La déforestation grignote l'habitat de certains oiseaux-mouches du Brésil, comme ce colibri à cravate verte. Ces minuscules oiseaux sont les seuls au monde capables de voler à reculons.
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La déforestation grignote l'habitat de certains oiseaux-mouches du Brésil, comme ce colibri à cravate verte. Ces minuscules oiseaux sont les seuls au monde capables de voler à reculons. © Aurélien Francisco Barros
N° 122 - Printemps 2017

Protection de la faune et de la flore : le Brésil débordé par les défis

Grand comme deux fois l’union européenne, le Brésil possède la biodiversité la plus riche de la planète, des zones semi-arides de la caatinga aux immensités moites de l’Amazonie. Mais malgré l’avancée de la législation et les efforts de certains activistes, les menaces s’accumulent : agrobusiness, urbanisation, trafic d’animaux...

La biodiversité de la forêt amazonienne est exceptionnelle. Mais la moitié de ses 15 ooo espèces d'arbres serait menacée de disparition d'après le Amazon Tree Diversity Network.
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© Aurélien Francisco Barros
La biodiversité de la forêt amazonienne est exceptionnelle. Mais la moitié de ses 15 ooo espèces d'arbres serait menacée de disparition d'après le Amazon Tree Diversity Network.
Un accident minier dans la région du Minas Gerais, dans le sud-est du Brésil, a fait des ravages incommensurables. Toute une partie de la charmante ville de Mariana a été engloutie sous une boue toxique.
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Un accident minier dans la région du Minas Gerais, dans le sud-est du Brésil, a fait des ravages incommensurables. Toute une partie de la charmante ville de Mariana a été engloutie sous une boue toxique.

Cela restera dans l’histoire comme le « Fukushima brésilien », la plus grande catastrophe environnementale de l’histoire du pays. Jusqu’en novembre 2015, la société Samarco extrayait tranquillement du minerai de fer dans la région de Mariana, à 280 km au nord de Rio de Janeiro. Ces collines verdoyantes du Minas Gerais sont connues depuis la fin du XVIIe siècle pour leurs richesses minières.

Les déchets de cette activité – une boue épaisse et toxique – étaient stockés dans de vastes fosses, dont la « bouche » était fermée par les déchets les plus solides. Tout à coup, le 5 novembre, l’un de ces barrages cède. Plus de 60 millions de mètres cubes de boue dévalent les collines, recouvrent un village, tuent 17 personnes, en font disparaître deux autres et trouvent leur chemin jusqu’au lit du Rio Doce. En trois semaines,  le torrent visqueux parcourt les 650 km qui séparent la zone de la catastrophe de l’embouchure, répandant une immense nappe ocre à la surface bleue de l’océan Atlantique.

D’après le géotechnicien Mauricio Herlich, l’écosystème est mort pour des décennies : « C’est comme si on avait cimenté le fond du fleuve et les berges, assure-t-il dans son bureau de l’Université fédérale de Rio de Janeiro. L’oxyde de fer, l’oxyde de manganèse, le quartz sont tous des matériaux stériles. Ça a tué les plantes aquatiques, donc les poissons aussi. Les agriculteurs ne peuvent plus rien planter sur les rives. Toute la chaîne alimentaire est affectée. »

Malgré l’ampleur de la catastrophe, malgré le nombre de pêcheurs tout à coup sans ressources et les 500 000 habitants soudainement privés d’eau, les politiques patientent plusieurs semaines avant de se rendre sur place. Il faudra attendre un communiqué indigné de l’ONU pour que le gouvernement pointe du doigt les entreprises responsables. Il faut dire que Samarco est détenue par les multinationales Vale et BHP Billiton, respectivement premier et deuxième extracteurs de minerai de la planète. Pas exactement le genre d’acteurs économiques avec qui Brasilia souhaite se brouiller…

Ce drame révèle l’un des talons d’Achille du Brésil quant à la protection de son patrimoine naturel : l’impunité dont jouissent les pollueurs et destructeurs de l’environnement. Trafiquants de bois, entreprises minières, éleveurs avides de déboiser l’Amazonie… tous comptent sur le laxisme d’un pays officiellement très protecteur de son patrimoine naturel, mais qui se laisse en réalité déborder de tous côtés.

« Sur le papier, le Brésil a l’une des meilleures législations du monde, le problème est la mise en œuvre. On entend beaucoup de discours, on voit beaucoup de propagande dans les journaux, mais les moyens ne sont pas à la hauteur des promesses », se désole Hélio Vanderlei. Créateur de l’ONG Onda Verde, il s’est mis en tête de replanter la mata atlantica, cet écosystème forestier qui bordait tout le littoral brésilien et a presque totalement disparu.

La mata atlantica. Cette riche
La mata atlantica. Cette riche "forêt atlantique" recouvrait tout le littoral avant l'arrivée des colons. Il n'en subsiste que 7% aujourd'hui. © istockphoto/tupungato
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La mata atlantica. Cette riche
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La mata atlantica. Cette riche
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Les déboisements localisés contribuent au dérèglement du précieux écosystème. La vente des bois tropicaux, le besoin d'espace pour cultiver ou de charbon pour cuisiner sont autant de raisons à la déforestation de l'Amazonie.
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Les déboisements localisés contribuent au dérèglement du précieux écosystème. La vente des bois tropicaux, le besoin d'espace pour cultiver ou de charbon pour cuisiner sont autant de raisons à la déforestation de l'Amazonie.

Moins de tolérance pour le trafic d’animaux

Le Brésil abrite, sur son sol et dans ses eaux, plus de 20 % des espèces animales et végétales de la planète – la biodiversité la plus riche du monde, avec de nombreuses espèces endémiques. Au-delà de l’exubérance de l’Amazonie, les vastes savanes du cerrado, par exemple, comptent plus de 5 000 végétaux introuvables ailleurs sur la planète. La région du Pantanal, au centre-ouest, constitue la plus grande zone humide sur Terre tandis que la mata atlantica abrite, par exemple, plus de 260 espèces d’amphibiens endémiques.

Mais 1 100 espèces animales du Brésil sont menacées d’extinction, selon le Ministère de l’environnement, et plus de 2 000 végétaux risquent eux aussi de disparaître du paysage, d’après le Centre national de conservation de la flore. Dans la forêt amazonienne, la superficie de l’Allemagne a été décimée rien qu’entre 1988 et 2011.

Comme souvent, le pays-continent abrite d’immenses contradictions : de grandes avancées sur certains points marquent des reculades impressionnantes. « Il y a 10 ans, les singes et les perroquets étaient vendus en pleine rue, à côté des fruits et des légumes. Aujourd’hui, la société ne tolère plus le trafic d’animaux, il est beaucoup plus discret », expose Dener Giovanini, coordinateur général de l’ONG Renctas, qui lutte contre le trafic d’espèces sauvages. Le grand ara bleu, par exemple, n’est officiellement plus menacé d’extinction.

En 45 ans d’existence, Deuzimar, guide touristique en forêt amazonienne, a lui aussi vu l’écologie gagner du terrain.

« Avant, on brûlait la forêt pour pouvoir cultiver à la place, maintenant c’est interdit : on ne peut couper des arbres que pour construire notre maison », assure-t-il en menant une barque à moteur entre les berges majestueuses du Rio Negro, ponctuées de temps à autre de logements en bois, sur pilotis.

« Mon père tuait aussi beaucoup de caïmans pour nous nourrir, aujourd’hui on achète du caïman d’élevage. On ne chasse plus les tortues non plus », poursuit l’homme à la peau cuivrée et aux yeux en amande.

Si la prédation des animaux a diminué, les pressions sur leur habitat, elles, ne cessent de s’accumuler. L’ONG Renctas se fait un sang d’encre pour les grands félins brésiliens. « Les pumas ou les jaguars ont besoin de très vastes zones protégées pour survivre. Mais avec l’avancée des frontières agricoles dans toutes les régions, les animaux ne savent pas où se réfugier. Ils sont menacés de disparaître », déplore-t-il.

L’agrobusiness, ce secteur crucial de l’économie brésilienne, représente le principal prédateur de la faune et de la flore du pays. En Amazonie, le schéma de la destruction se répète depuis l’époque de la dictature militaire (1964-1985) : des trafiquants de bois « ouvrent » une zone dans la forêt pour vendre les essences les plus rentables, un éleveur brûle le reste de la végétation pour installer ses troupeaux puis, lorsque la pâture perd de sa vigueur, c’est au tour d’une culture comme le soja ou le maïs d’occuper l’espace.

Longtemps honni pour la déforestation de l’Amazonie, le secteur du soja a fini par mettre en place un moratoire, en 2006. Par ce texte, les principaux acheteurs mondiaux de la graine jaune, comme Cargill, Bunge ou Louis Dreyfus, s’engagent à boycotter la marchandise plantée sur des parcelles déboisées récemment. « Les plantations de soja qui violent le moratoire sont détectées à partir d’images satellites », explique l’Abiove, l’organisme coordinateur. Depuis la signature de l’accord, la surface déboisée en Amazonie a oscillé entre 5 000 et 10 000 km2 par an, alors qu’elle dépassait les 25 000 km2 en 2004.

Les élevages extensifs dans les savanes grignotent les écosystèmes. L'agrobusiness est crucial pour l'économie du Brésil, premier exportateur mondial de viande de bœuf ou encore de sucre.
Les élevages extensifs dans les savanes grignotent les écosystèmes. L'agrobusiness est crucial pour l'économie du Brésil, premier exportateur mondial de viande de bœuf ou encore de sucre. © Aurélien Francisco Barros
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Le Brésil abrite plus de 20% de la biodiversité de la planète. Ici le sabiá-laranjeira, oiseau symbole du pays, le jaguar noir et le singe ventru, tous deux menacés d'extinction, et le coati, au museau toujours en mouvement.
Le Brésil abrite plus de 20% de la biodiversité de la planète. Ici le sabiá-laranjeira, oiseau symbole du pays, le jaguar noir et le singe ventru, tous deux menacés d'extinction, et le coati, au museau toujours en mouvement. © Aurélien Francisco Barros
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Le Brésil abrite plus de 20% de la biodiversité de la planète. Ici le sabiá-laranjeira, oiseau symbole du pays, le jaguar noir et le singe ventru, tous deux menacés d'extinction, et le coati, au museau toujours en mouvement.
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Le Brésil abrite plus de 20% de la biodiversité de la planète. Ici le sabiá-laranjeira, oiseau symbole du pays, le jaguar noir et le singe ventru, tous deux menacés d'extinction, et le coati, au museau toujours en mouvement.
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Le Brésil abrite plus de 20% de la biodiversité de la planète. Ici le sabiá-laranjeira, oiseau symbole du pays, le jaguar noir et le singe ventru, tous deux menacés d'extinction, et le coati, au museau toujours en mouvement.
© Aurélien Francisco Barros
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« Doubler la production agricole sans couper un seul arbre »

D’autres fronts agricoles continuent à détruire les précieux écosystèmes du pays, comme le cerrado, cet ensemble de savanes extrêmement riche. En mai dernier, le Ministère de l’agriculture annonçait un plan de développement de l’agriculture dans la région dite du Matopiba, dans le nord-est du pays, qu’il présentait comme « la plus récente frontière agricole du Brésil ». La production de soja y a augmenté de 20% en un an, grâce aux silos, aux routes, aux crédits et aux matériels mis à la disposition des producteurs. « Le plan prévoit tout sauf la préservation des populations locales, notamment indigènes, et la défense de l’écosystème. Or, le cerrado abrite de nombreuses sources de fleuves, il est d’une importance incroyable pour les ressources hydriques du Brésil », dénonce Nilo d’Avila, de Greenpeace.

Son collègue Rômulo Batista, responsable de la campagne Amazonie pour l’ONG, propose une solution : concentrer l’agrobusiness dans les immenses zones déboisées par le passé, puis laissées à l’abandon. « Cela représente 60 millions d’hectares, essentiellement des anciens pâturages. Nos études prouvent qu’on peut doubler la production agricole du Brésil sans couper un seul arbre ! » assure-t-il.

Le nouveau Code forestier, adopté en 2012, souffle le chaud et le froid pour les défenseurs de la nature. Les grands propriétaires s’y voient obligés de replanter de la forêt s’ils ont déboisé plus d’une certaine portion de leur terrain. « Mais dans le même temps, le Code forestier amnistie tous ceux qui ont déboisé durant quarante ans. Cela crée une sensation d’impunité : si on amnistie une fois, pourquoi pas une deuxième ? » se désole Rômulo Batista.

« Mais un jour, cela cessera, ajoute-t-il. Des scientifiques sont en train de prouver que l’humidité créée par la forêt amazonienne va ensuite arroser le sud du Brésil. Le déboisement et les sécheresses sont liés. L’Amazonie est une source d’irrigation naturelle pour l’agrobusiness, il ne peut pas continuer à déboiser autant. »

Les petits commerçants brésiliens ont depuis renoncé au trafic d'animaux à ciel ouvert. Il y a 10 ans, il était aussi courant de vendre des perroquets et des singes que des fruits et des plantes médicinales.
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© istockphoto/Chris Schmidt
Les petits commerçants brésiliens ont depuis renoncé au trafic d'animaux à ciel ouvert. Il y a 10 ans, il était aussi courant de vendre des perroquets et des singes que des fruits et des plantes médicinales.
Les petits commerçants brésiliens ont depuis renoncé au trafic d'animaux à ciel ouvert. Il y a 10 ans, il était aussi courant de vendre des perroquets et des singes que des fruits et des plantes médicinales.
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© Aurélien Francisco Barros

Offrir des alternatives aux « petits destructeurs » de la nature

Mais la protection de la faune et de la flore brésiliennes ne consiste pas seulement à signer des lois massives ou à lancer des opérations de police de grande ampleur, comme pour l’ar-restation historique, début 2015, du trafiquant de bois Castanha, considéré comme le « plus grand destructeur de l’Amazonie ». Dans l’écosystème unique au monde de la caatinga – une zone semi-aride mais située sous les tropiques, d’où une biodiversité exceptionnelle dans un milieu aussi sec –, les destructeurs de l’environnement ont le visage du petit paysan coupant du bois pour alimenter le réchaud familial ou pour planter une clôture.

« Près de la moitié de la caatinga a été déboisée. Si on n’agit pas, les animaux comme le tatoubola, qui a été la mascotte de la Coupe du monde de 2014, appartiendront bientôt aux musées », s’alarme Rodrigo Castro, coordinateur général de l’association Caatinga. Les solutions : organiser la traçabilité du bois qui alimente les briqueteries et les fabriques de plâtre de la région – aujourd’hui, il est illégal à 87 % !

Mais l’association travaille aussi auprès de 3 000 familles de petits agriculteurs, en leur fournissant des réchauds plus économes en bois et en leur montrant que la forêt a plus de valeur debout que coupée. « On leur offre des alternatives économiques. Certaines familles produisent par exemple du miel de jandaira, qui a une haute valeur médicinale. Comme cette abeille dépend de la végétation de la caatinga, ils se sont mis à replanter des arbres ! » se réjouit le militant.

Le développement de l’écotourisme représente également une piste d’avenir. « Nous savons que si la nature est abîmée, les touristes ne viendront plus, alors nous en prenons soin », expose Edilson, qui tient une petite boutique de noix de coco et d’artisanat de coquillages dans le décor paradisiaque de Jericoacoara, sur le littoral du Ceara. Les visiteurs du monde entier affluent pour parcourir les dunes blanches parsemées de lagons turquoise et les mangroves peuplées de fragiles hippocampes.

Le développement du tourisme incite les habitants à préserver leur environnement. Les lagons de Jericoacoara, nichés au cœur de dunes blanches, attirent des milliers de visiteurs dans le nord-est du Brésil.
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© istockphoto/fredcardoso
Le développement du tourisme incite les habitants à préserver leur environnement. Les lagons de Jericoacoara, nichés au cœur de dunes blanches, attirent des milliers de visiteurs dans le nord-est du Brésil.

Surveiller et éduquer

Restent deux problèmes clés pour assurer la protection de la nature brésilienne : la taille continentale du pays et l’ampleur des autres défis. « Plus de trois quarts des habitants sont des urbains, aliénés de la réalité naturelle. Depuis Rio ou São Paulo, l’Amazonie paraît terriblement lointaine, note Rodrigo Castro. Et puis il y a les problèmes de santé publique, d’éducation, de sécurité urbaine, d’emploi… La défense de l’environnement semble secondaire, alors qu’elle est fondamentale pour l’avenir du pays. »

En attendant une prise de conscience populaire, ce sont les forces de l’ordre qui veillent, comme l’Ibama, la police environnementale brésilienne, ou les gardiens des réserves naturelles. Mais là aussi les moyens manquent. Dans les réserves d’Apuí, par exemple, deux agents sont censés veiller à eux seuls sur 23 000 km2 de forêt amazonienne, l’équivalent de la superficie de la Macédoine. Un résumé de la taille des défis à relever.

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