N° 139 - Automne

Arles, de César à Vincent

L’ancienne colonie romaine devient, chaque été, la capitale de la photographie. Pittoresque et inspirante, la commune des Bouches-du-Rhône consolide ainsi sa réputation de place forte culturelle.

Elle brille de mille feux et, à des kilomètres à la ronde, on ne voit qu’elle : la tour Luma. Nouvel emblème de la ville d’Arles, création de l’architecte Frank Gehry, elle est le monument phare de la fondation artistique du même nom, celle de la Suissesse Maja Hoffmann. Inaugurés l’an passé, la tour, les salles d’exposition et le parc de 15 hectares attirent les visiteurs du monde entier, amateurs d’art contemporain et d’images durant les célèbres Rencontres internationales de la photographie, le plus grand festival photo du monde. Si la semaine professionnelle dure sept jours, début juillet, les expositions restent visibles durant trois mois, jusqu’au 25 septembre, investissant moult lieux historiques tels que des églises et des temples habituellement fermés au public.

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(Office de Tourisme d’Arles)
La tour construite par Frank Gehry pour la Fondation Luma de la Suissesse Maja Hoffmann.

MOUCHOIR DE POCHE

Mais à Arles (50’000 habitants, plus grande commune de France), la culture et la beauté ne se résument pas à Luma et à la photographie. Année après année, la sous-préfecture provençale, située à quatre heures de route de Genève, à moins d’une heure de Marseille, Avignon, Nîmes et Montpellier, se construit une solide réputation de place forte française et même européenne de la culture. Forte de huit sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO (dont les arènes ou le théâtre antique romain), elle détient, dans le mouchoir de poche que constitue le centre historique, une succession de trésors tels que la cathédrale Saint-Trophime et son portail, étudié dans les livres d’histoire de l’art.

Comme le dit l’ancienne ministre de la Culture d’Emmanuel Macron, Françoise Nyssen, « Elle incarne ce mélange merveilleux entre un patrimoine antique unique et une culture moderne d’aujourd’hui très forte. Mais cette ville n’est pas une ville-musée, elle vit toute l’année et il s’y passe tout le temps quelque chose. » D’origine belge, Françoise Nyssen vit à Arles depuis des décennies, depuis que son père Hubert y a créé la célèbre maison d’édition Actes Sud qui affiche cinq prix Goncourt à son palmarès. Installée au bord du Rhône, accompagnée d’un restaurant marocain et de trois salles de cinéma d’art et d’essai, la librairie est un must à découvrir. Impossible de ressortir les mains vides de ce labyrinthe de pièces consacrées au polar, aux livres d’histoire, aux romans francophones et étrangers, aux livres d’art et à la musique. « Arles a toujours été une ville ouverte et tranquille, reprend-elle. Et entourée de tant de territoires différents et si proches les uns des autres : la mer à 30 kilomètres, la plaine de La Crau, la Camargue, les Alpilles, Marseille… »

Les arènes d’Arles.
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(AFP / Christian Guy)
Bâties vers 80 après Jésus-Christ par l’empereur Tibère, les arènes d’Arles accueillent aujourd’hui des corridas et des courses camarguaises.

BUSTE IMPÉRIAL

Gérée depuis 2020 par son nouveau maire Patrick de Carolis, ancien présentateur et producteur de l’émission Des racines et des ailes et ancien PDG de France Télévision, la ville ne se repose pas que sur son glorieux patrimoine romain et médiéval. Ni sur Luma. Certes, il faut visiter les arènes, le théâtre antique, les Alyscamps (magnifique nécropole romaine) ou le dédale des cryptoportiques, ces souterrains construits également sous l’Antiquité. Il faut aussi se rendre au « musée bleu », très élégant bâtiment moderne consacré à l’archéologie et à l’histoire romaine de la cité, choyée par César en remerciement de l’avoir aidé à conquérir Marseille, investie par Pompée. On y trouve des centaines d’œuvres dont de splendides mosaïques, ainsi que le fameux buste de César, retrouvé intact au fond du Rhône. Il faut aussi aller visiter le très beau musée des beaux-arts Réattu. Situé dans un lieu d’exception, le Grand Prieuré de l’Ordre de Malte, il présente une collection qui s’étend du XVIIe siècle à nos jours, dont un ensemble de dessins de Pablo Picasso, et une splendide collection photographique, la première dans un musée des beaux-arts en France.

Rue de la République, le Museon Arlaten a enfin rouvert ses portes l’an passé après des années de travaux. Le bâtiment, classé, est exceptionnel de beauté, tout comme ses collections muséographiques qui rassemblent 38’000 objets, 15’000 livres, 42’000 images et racontent la société provençale, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Aux collections d’objets ethnographiques du quotidien (costumes, mobilier, musique, agriculture, artisanat…), s’ajoutent celles relevant des beaux-arts et des sciences. Des modèles réduits (bateaux, outils agricoles, habitats) viennent appuyer la dimension didactique du musée.

Le buste de César
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(AFP / Manuel Cohen)
Le buste de César, clou du « musée bleu », le musée départemental Arles antique.

BELLE ENDORMIE

Autre lieu historique du centre, autre ambiance. Au cœur de l’Hôtel Vernon, hôtel particulier construit entre le XVIe et le XVIIIe siècle, à mi-chemin entre les arènes et la place du Forum, cœur névralgique de la ville avec ses terrasses, 1’350  m² dévoilent, sur trois étages, les œuvres du peintre et sculpteur minimaliste Lee Ufan. Inauguré au printemps 2022, ce nouveau haut lieu de l’art contemporain est consacré à l’œuvre du célèbre artiste coréen né en 1936, qui vit et travaille entre Paris, New York et le Japon. Ses sculptures se présentent comme des mises en relation de pierres ou de bois choisis dans la nature et de matériaux industriels, tandis que sa peinture tend vers un signe unique, vers la méditation et l’évocation du vide.

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(nvrst / Alamy Banque D’Images)
La place du Forum avec ses terrasses typiques, peintes en leurs temps par Van Gogh.

Trois étages pour ce bâtiment aménagé par l’architecte japonais Tadao Ando et consacré à la création. « C’est aussi une des forces d’Arles, continue Françoise Nyssen. Cette cohabitation entre les monuments romains majeurs et Lee Ufan, cette diversité d’approche avec tous ces musées ou ces galeries comme celles de Cyrille Putman le fils d’Andrée et de Jacques ou d’Anne Clergue, la fille de Lucien, l’un des fondateurs du festival de la photographie… » Ou encore le théâtre municipal, codirigé depuis un an par l’acteur Édouard Baer ; le festival du film péplum et ses projections en plein air, fin août, dans le théâtre antique ; les concerts du festival Les Suds, le festival Agir pour le vivant… N’en jetez plus, on ne sait plus où donner de la tête !

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(Archives Kamel Mennour Courtesy the artist and Kamel Mennour, Paris / Lee Ufan)
Une sculpture de Lee Ufan. L’artiste coréen a ouvert son propre centre d’art dans un ancien hôtel particulier arlésien rénové par l’architecte japonais Tadao Ando.

Il faut encore se rendre à la Fondation Van Gogh qui fait cohabiter le maître hollandais et l’art contemporain. Le lieu est dirigé par la Suissesse Bice Curiger qui qualifie Arles de « sleeping beauty ». Elle aime l’arpenter tôt le matin ou au coucher du soleil, « quand le Rhône est calme, tout en montrant sa puissance, et quand le soleil tardif apparaît sur les façades et sur les anciennes pierres jaunâtres… ». Sans jamais se lasser de ce bleu du ciel, d’une intensité unique, cette fameuse lumière que seul Van Gogh sut retranscrire.

La Fondation Van Gogh
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(Office de Tourisme d’Arles)
L’entrée de la Fondation Van Gogh dirigée par la commissaire d’exposition zurichoise Bice Curiger.

QUARTIERS AUTHENTIQUES

Éblouis par tant de culture, on ira boire un verre sur une des places : du Forum, Voltaire ou Paul Doumer aux portes du très authentique quartier de la Roquette, le plus recherché des touristes. On ira aussi arpenter le centre historique en entrant dans quelques boutiques, car à Arles, le beau ne se vit pas que dans les musées.

Rue de l’Hôtel de Ville, État des lieux et ses grands créateurs de design que sont Charles Eames, Kartell, Vitra, Tsé & Tsé ou Driade voisine avec la boutique, au n° 7, l’Atelier d’Émilie, dirigée depuis les années 1990 par Émilie Méjean. Rien que de très belles créations, à des prix très raisonnables, du textile d’intérieur tels que Haomy (ex Harmonie) ou encore les plaids Klippan. Mais aussi la maroquinerie chic de la maison parisienne Roccati, des photophores, des foulards de chez Les Belles vagabondes ou des bougies parfumées. « Je travaille beaucoup au coup de cœur et si ça fonctionne, c’est bien, explique-t-elle en souriant. Je ne vends pas de ’made in China’ et presque tout est fabriqué en Europe. » D’Arles, elle parle d’abord de « cette lumière du ciel, extraordinaire. » Elle dit aussi que toutes les personnes qu’elle croise dans sa boutique veulent revenir en ville. « Les gens qui viennent pour la première fois sont vraiment sous le charme. Et je les comprends ! »

À quelques centaines de mètres de là, on pénètre à l’intérieur de la petite boutique OU, tenue par Julie Barrau. Cette ex-marchande de photographies anciennes est devenue architecte et décoratrice d’intérieur (elle travaille pour des librairies ou des hôtels) ainsi que brocanteuse. Ses pièces de mobilier, luminaires de collection, objets de décoration remontent parfois aux années 30, mais la majorité date des années 50 et 60. « Je ne vends que ce qui me plaît, j’aime sortir des clous. J’aime la curiosité, l’inattendu, des trucs drôles. Je ne suis pas du tout fétichiste, mais j’aime la rencontre avec un objet. »

Vue de l’exposition New Black Vanguard aux Rencontres d’Arles de 2021.
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(AFP / Nicolas Tucat)
Vue de l’exposition New Black Vanguard aux Rencontres d’Arles de 2021, l’un des plus grands festivals consacrés à la photographie du monde.

VILLE-LIBRAIRIE

Autre ambiance vintage chez Fanny Fontaine, une jeune Arlésienne, qui a ouvert sa petite boutique durant l’été 2021. Chez Fauteuil Fleuri, on trouve de la « décoration consciente et des objets chinés », insiste la jeune femme, qui vend peu, mais bien. De beaux objets d’antan accessibles au plus grand nombre, trouvés dans la région. « Je ne veux pas me cantonner à un seul style, je mélange les genres, les univers, des années 60 avec de la faïence de manufactures françaises, de la vaisselle allemande, de la porcelaine anglaise ou du vintage des années 70. » Peut-être y organisera-t-elle bientôt des expositions de photographie. « Cette petite ville est multiple et imprégnée d’une identité folle. Il y a toujours quelque chose de nouveau, toujours une nouvelle étape qui n’efface pas la précédente, c’est incroyable ! »

Pour finir, Arles et le beau, c’est aussi une affaire de littérature. Peu de villes peuvent se targuer de posséder dans un aussi petit périmètre autant de librairies : Actes Sud ; Arles BD, à l’angle des rues Jouvène et du Pont, tout près de chez Fanny Fontaine ; De natura rerum, spécialisée dans l’Antiquité ; librairie du Palais (décorée par Julie Barreau) ; l’Archa des Carmes, surtout tournée vers la poésie ; Off Print, rue du Docteur-Fanton… Plus celles éphémères lors des expos photos estivales d’Actes Sud (au lieu-dit Caravelle) et à Luma. Ou encore la très élégante Les Grandes Largeurs, installée dans une ancienne boucherie du centre dont on a conservé la chambre froide. C’est une jeune Arlésienne, Émilie Pautus, qui, revenue de Paris où elle tenait déjà une librairie près de la Bastille, a repris les lieux il y a cinq  ans. « Ça a marché tout de suite, explique Lucie, son associée. Nous sommes généralistes, traitons bien sûr de littérature adulte et pour la jeunesse, mais nous sommes surtout axées sur les sciences humaines. » De nombreuses discussions sont organisées avec des auteurs. Car à Arles, l’art et la beauté permettent aussi cela : des rencontres et pas seulement de la photographie.

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