N° 127 - Automne 2018

Le couvent des capucins : une histoire mouvementée

Monument d’importance nationale, le couvent des capucins de Sion a déchaîné les passions dans les années 1960 par son trop grand modernisme. Aujourd’hui, il ne reste que trois frères et le couvent a été repris par la bourgeoisie, qui rêve d’en faire une étape incontournable de la visite de la ville de Sion.

Chœur intérieur avec vue sur l’église. Le lieu de prière des capucins.
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© Bourgeoisie de Sion
Chœur intérieur avec vue sur l’église. Le lieu de prière des capucins.
Chœur intérieur du couvent. Œuvre d’Alberto Burri.
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© Bourgeoisie de Sion
Chœur intérieur du couvent. Œuvre d’Alberto Burri.

Au nord de la capitale du Valais, près du cimetière de Saint-François, le couvent des capucins est l’un des seuls monuments valaisans d’importance nationale avec l’église d’Hérémence. Il marie harmonieusement l’ancien et le moderne, selon les historiens de l’architecture actuels. La rénovation du couvent de 1962 à 1968 par un élève du Corbusier, Mirco Ravanne, avait pourtant déchaîné les passions et les critiques dans le canton et même au-delà. Dans les années 1960 mais encore 1970, la controverse est largement répercutée par la presse : « Nouvelle verrue au coteau ? » se demande un lecteur anonyme du Confédéré, un journal local. L’architecture était qualifiée de trop moderne, l’utilisation du béton armé avait choqué certains capucins, qui refusaient d’y loger.

Mirco Ravanne y avait mis en pratique les leçons de son maître avec l’utilisation d’éléments cubiques et le Modulor, sorte de proportion idéale modulée selon les proportions du corps humain. Cinquante ans plus tard, l’architecture ne fait plus débat mais le nombre de capucins est passé de plus de 40 à 3.

Autrefois, le couvent logeait près de 20 étudiants en théologie, au maximum. L’avenir ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices pour la communauté des capucins. Le couvent et ses dépendances ont été repris en totalité en 2010 par la Bourgeoisie de Sion, qui était déjà propriétaire des terrains. Elle s’est engagée à loger gratuitement les capucins tant qu’ils seront présents au couvent. L’aile Est est déjà occupée depuis 1992 par la Fondation Emera, qui loge actuellement 32 personnes handicapées. Cette dernière paie un loyer assez important à la Bourgeoisie de Sion pour pouvoir occuper les lieux.

Couvent des capucins. Péristyle avec fontaine d’Angel Duarte.
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Couvent des capucins. Péristyle avec fontaine d’Angel Duarte.
Couvent des capucins. Péristyle avec fontaine d’Angel Duarte.
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Couvent des capucins. Péristyle avec fontaine d’Angel Duarte.

Avenir sombre

Les dernières rénovations financées par la Bourgeoisie furent minimales par rapport au loyer payé par la Fondation Emera qui, selon le rapport annuel, s’élève à 1,2 million de francs par année. La Bourgeoisie hérite pourtant d’un lieu d’importance nationale et d’une valeur artistique et patrimoniale inestimable. Le supérieur du couvent, le Frère Aloys Voide, est un peu amer quant à cette situation : « L’avenir ne s’annonce pas radieux pour le couvent avec trois capucins. C’est un peu de notre faute, car il est très difficile de prévoir, et il était délicat de donner son avis au sujet de la rénovation du couvent et du don à la Bourgeoisie. Parmi les frères qui ont mené les tractations tous sont absents de Sion et certains sont malades ou décédés.

De plus, dès le contrat signé, plusieurs frères ont dû partir immédiatement pour que les travaux puissent être réalisés et il s’est passé trois ans avant qu’ils commencent réellement… Certains frères sont allés vivre chez les soeurs Hospitalières et Ursulines pendant près de quatre ans avant de pouvoir regagner le couvent. Deux chambres ont été refaites rapidement, ce qui a permis à deux confrères de toujours demeurer sur place. Ces changements ont fait souffrir plus d’un confrère. »

La rénovation du couvent date des années 1960. Chœur de l’église avec fresque de Gino Severini.
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© Bourgeoisie de Sion
La rénovation du couvent date des années 1960. Chœur de l’église avec fresque de Gino Severini.
Table de communion avec deux évangélistes de Remo Rossi.
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© Bourgeoisie de Sion
Table de communion avec deux évangélistes de Remo Rossi.

Rapports difficiles

Les rapports entre la Bourgeoisie et les capucins n’ont ainsi pas toujours été au beau fixe. Lors de la rénovation par Mirco Ravanne dans les années 1960, le devis initial fut
dépassé de trois fois, ce qui a déclenché la colère des autorités. Certains capucins ont même affirmé publiquement que le bâtiment ne respectait pas les principes franciscains. L’écrivain Maurice Zermatten et le critique d’art André Kuenzi sont néanmoins intervenus dans la presse locale pour défendre le projet de Mirco Ravanne. Maurice Chappaz défend l’architecte dans la revue Treize Étoiles : « C’est le tranquille exploit d’un homme modeste au vrai talent. Il est bien le premier : le béton est vivant. Il l’a sculpté. On dirait une plante. » Le supérieur du couvent fut alors déplacé, il a dû assumer la responsabilité du dépassement du devis initial et des critiques. « Il a été très courageux et a soutenu le projet contre vents et marées, mais il a peut-être laissé trop de liberté à Mirco Ravanne sans imposer des éléments fondamentaux pour les capucins. Cela s’est passé aussi lors de la dernière rénovation, le supérieur ne s’est pas assez impliqué et nous n’avons pas pu donner notre avis, c’est dommage. Il y a encore certaines choses à résoudre, on ne désespère pas. On y vit bien maintenant. », précise le Frère Aloys Voide.

La sacristie. Œuvre d’Antoni Tapiès.
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© Bourgeoisie de Sion
La sacristie. Œuvre d’Antoni Tapiès.

Intervention minimale

Les derniers travaux ont duré deux ans et les études initiales entre deux et trois ans. Le but était de respecter au maximum l’architecture de Ravanne et réduire au minimum l’impact sur le bâtiment : « Nous avons gardé une cellule témoin. Pour avoir plusieurs avis, on a créé une commission composée d’un expert fédéral, une employée des monuments historiques, l’architecte de la ville, l’architecte cantonal, et la Bourgeoisie. Nous avons voulu limiter au maximum l’intervention pour un impact minimum sur le bâtiment. La Bourgeoisie avait un droit de superficie jusqu’en 2088. Les capucins nous ont convoqués en 2009. Comme la Fondation Emera loue déjà l’aile Est depuis 1992, nous avons fait une étude sur les deuxième et troisième étages ainsi que l’attique et avons décidé de rénover et de reprendre l’ensemble. En contrepartie, les capucins sont garantis de pouvoir loger gratuitement », précise Antoine De Lavallaz, président de la Bourgeoisie de Sion.

Le couvent renferme des trésors artistiques qui vont de tableaux du VIIe siècle à des oeuvres d’Antoni Tapiès, des vitraux de Jacques Le Chevallier, une sculpture de Remo Rossi, un chemin de croix peint sur émail par François Ribas, des bas-reliefs de Remo Rossi, un tabernacle de Marcel Feuillat, trois fresques de Gino Severini, une installation d’Alberto Burri, des sculptures de Kenjiro Azuma, un bassin d’Angel Duarte et des meubles dessinés par Mirco Ravanne.

Romaine Syburra-Bertelletto, historienne de l’art et membre du Conseil Bourgeoisial, nous guide dans les salles du couvent à la découverte de ce riche patrimoine artistique. Dans les couloirs du couvent, des tableaux anciens représentent des scènes bibliques, des scènes de la vie de saint François par le peintre Hans Ludolff et des portraits de patriciens du VIIe siècle. Dans la sacristie, on peut découvrir les oeuvres d’Antoni Tapiès, Ventales I, II III, trois grandes peintures à l’encre de Chine sur des toiles cousues et accrochées devant les fenêtres. La lumière extérieure donne une ambiance mystique, ces toiles sont conçues comme des fenêtres sur l’au-delà, les toiles sont enfermées dans un châssis de verre, sorte de vitraux contemporains avec un motif de croix noire esquissée qui revient souvent dans l’oeuvre de l’Espagnol et des sortes de lunettes cerclées, très énigmatiques. L’oeuvre répond à la forme triangulaire des fenêtres de la sacristie. Le choeur de la chapelle comprend une fresque de Gino Severini, artiste futuriste italien où l’on voit saint François recevant les stigmates. Dans le choeur des Pères où les capucins récitent en commun leurs prières, Alberto Burri a placé un losange couvert d’un plastique brûlé monté sur un cadre en métal que la lumière spirituelle transfigure. De nombreuses autres œuvres sont à découvrir dans le couvent et les jardins.

L’Office du tourisme de Sion organise des visites du couvent : seuls le rez-de-chaussée, le réfectoire, les tableaux le cloître, la sacristie, l’église, le choeur et les jardins peuvent être visités, pour respecter les lieux de vie des frères.

Couvent des Capucins. Fenêtre donnant sur la sacristie.
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© Bourgeoisie de Sion
Couvent des Capucins. Fenêtre donnant sur la sacristie.

HISTOIRE DU COUVENT

En 1631, les capucins s’installent à Sion. Ils viennent de Savoie. En 1612, à la demande du pape Clément VIII, les capucins de la Province de Savoie entament la mission à Saint-Maurice et à Sion. Le Chapitre de Sion cède un terrain au nord de la ville et la construction du couvent est lancé en 1631 par l’évêque Adrien III de Riedmatten. Les pères capucins, ayant fait vœu de pauvreté, ne peuvent rien posséder. Ce sont donc les Magnifiques Seigneurs bourgeois de Sion qui seront leurs protecteurs et propriétaires. En 1766, le couvent des capucins de Sion est incorporé à la Province suisse. Il devient alors un lieu d’enseignement réputé, notamment en philosophie et en théologie jusqu’en 1970.

Deux agrandissements interviennent dans les années 1920-30. L’architecte Alphonse de Kalbermatten allonge l’aile Nord du couvent, comprenant la sacristie et le chœur, et hausse l’aile Est d’un étage pour y aménager une douzaine de cellules. Dix ans plus tard, il ajoute à l’aile Sud un étage de cellules tout en la prolongeant côté Ouest de manière à agrandir la bibliothèque. En 1946, un séisme touche la région de Sion. Il faut consolider les murs du couvent. La construction et le réaménagement sont confiés à Fernand Dumas qui dessina le nouveau mobilier ainsi que la nouvelle grille séparant la nef du chœur.

La communauté des capucins, toujours à l’étroit, mandate en 1962 Mirco Ravanne, architecte vénitien pour un nouvel agrandissement. Le supérieur Damien Mayoraz avait contacté Le Corbusier mais celui-ci, trop occupé, proposa l’un de ses élèves Mirco Ravanne (1928-1991), récemment installé à Sion. Le but initial était d’agrandir le couvent afin de répondre à de nouveaux besoins pour accueillir les étudiants fréquentant les quatre cours de théologie de la partie romande de la Province suisse : chambres, salle de lecture, salles de classe et d’étude. Le couvent nécessitait une rénovation suite au tremblement de terre de 1946. Mirco Ravanne conserve le plan d’origine tout en reformulant de manière architectonique l’ensemble du conventuel. Il décide la démolition de l’aile Sud dessinée par Alphonse de Kalbermatten et utilise un nouveau matériau, le béton armé. Sur les anciens murs viennent s’appuyer des poutres précontraintes destinées à supporter les deux étages supplémentaires et à suspendre une nouvelle dalle coiffant notamment la salle du réfectoire. Il crée un nouveau bâtiment à l’Est, construit sur pilotis, entre lesquels il aménage un nouveau cloître, réservé aux frères capucins, et ajoute un étage au bâtiment situé au Sud, en remplacement de l’étage construit par Alphonse de Kalbermatten en 1920. Ravanne construit également un nouveau choeur et agrandit la sacristie. Il crée des cellules dans l’aile Sud et dans la nouvelle aile Est, et une nouvelle bibliothèque. Dans l’aile Sud, il agrandit le réfectoire.

Son projet est la conséquence d’une réflexion sur la vie conventuelle et la fonction de chaque espace, pour servir les actions quotidiennes des capucins. Le plan est articulé en deux zones, l’une publique et l’autre réservée aux religieux. La transition entre ces zones se fait par l’ancien cloître, qui permet aux visiteurs qui circulent autour de l’église et aux capucins de se croiser.

Ravanne se base sur le Modulor du Corbusier comme élément répétitif de l’architecture. « J’ai voulu une dimension humaine et les 2,26 m du Modulor du Corbusier se retrouvent partout. Pour la cellule, qui est un monde en soi, j’ai aussi voulu faire entrer le monde extérieur. Je suis parti de la cellule, ce cristal qui rayonne
partout. Selon moi, la cellule est comme un microcosme dans le microcosme. Je n’ai pas voulu la considérer comme une entité isolée. À travers les panneaux en béton placés devant les grandes baies vitrées, j’ai cherché à obtenir dans le même temps un effet d’isolement et d’arêtes vers l’extérieur» commente Mirco Ravanne. Il utilise également un élément de base qu’il appelle « cube-non-cube », le cube perd ses limites et ses arrêtes et devient un espace pur.

Mirco Ravanne a également dessiné les meubles des cellules et du cloître. Essuie-pieds, portemanteaux, chaises, cadres de tableaux, bibliothèques coulissantes, la plupart des objets du couvent ont été conçus par Ravanne ainsi que tous les agencements. Il privilégie le bois tout en évitant le pittoresque. Il invite plusieurs amis artistes et artisans, il s’adjoint la collaboration d’artistes de renommée internationale comme Antoni Tapiès, Burri, Severini, Azuma. Respectueux du patrimoine artistique du couvent, il confie la restauration des toiles anciennes au Milanais Aurelio Morellato.

Critiques

Dans les années 1960, le projet de l’architecte est violemment critiqué par la Commission cantonale des constructions, par la population et la presse. Il y a même des prises de position issues des capucins eux-mêmes. Le coût des travaux dépasse le million de francs qui est trois fois plus élevé que le devis initial. Le supérieur est tenu pour responsable et transféré dans un autre convent. L’écrivain Maurice Zermatten et le critique d’art André Kuenzi prennent position pour soutenir Mirco Ravanne. En 1990, comme le nombre de capucins diminue, il est décidé de louer l’aile Est à la fondation Emera ce qui entraîne la démolition du second cloître construit par Mirco Ravanne.

En 2010, la Bourgeoisie de Sion, qui avait cédé en 1968 un droit de superficie à la communauté des capucins, reprend l’entière propriété des bâtiments et des jardins qui les entourent. Elle s’engage à entreprendre la réfection et le réaménagement des bâtiments pour mettre gracieusement une partie des locaux à disposition des frères capucins et louer l’autre à la Fondation Emera.

En 2011, commencent les recherches historiques et la rénovation. Les cellules sont agrandies avec un espace jour et un espace nuit. Deux ascenseurs nouveaux, les parois sont repeintes en respectant les consignes de Ravanne. Les travaux se sont terminés en 2016. Pendant près de trois ans, les capucins ont dû loger hors du couvent.

Le cimetière. Sculpture réalisée par Bernard Mühlematter.
Le cimetière. Sculpture réalisée par Bernard Mühlematter. © Bourgeoisie de Sion
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Œuvres de Kenjiro Azuma. Lavabos à la sacristie et au réfectoire.
Œuvres de Kenjiro Azuma. Lavabos à la sacristie et au réfectoire. © Bourgeoisie de Sion
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Œuvres en bronze réalisées par Marcel Feuillat.
Œuvres en bronze réalisées par Marcel Feuillat. © Bourgeoisie de Sion
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Œuvres en bronze réalisées par Marcel Feuillat. © Bourgeoisie de Sion
Œuvres en bronze réalisées par Marcel Feuillat. © Bourgeoisie de Sion
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