Le palais Catherine à Tsarskoïe Selo était la résidence d’été favorite de Catherine II. Le palais a été transformé par Bartolomeo Francesco Rastrelli pour l’impératrice Elisabeth Ire, fille de Pierre le Grand, entre 1744 et 1755.
x
Le palais Catherine à Tsarskoïe Selo était la résidence d’été favorite de Catherine II. Le palais a été transformé par Bartolomeo Francesco Rastrelli pour l’impératrice Elisabeth Ire, fille de Pierre le Grand, entre 1744 et 1755. © Palais de Tsarskoïe Selo
N° 117 - Été 2015

Catherine la Grande et les arts

Catherine la Grande… elle fait partie de ces très rares souverains de l’histoire universelle qui n’ont pas besoin de « numéro » pour qu’on puisse les identifier, avec Alexandre de Macédoine, pierre de Russie – l’un de ses prédécesseurs sur le trône des tsars –, ou Frédéric de Prusse, son contemporain et occasionnel adversaire. Cette aura, elle la doit aussi à son engouement pour les arts. En devenant une des plus grandes mécènes de son temps, elle attira à elle les plus grands artistes et intellectuels des lumières, et fit rayonner la Russie autant sur la scène politique internationale qu’artistique.

Portrait de Catherine II d’après Alexandre Roslin par un peintre anonyme. Huile sur toile, fin du XVIIIe siècle. Palais Catherine, Tsarskoïe Selo.
x
© Palais de Tsarskoïe Selo
Portrait de Catherine II d’après Alexandre Roslin par un peintre anonyme. Huile sur toile, fin du XVIIIe siècle. Palais Catherine, Tsarskoïe Selo.
Le boudoir – ou « Tabakierka » (Tabatière) – de Catherine II à Tsarskoïe Selo, dessiné par Charles Cameron vers 1780. Il est habillé de cristal opalin blanc et bleu roi sur tous les murs et même au plafond. Aquarelle sur papier par Eduard P. Hau, vers 1860.
x
© Palais de Tsarskoïe Selo
Le boudoir – ou « Tabakierka » (Tabatière) – de Catherine II à Tsarskoïe Selo, dessiné par Charles Cameron vers 1780. Il est habillé de cristal opalin blanc et bleu roi sur tous les murs et même au plafond. Aquarelle sur papier par Eduard P. Hau, vers 1860.

Catherine était grande, mais grande par quoi ? Sa voracité « de tempérament », que la postérité populaire met généralement devant toutes ses autres qualités, et dont elle fait volontiers des gorges chaudes ?… Sa stature de « femme d’Etat », qui fait rentrer la Russie dans le peloton des premières puissances politiques européennes dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle ? Ou sa gloutonnerie artistique, qui lui fait amasser l’une des plus belles collections de tous les temps, pour orner ses différents palais et constituer l’Ermitage impérial, futur musée national ?

Et si les trois étaient mêlées ? Si cette passion des arts s’était exercée aussi bien sur la scène internationale qu’aux abords de son alcôve ? Si elle avait servi autant son image politique que le luxe de ses résidences ? Si, finalement, elle avait contribué à faire progresser la Russie et les artistes russes au niveau de ceux des autres grandes nations européennes, et dans des domaines qu’eux seuls maîtrisent ?

Les années d’apprentissage

Rien ne prédisposait la princesse Sophia Augusta Fredericka de Anhalt-Zerbst (1729-1796) à une carrière de grand collectionneur, si ce n’est le goût pour la peinture qu’on prête à sa mère. Ses parents n’ont aucuns moyens, et elle est élevée chichement à Stettin, dans un environnement qui n’a rien d’artistique. Mais dès son mariage avec le tsarévitch héritier de Russie, le grand-duc Pierre Féodorovitch, en 1745, et son apprentissage de grande-duchesse dans une cour brillante – et pleine de chausse-trappes –, elle apprend vite combien l’art peut être une arme efficace au voisinage des trônes.

C’est sans doute de la tante de son mari, l’impératrice Elisabeth Ire, qu’elle hérite son goût de l’architecture, la fille de Pierre le Grand ayant jeté à Saint-Pétersbourg les fondations du baroque russe, avec son architecte favori Bartolomeo Francesco Rastrelli. Le palais d’Hiver, qu’il termine au tout début des années 1760, sera l’écrin d’une partie des collections de Catherine II, et elle ne songera jamais à le faire détruire, même s’il n’est déjà plus vraiment à la mode lorsqu’elle s’y installe en souveraine en 1762. Parce que l’on ne peut pas se permettre de tout changer immédiatement quand on prend le pouvoir par un coup d’Etat. Surtout en se délestant de son époux avec l’aide de son amant Grigori Orlov et des frères de ce dernier…

Portrait de Catherine II en législatrice. Sculpteur anonyme, XVIIIe siècle, Palais de Tsarskoïe Selo.
x
© Marc Walter
Portrait de Catherine II en législatrice. Sculpteur anonyme, XVIIIe siècle, Palais de Tsarskoïe Selo.

Comment bien récompenser un favori si précieux, autrement qu’en espèces sonnantes et trébuchantes ? Avec des bâtiments et des objets d’art ! C’est pour Orlov que la tsarine fait bâtir par Antonio Rinaldi le plus luxueux palais de Saint-Pétersbourg, le palais de Marbre, à l’époque le seul palais de la ville entièrement en pierre (tous les autres sont en briques et plâtre) sur les bords de la Neva, et, à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, l’immense palais de Gatchina (de seulement… 600 pièces), également en pierre. C’est pour lui qu’elle commande à Paris, à l’orfèvre Roettiers, l’un des plus grands services d’argenterie du XVIIIe siècle (le service dit « Orlov ») ou encore à l’ébéniste Georges Jacob, qui travaille pour la reine Marie-Antoinette, un impressionnant mobilier en bois sculpté et doré qu’elle fera sien plus tard à Tsarskoïe Selo. Nombreux aussi sont les achats destinés à l’impératrice elle-même : les beaux meubles en acajou de David Roentgen, ébéniste à Neuwied am Rhein et à Paris, qui est aussi fournisseur de Versailles et de nombreuses cours d’Allemagne ; le grand service de faïence de Wedgwood (dit « Service à la grenouille ») pour son palais de Tchesmé (1773-1774), celui beaucoup plus somptueux dit « Service aux camées » réalisé à la Manufacture de porcelaine de Sèvres (1776-1779), ou tous les services d’argenterie commandés à Paris, à Augsburg, à Turin, et destinés aux capitales des provinces russes, au cas – très hypothétique – où elle y ferait une visite. Elle sait bien qu’envoyer une vaisselle aussi précieuse dans toutes ces villes, où elle n’ira jamais, fera plus pour sa grandeur auprès de ses peuples que l’annonce de victoires lointaines, militaires ou diplomatiques… Par ailleurs, en commandant des meubles, de l’argenterie ou de la porcelaine à Paris, la tsarine fait la même chose que de nombreux autres souverains étrangers, mais elle le fait à une plus grande échelle. Tout au long de son règne, Catherine utilisera ces commandes et ses acquisitions pour porter au loin sa réputation de grande souveraine, parce qu’il est plus facile – et moins coûteux – de se faire remarquer avec éclat sur le marché de l’art que de remporter des victoires sur un champ de bataille.

La postérité a souvent retenu tous ces achats en Europe de l’Ouest pour en déduire que les palais russes étaient principalement ornés de productions étrangères, et que la qualité des travaux des maîtres russes laissait à désirer. C’est méconnaître la réalité, beaucoup plus nuancée. Ne serait-ce que parce que le transport d’œuvres depuis l’Europe était une chose aussi hasardeuse que coûteuse. L’étude des documents et des collections montre qu’il n’y avait en fait ni distinction, ni favoritisme. Meubles et objets étrangers et russes voisinaient harmonieusement dans les palais impériaux, jusque dans les intérieurs privés de la souveraine. D’autant plus qu’en commandant des objets aux maîtres et manufactures russes, Catherine II avait conscience de les soutenir économiquement, comme de les encourager à améliorer la qualité de leurs ouvrages.

La façade du palais Catherine sur la cour d’honneur. Très sculpturale, elle s’étend sur près de 300 mètres de long.
x
© Emmanuel Ducamp
La façade du palais Catherine sur la cour d’honneur. Très sculpturale, elle s’étend sur près de 300 mètres de long.
Le palais de Marbre à Saint-Pétersbourg. Offert par la tsarine à son favori Grigori Orlov, il est bâti par Antonio Rinaldi sur les bords de la Neva à partir de 1768.
x
© Emmanuel Ducamp
Le palais de Marbre à Saint-Pétersbourg. Offert par la tsarine à son favori Grigori Orlov, il est bâti par Antonio Rinaldi sur les bords de la Neva à partir de 1768.

Des intérieurs d’apparat

C’est donc la Manufacture impériale de porcelaine de Saint-Pétersbourg (fondée en 1744, sous Elisabeth Ire) qui est d’abord mise à contribution pour les nombreux services utilisés à la table de la tsarine ou les vases monumentaux décorant ses palais. C’est Heinrich Gambs, ébéniste installé à Saint-Pétersbourg, qui fournit toutes les vitrines en acajou et bronze doré de l’Ermitage impérial, et Christian Meyer qui réalise les admirables parquets en marqueterie des chambres d’Agate de Tsarskoïe Selo, sa résidence de campagne favorite. Ces dernières d’ailleurs, dont les murs sont entièrement tapissés de mosaïque de jaspe de Sibérie, sont l’exemple parfait de ce que les manufactures impériales russes, en l’espèce les tailleries de pierres dures, étaient capables de créer, et qui n’avait aucun équivalent ailleurs. Le comte de Ségur, ambassadeur de France en Russie, en écrira : « Les appartements aux lambris de porphyre, de lapis-lazuli et de malachite, tout cela avait un air de conte de fées. »

Dans les appartements privés du palais de Catherine à Tsarskoïe Selo, tous les murs et jusqu’aux plafonds de sa chambre à coucher et de son boudoir sont tapissés de cristal opalin blanc et translucide violet ou bleu roi, autre tour de force russe réalisé à la Manufacture impériale de verre de Saint-Pétersbourg, sur les dessins de l’architecte d’origine britannique Charles Cameron. Et avec des lambris de cristal doit aller un mobilier de cristal, où le matériau fragile est monté sur des feuilles d’argent froissé, pour mieux scintiller à la lumière des bougies. A Oranienbaum, dans le palais chinois que la tsarine a fait construire par Rinaldi juste après être montée sur le trône, l’un de ses cabinets est entièrement habillé de panneaux faits de millions de perles de verre – cousues sur des fonds de tissu – dont on attend le même scintillement, tandis que le sol et le mobilier sont en mosaïque de verre de couleur à l’imitation du jaspe et du lapis-lazuli.

Le cabinet de Jaspe dans les chambres d’Agate de Catherine à Tsarskoïe Selo (Aquarelle par Luigi Premazzi, vers 1860 ; Palais de Tsarskoïe Selo). Les murs y sont entièrement plaqués de jaspe de l’Oural, selon la technique de la mosaïque de pierre dure florentine. © Palais de Tsarskoïe Selo
Le cabinet de Jaspe dans les chambres d’Agate de Catherine à Tsarskoïe Selo (Aquarelle par Luigi Premazzi, vers 1860 ; Palais de Tsarskoïe Selo). Les murs y sont entièrement plaqués de jaspe de l’Oural, selon la technique de la mosaïque de pierre dure florentine. © Palais de Tsarskoïe Selo
1 / 5
Le cabinet de Jaspe dans les chambres d’Agate de Catherine à Tsarskoïe Selo (Aquarelle par Luigi Premazzi, vers 1860 ; Palais de Tsarskoïe Selo). Les murs y sont entièrement plaqués de jaspe de l’Oural, selon la technique de la mosaïque de pierre dure florentine. © Marc Walter
Le cabinet de Jaspe dans les chambres d’Agate de Catherine à Tsarskoïe Selo (Aquarelle par Luigi Premazzi, vers 1860 ; Palais de Tsarskoïe Selo). Les murs y sont entièrement plaqués de jaspe de l’Oural, selon la technique de la mosaïque de pierre dure florentine. © Marc Walter
2 / 5
Le parquet en marqueterie de la Grande Salle des chambres d’Agate à Tsarskoïe Selo, réalisé par l’ébéniste Christian Meyer, vers 1785.
Le parquet en marqueterie de la Grande Salle des chambres d’Agate à Tsarskoïe Selo, réalisé par l’ébéniste Christian Meyer, vers 1785. © Marc Walter
3 / 5
Le grand escalier de la galerie de Cameron. La tsarine l’empruntait pour aller jusqu’au « salon du Matin », au bord du lac de Tsarskoïe Selo, pour y rédiger sa correspondance.
Le grand escalier de la galerie de Cameron. La tsarine l’empruntait pour aller jusqu’au « salon du Matin », au bord du lac de Tsarskoïe Selo, pour y rédiger sa correspondance. © Marc Walter
4 / 5
La Grande Salle du pavillon des Bains – ou chambres d’Agate – de Catherine II à Tsarskoïe Selo, dessinée par Charles Cameron vers 1780. Réalisés à l’origine pour le palais d’Alexandre Lanskoï, ses parquets seront remontés à Tsarskoïe Selo après la mort prématurée du favori de la tsarine.
La Grande Salle du pavillon des Bains – ou chambres d’Agate – de Catherine II à Tsarskoïe Selo, dessinée par Charles Cameron vers 1780. Réalisés à l’origine pour le palais d’Alexandre Lanskoï, ses parquets seront remontés à Tsarskoïe Selo après la mort prématurée du favori de la tsarine. © Marc Walter
5 / 5

Le goût des matières rares et inhabituelles est assurément ce qui distingue la Russie à cette époque, par exemple dans les créations des ateliers de l’Armurerie impériale de Toula, à environ 200 kilomètres de Moscou. Là, on travaille certes l’acier pour fabriquer des armes, mais aussi des objets d’usage quotidien, et du mobilier, sur lesquels scintillent des milliers de « diamants » d’acier facetté, patiemment façonnés un à un, si bien qu’ils ressembleraient presque à des bijoux de métal.

Chaque année, une « foire » a lieu à Tsarskoïe Selo, où les courtisans de l’impératrice sont encouragés à acquérir ces pièces de grand prix, comme ils l’étaient à Versailles pour la porcelaine de Sèvres. Il suffit pour s’y rendre de sortir des chambres d’Agate de l’impératrice, pour passer dans son jardin suspendu et ensuite sous la colonnade « antique » que Cameron, grand connaisseur de Rome, a également dessinée. Tout au bout, un escalier en fer à cheval communique avec le parc à l’anglaise où de nombreuses folies (le Pont palladien, la Colonne de Tchesmé, la Salle de concerts) parlent de la nouvelle mode – néoclassique – à laquelle la tsarine a désormais succombé.

L’architecture

En architecture, la marque que Catherine laissera sur la Russie sera celle de l’Antiquité revisitée. Par exemple au palais Alexandre de Tsarskoïe Selo, érigé par Giacomo Quarenghi pour son petit-fils favori (le futur Alexandre Ier), à quelques encablures du palais Catherine où elle réside. Même si elle se laisse aller à quelques extravagances chinoisantes dans le parc. A Saint-Pétersbourg, c’est encore le style classique qu’elle choisit pour de nombreux bâtiments publics, et aussi son « Ermitage », le musée privé où elle va accumuler cette collection de tableaux qui va bientôt faire l’envie du reste du monde.

Les murs du cabinet de Verre du palais chinois d’Oranienbaum. Ils sont recouverts de panneaux constitués de millions de perles de verre de couleur représentant des oiseaux dans des paysages.
x
© Marc Walter
Les murs du cabinet de Verre du palais chinois d’Oranienbaum. Ils sont recouverts de panneaux constitués de millions de perles de verre de couleur représentant des oiseaux dans des paysages.

Collectionner, un acte politique

Dès que Catherine monte sur le trône, en effet, le rythme, l’échelle, et la qualité des acquisitions impériales de peintures changent drastiquement. Collectionner ne devient plus seulement une affaire de goût personnel, c’est désormais un outil de propagande internationale. Une chose est de prendre le pouvoir par un coup d’Etat, une autre est de se faire accepter comme impératrice légitime au regard des puissances étrangères. En cet âge des Lumières, comment mieux se légitimer qu’en se posant comme l’héritière de Pierre le Grand, en paraissant tirer définitivement la Russie du chaos de l’obscurantisme autocratique, et en rivalisant avec les plus grands souverains comme amateurs d’art avisés. Au regard de l’étranger, « civiliser » la Russie passera donc aussi bien par la rédaction d’un code de lois (le Nakaz : 1767), où est proclamée l’égalité de tous les hommes, que par l’accumulation de trésors artistiques témoignant du degré d’avancement culturel de l’empire russe, sous la férule d’une tsarine éclairée.

La date communément admise pour la fondation d’un musée impérial, l’Ermitage, est celle de 1764, deux ans après l’accession de Catherine II au trône, lorsque l’impératrice acquiert la collection de tableaux (225 œuvres) constituée originellement pour Frédéric II par le marchand berlinois Johann Gotzkovski. Elle entame là une longue série d’acquisitions spectaculaires où, en « raflant » tout un ensemble d’œuvres d’art d’un seul coup, elle proclame sa puissance financière inégalable, brûle les étapes en profitant de l’œil des amateurs éclairés qui l’ont précédée, impose le respect et provoque l’envie, sinon la jalousie, ce qui n’est pas pour lui déplaire…

Dans ses achats, Catherine la Grande est méthodique. Une véritable équipe d’agents artistiques – diplomates, hommes de lettres, antiquaires… – se met à l’affût de chefs-d’œuvre à travers toute l’Europe – à Berlin, à Paris, à La Haye, à Dresde –, dans les salles de vente autant que les salons. C’est ainsi que les collections du comte Cobenzl, ministre d’Autriche à Bruxelles (46 œuvres hollandaises et flamandes, et près de 4 000 dessins) ou du comte Brühl, ministre de l’Electeur de Saxe (600 tableaux, presque tous hollandais et flamands, et 1 000 dessins), rejoindront la Russie, en 1767 et 1769.

Le palais Alexandre à Tsarskoïe Selo. Erigé par Giacomo Quarenghi entre 1792 et 1796, il fut construit pour le petit-fils favori de Catherine II, le grand-duc Alexandre Pavlovitch, qui montera sur le trône de Russie en 1801, après l’assassinat de son père Paul Ier.
x
© Marc Walter
Le palais Alexandre à Tsarskoïe Selo. Erigé par Giacomo Quarenghi entre 1792 et 1796, il fut construit pour le petit-fils favori de Catherine II, le grand-duc Alexandre Pavlovitch, qui montera sur le trône de Russie en 1801, après l’assassinat de son père Paul Ier.

Une autre acquisition met en lumière le rôle inhabituel que des intellectuels – en l’occurrence Diderot, qui était en correspondance avec l’impératrice – pouvaient avoir dans des négociations a priori commerciales, se faisant autant informateurs qu’agents artistiques. Quand le philosophe français apprend que la collection Crozat – extraordinaire ensemble de tableaux de toutes écoles réunis au début du XVIIIe siècle par le financier Pierre Crozat – va faire l’objet d’une vente publique, il s’emploie à la négocier directement aboutissant, à la conclusion de la vente en 1772, au prix « impérial » de 460 000 livres, pour quelque 400 tableaux. C’est certainement l’achat le plus avisé de tous ceux de Catherine la Grande, car il est riche de toiles de première qualité, de toutes écoles et de toutes périodes, de Fetti à Van Dyck, de Poussin à Greuze. La section française de l’Ermitage s’enrichit notablement, avec des œuvres de Pater, Natoire ou Lancret, sans parler de la section italienne, avec La Sainte Famille de Raphaël, Judith de Giorgione, Danaé du Titien, La Naissance de saint Jean-Baptiste du Tintoret, La Déploration sur le Christ mort de Véronèse, ainsi que les écoles du Nord, avec Rubens ou Rembrandt (Danaé). Un tel « exode » de chefs-d’œuvre vers la Russie ne pouvait passer inaperçu et Diderot sera vilipendé à Paris pour l’avoir organisé. Lorsque l’impératrice achète la collection de l’ancien premier ministre britannique, Sir Robert Walpole, en 1772 (198 tableaux italiens, dont huit Titien, trois Véronèse, un Raphaël, trois Guido Reni), le « scandale » sera comparable à Londres.

La gloutonnerie de la tsarine ne se limitera pas aux peintures. Son goût de l’Antiquité sera nourri par l’achat de sculptures (collection d’Ivan Schouvalov, 1785 ; collection de John Lyde-Brown, comprenant 250 antiques, 1787 ) ou de pierres gravées, de loin sa plus grande passion (collection du duc d’Orléans, comprenant 1 500 gemmes, 1787).

En 1796, lorsque Catherine la Grande disparaît, on recense à l’Ermitage impérial près de 4 000 tableaux, 7 000 dessins, 80 000 gravures et 10 000 pierres gravées. Les collections des souverains russes n’ont désormais plus rien à envier à celles des autres monarques européens. La tsarine a réussi à transformer l’image que les étrangers avaient jusqu’alors de la Russie. Elle a également transformé le visage de Saint-Pétersbourg et l’art russe – peinture et sculpture – en les faisant sortir des limbes. Mais aussi – et c’est le plus important –, elle a donné aux maîtres russes l’occasion de créer des œuvres qui n’ont d’équivalent nulle part ailleurs… pour la plus grande gloire des Romanov.

Footnotes

Rubriques
Patrimoine

Continuer votre lecture