irlande, sont toujours utilisés comme hôtels particuliers, et souvent entourés de magnifiques jardins qui constituent aujourd’hui des attractions touristiques majeures.

Cercle de pierres préhistoriques de Drombeg, dans la campagne qui longe la côte, à l'ouest de Cork, en Irlande.
Cercle de pierres préhistoriques de Drombeg, dans la campagne qui longe la côte, à l'ouest de Cork.
Le château de Dunluce, près de Portrush, sur la côte nord de l'Irlande du Nord.
Le château de Dunluce, près de Portrush, sur la côte nord de l'Irlande du Nord.

Le peuple irlandais

Aujourd’hui, l’Irlande est sans aucun doute le cœur de la culture celtique, probablement le centre d’inspiration de toutes les communautés celtes/gaéliques fragmentées d’Europe de l’Ouest. Le gaélique irlandais est toujours majoritairement parlé, même si, comme langue d’usage quotidien, elle se limite surtout à des zones restreintes à l’ouest de l’Irlande, appelées région de Gaeltacht, essentiellement dans les comtés de Donegal, Clare, Mayo, Galway et Kerry. Cependant, toute la signalisation de la République est bilingue anglais-gaélique, à l’exception de la région de Gaeltacht où l’anglais disparaît, laissant les visiteurs livrés à eux-mêmes pour comprendre l’orthographe gaélique !

Avec la Guinness, la littérature a probablement été le plus grand cadeau que l’Irlande ait fait au monde. Quelques-uns des écrivains de langue anglaise les plus connus au monde sont Irlandais, en premier lieu James Joyce et Oscar Wilde, mais également de grands auteurs comme Samuel Beckett, Jonathan Swift, WB Yeats et George Bernard Shaw. Ce talent créatif se retrouve aussi dans la musique, principalement dans les chants folkloriques traditionnels, et il semble qu’aucun pub irlandais ne serait digne de ce nom sans son groupe de musiciens jouant du violon, de l’accordéon ou du banjo. Même si cela est le plus souvent très agréable, l’effet se produit dans certaines régions les plus touristiques d’Irlande là où les pubs affichent « Musique traditionnelle irlandaise en public » avec des résultats variables.

La vielle, un instrument traditionnel irlandais. Un musicien jouant dans une rue du centre de Galway, Irlande.
La vielle, un instrument traditionnel irlandais. Un musicien jouant dans une rue du centre de Galway.
Scène de vie. Des musiciens jouant de la musique traditionnelle dans une rue du centre de Galway, Irlande.
Scène de vie. Des musiciens jouant de la musique traditionnelle dans une rue du centre de Galway.
Le Rocher de Cashel, une des ruines les plus emblématiques du début du christianisme, est situé juste aux abords de la ville de Cashel, près de la ville de Cork en Irlande.
Le Rocher de Cashel, une des ruines les plus emblématiques du début du christianisme, est situé juste aux abords de la ville de Cashel, près de la ville de Cork.

Religion et oppression

Il y a ensuite la religion irlandaise, la catholique, loyale à la République, et le protestantisme majoritaire en Irlande du Nord. Pendant des siècles, le catholicisme a été une force d’unification et incontournable de la société irlandaise, mais son opposition aux protestants a également été la source du conflit qui a régulièrement déchiré l’île.

Le catholicisme s’est propagé très rapidement en Irlande au cours du Ve siècle d’évangélisation de saint Patrick. Malheureusement, du XVIe siècle au XVIIIe siècle, l’Irlande est devenue la ligne de front de la Grande-Bretagne protestante dans sa lutte pour se débarrasser du catholicisme, ce qui explique toutes ces ruines. Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, les grandes familles protestantes anglaises, résolument loyales à la couronne britannique, se sont délibérément « plantées » en Irlande, les terres et le pouvoir ayant été confisqués aux catholiques irlandais et remis à ces nouveaux immigrants. Cela a eu pour résultat une Irlande peuplée principalement de catholiques appauvris et gouvernés par une élite protestante, créant inévitablement une bombe à retardement pour le futur.

En 1695, le gouvernement britannique a interdit toutes les expressions issues de la culture irlandaise, y compris le catholicisme, une interdiction qui a duré jusqu’à la seconde moitié du XIX e siècle, lorsque les restrictions ont été progressivement assouplies. Un retour en force d’une pratique libre du catholicisme a rapidement fait écho aux appels de plus en plus pressants à l’indépendance, et jusqu’à ce jour les lignes de combats qui existent encore en Irlande du Nord restent largement calquées sur les lignes religieuses – les loyalistes pro-britanniques essentiellement protestants, et les républicains pro-indépendance presque tous catholiques.

Attraction touristique la plus populaire de Dublin. Verser de la Guinness comme seuls les Irlandais savent le faire, au Gravity Bar, dans l'Entrepôt Guinness.
Attraction touristique la plus populaire de Dublin. Verser de la Guinness comme seuls les Irlandais savent le faire, au Gravity Bar, dans l'Entrepôt Guinness.
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Peinture murale sur la façade d'un pub. Ville de Dingle,
Attraction touristique la plus populaire de Dublin. Verser de la Guinness comme seuls les Irlandais savent le faire, au Gravity Bar, dans l'Entrepôt Guinness.
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Scène de nuit dans la ville de Galway en Irlande.
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Rébellion et indépendance

L’indépendance a commencé à devenir une réalité à la suite de l’Insurrection de Pâques en avril 1916. À l’origine, l’insurrection était elle-même très impopulaire même pour de nombreux Irlandais, et a été facilement réprimée. Mais l’exécution des leaders a instantanément créé des martyrs, ce qui a entraîné une guérilla sanglante ayant débouché sur l’indépendance de 26 comtés sur les 32 que compte l’Irlande, et officiellement garantie par le traité du 6 décembre 1921. Les six comtés du nord-est sont restés au Royaume-Uni et en font toujours partie, ce qui reflète la position dominante des protestants pro-britanniques irlandais dans la région.

Le conflit des années 1970 et 1980 a commencé avec les manifestations en faveur des droits civiques à la fin des années 1960 par les catholiques nord-irlandais, à l’initiative de la ville de Derry (ou Londonderry pour les protestants), fatigués de subir la discrimination anti-catholique systématique pratiquée par le gouvernement local composé essentiellement de protestants. Les manifestations ont rapidement dégénéré en combats de rue entre l’armée républicaine irlandaise et l’armée britannique, qui se sont prolongés jusqu’à ce qu’ils débouchent sur une impasse et que la paix soit rétablie à la fin des années 1990 et au début des années 2000.

Pendant et après le conflit, les passions des catholiques et des protestants en Irlande du Nord s’exprimaient fréquemment par des peintures sur les murs des immeubles. Elles existent toujours aujourd’hui, aussi bien à Derry qu’à Belfast, celles de Derry notamment sont désormais des attractions touristiques, même si certaines ne sont pas faciles à voir.

Les blocs de lave hexagonaux composent la magnifique Chaussée des Géants. Sur la côte nord de l'Irlande du Nord, une icône touristique qui attire des hordes de visiteurs.
Les blocs de lave hexagonaux composent la magnifique Chaussée des Géants. Sur la côte nord de l'Irlande du Nord, une icône touristique qui attire des hordes de visiteurs.

Visiter l’Irlande

En dépit du passé trouble de l’Irlande du Nord, aujourd’hui toute l’Irlande est un lieu extrêmement accueillant et fascinant à visiter. Dublin est une ville colorée et animée dont l’attraction numéro un est l’Entrepôt Guinness, un centre de visiteurs au cœur de l’immense brasserie Guinness. Plus loin se trouve le Trinity College, dont les attractions sont d’un tout autre ordre, comme la magnifique « Long Room » de la bibliothèque et le musée du Livre de Kells, probablement l’un des plus anciens livres existant au monde, réalisé autour de l’an 800. D’autres attractions touristiques urbaines incluent l’Expérience du Titanic à Belfast, un musée très moderne bâti sur le lieu même de la construction du Titanic, les peintures murales de Derry et les rues de la ville typiquement gaélique de Galway.

En dehors de ces curiosités urbaines, les attractions reines de l’Irlande sont sa côte et sa campagne : que ce soient les colonnes hexagonales de lave de la Chaussée des Géants sur la côte nord de l’Irlande du Nord ; les montagnes, forêts et lacs du Parc national de Killarney ; le littoral accidenté, les plages magnifiques des péninsules de Dingle et Kerry au sud-ouest ; et les falaises à pic de Moher à l’ouest. En visitant ces endroits, on comprend pourquoi l’Irlande est aussi appelée l’Île d’Émeraude.

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Rubriques
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