Véritables épicuriens. Les Japonais portent beaucoup d’attention à leur alimentation quotidienne.
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Véritables épicuriens. Les Japonais portent beaucoup d’attention à leur alimentation quotidienne. © Jérémie Souteyrat
N° 119 - Printemps 2016

La cuisine japonaise, en quête du goût parfait

La cuisine traditionnelle japonaise fascine et attire les plus grands chefs du monde entier. Fondée sur le respect des produits, elle accorde une importance primordiale à la fraîcheur de ses mets, et au côté cérémonial du repas.

Epiceries fines japonaises. Les aliments sont présentés comme des perles rares.
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© Jérémie Souteyrat
Epiceries fines japonaises. Les aliments sont présentés comme des perles rares.

C’es t en décembre 2013 que la cuisine traditionnelle japonaise, shoku (和食) ou nihon ryōri (日本料理) dans la langue d’origine, a été officiellement inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, notamment pour son « principe fondamental de respect de la nature étroitement lié à l’utilisation durable des ressources naturelles ». Epicuriens dans l’âme, les Japonais aiment savourer à chaque fois qu’ils mangent, tout en prenant soin de leur santé. Une quête qui les pousse sans cesse à rechercher le goût parfait. Et ce, à chaque heure de la journée.

Traditionnellement, le washoku se compose de poissons, de riz ou de nouilles, de légumes et d’algues, ainsi que de condiments. La cuisine japonaise est avant tout régionale et se décline tout au long des 3 500 kilomètres de l’Archipel, en harmonie avec les productions locales. « Au Japon, nous jouissons de rivières, de montagnes volcaniques, de plusieurs courants marins qui nous permettent de disposer d’une variété immense de poissons, explique Kanda Hiroyuki, chef du restaurant du même nom. A cela, on ajoute les légumes qui changent, au rythme des saisons. Nous apprenons à conjuguer tout cela dans le respect de la nature. »

Il existe de nombreuses boissons typiquement japonaises : thé, saké, shochu, etc. Les condiments ou le miso sont aussi très présents dans les repas japonais.
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Il existe de nombreuses boissons typiquement japonaises : thé, saké, shochu, etc. Les condiments ou le miso sont aussi très présents dans les repas japonais.
Il existe de nombreuses boissons typiquement japonaises : thé, saké, shochu, etc. Les condiments ou le miso sont aussi très présents dans les repas japonais.
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Le washoku est différent du yōshoku

Le washoku s’oppose à la cuisine yōshoku (洋食, cuisine de l’ouest) influencée par l’importation et l’adaptation de plats occidentaux à la suite de l’abrogation du Sakoku (fermeture du pays) par l’empereur Meiji. Comme par exemple le curry japonais (kare), le porc pané (tonkatsu), le gratin de riz (doria) ou encore les croquettes (korroke). Des plats que l’on trouve aujourd’hui fréquemment dans l’assiette japonaise.

En Europe, si les restaurants japonais sont nombreux : on y mange souvent des plats qui ne reflètent guère les saveurs, textures et multiples parfums d’une authentique cuisine japonaise. Pour les Japonais, bien se nourrir est essentiel. Du petit-déjeuner composé de riz et de nattō, au bento du midi soigneusement préparé, en passant par les plats de l’izakaya où l’on se retrouve le soir autour d’une bière. Rien n’est laissé au hasard.

En famille, le week-end, on aime déguster le sukiyaki ou le nabe, sorte de marmites à partager composée d’un bouillon, de viande, de légumes et de tofu. Les Japonais ont aussi importé des recettes qui ont été adaptées et sont devenues des classiques comme les fritures tempura, le katsudon (porc pané et œufs) ou les rāmen (nouilles de blé). Les moments de fête seront plus propices au kaiseki avec un menu composé d’une succession de mets délicats : comme au Nouvel An où l’on servira l’Osechi, préparé pendant de longues heures ou acheté dans un magasin, faute de temps. Il existe également de nombreuses boissons (thé, saké, shochu, etc.) et quelques pâtisseries (wagashi) et friandises typiquement japonaises.

Dans son restaurant, Kanda Hiroyuki aime servir à ses clients « des plats que j’aime moi-même manger ». Tout simplement. C’est un homme pressé. Il ne pourra rester assis plus de quelques minutes. Régulièrement démangé par le besoin d’aller voir ce qui se passe sur les fourneaux. Exigeant, il donne des réponses précises, comme sa cuisine. Son restaurant, niché au cœur d’un quartier résidentiel de Tokyo, dans une petite rue de Moto-Azabu, à l’écart du tumulte de Roppongi, cumule des semaines de réservation. C’est là, derrière cette petite porte de bois coulissante du rez-de-chaussée d’un immeuble où rien n’indique la présence d’un restaurant, que Kanda Hiroyuki a décroché ses 3 étoiles au guide Michelin. Se hissant à la 4e place des meilleurs restaurants de Tokyo. Lorsqu’on le questionne sur son succès, il répond modestement : « Depuis toujours je veux être cuisinier. Je ne cherche pas à être millionnaire, simplement à servir la meilleure cuisine possible. »

Le washoku prend en compte le cadre où le repas sera servi, ainsi que le contexte. Le repas doit être pris dans un lieu agréable et inspirant.
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Le washoku prend en compte le cadre où le repas sera servi, ainsi que le contexte. Le repas doit être pris dans un lieu agréable et inspirant.

Son ingrédient miracle ? « La fraîcheur »

Kanda Hiroyuki a grandi dans la préfecture de Tokushima, sur l’Ile de Shikoku. « Mon arrière-grand-père, mon grand-père et mon père étaient poissonniers. Un jour, mon père a ouvert un restaurant dans la maison avec une spécialité de poisson : j’ai grandi en aidant mes parents le dimanche à la cuisine et en voyant les clients traverser le salon de la maison pour aller dîner au restaurant. Enfant, je pensais que c’était comme ça chez tout le monde. » Saveurs, textures, connaissances du poisson, sans le savoir à l’époque, il apprendra ce qui fera de lui le grand chef qu’il est aujourd’hui. Après un passage à Osaka, il a 23 ans lorsqu’il part cinq ans en France pour travailler dans un restaurant japonais. Puis il a le mal du pays et rentre à Tokushima pour être chef tout en enseignant dans une école culinaire. En 2004, il ouvre Kanda à Tokyo qui obtient rapidement ses 3 étoiles. Il accueille des apprentis « mais il faut qu’il soit prêt à travailler très dur ».

Pour lui, la clé de la cuisine japonaise, c’est « la fraîcheur. Nulle part ailleurs dans le monde, il n’est possible d’obtenir une telle précision dans le transport. Aujourd’hui, les poissonniers m’appellent en direct : le poisson que je sers dans mon restaurant a été pêché dans la nuit. Directement du bateau de pêche à l’assiette. »

Perfectionniste jusqu’au bout du couteau, le chef allie son expérience à une technique sans faille, gardant un œil sur ses produits et l’autre sur les modes de cuisson, les températures.

Le produit frais à l’état pur. Retirer les sauces. Pas de crème, ni de beurre, « vous en mettez trop en Europe, surtout en France » mais une alliance de saveurs qui donnent le meilleur d’elles-mêmes naturellement. « Au Japon, nous avons une variété de poissons et de légumes immense. Nous apprenons à connaître tout cela pour prendre ce que la nature a de meilleur à nous offrir. Cela donne une cuisine plus raffinée. »

La cuisine japonaise «repose sur la simplicité, le minimalisme ». C’est ce qui plaît à Kanda Hiroyuki. « C’est ce même esprit que l’on trouve dans l’art asiatique en général, ce petit quelque chose d’épuré. » A l’entrée de son restaurant, une plaque de bois porte son nom. « C’est le hachoir de mon père, il y préparait les anguilles. Nous avons la même calligraphie depuis trois générations », explique-t-il fièrement.

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Le bambou. La cuisine japonaise cherche à sublimer, de façon naturelle, chacun des aliments.
Le bambou. La cuisine japonaise cherche à sublimer, de façon naturelle, chacun des aliments. © Jérémie Souteyrat
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La vaisselle. Assiettes, plats, tout est sélectionné avec un grand soin comme les ingrédients qui composent un plat.
La vaisselle. Assiettes, plats, tout est sélectionné avec un grand soin comme les ingrédients qui composent un plat. © Jérémie Souteyrat
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Au Japon, le menu de base du washoku suit la règle de l’ichijū sansai (一汁三菜, littéralement « une soupe, trois assiettes »), soit du riz, une soupe et trois accompagnements (un élément frit, un légume et un poisson), ou plus simplement de l’ichijū issai (一汁一菜), avec dans ce cas un seul accompagnement. C’est ce qu’Elizabeth Andoh enseigne à ses élèves depuis plusieurs décennies. Au programme du jour, le takenoko (pousse de bambou) qu’elle va décliner selon la nature des morceaux : mijoté en soupe, ou poêlé avec du tofu ou encore préparé avec du riz. Pour la partie la plus tendre, l’« hime kawa », la peau de princesse, soit le haut de la pousse, elle va simplement l’assaisonner avant de la servir en salade.

Elizabeth Andoh vit au Japon « depuis plus de cinquante ans ». Elle a installé dans sa maison, située à Futako-Tamagawa au sud-ouest de Tokyo, son école de cuisine japonaise. Parfaitement bilingue, elle a publié plusieurs ouvrages de cuisine japonaise traditionnelle en langue anglaise et a côtoyé les plus grands maîtres japonais d’aujourd’hui, à l’instar de Murata Yoshihiro. Son credo : « Tout le monde peut cuisiner le washoku, où qu’il vive dans le monde, à partir du moment où on lui explique comment respecter les aliments. La cuisine japonaise, c’est l’équilibre, l’harmonie entre une philosophie culinaire où l’on va réfléchir à ce que l’on va manger et une alimentation saine. »

Alors qu’elle était étudiante en 3e année de médecine, Elizabeth, alors âgée d’une vingtaine d’années, pose le pied au Japon pour la première fois. « Je réfléchissais à ma vie : à l’époque, elle était toute tracée, je descends d’une famille de chirurgiens. Mais je n’avais pas la vocation. Je suis arrivée par hasard à Shikoku, dans les années 1960. Il n’y avait pas de toilettes dans la maison, ni de frigo. Pour moi qui étais née à New York, c’était un choc », rit-elle. Très vite pourtant, « je me suis sentie bien. J’ai commencé à apprendre la langue. Moi, qui n’avais jamais touché une casserole de ma vie, j’allais m’y mettre naturellement, auprès de la mère de ma famille d’accueil. »

Puis tout va s’enchaîner très vite, elle reste un an puis deux. Monte à la capitale, apprend le japonais de façon intensive avant d’intégrer la Yanagihara School qui enseigne la cuisine japonaise, dans la langue d’origine. Très vite, « la transmission de ce savoir est devenue plus importante pour moi que le reste. J’ai eu envie d’expliquer aux gens comment parvenir à la finesse de la cuisine japonaise. »

Au Japon, les grands magasins réservent souvent leurs sous-sols aux épiceries fines. Selon la grandeur de ces « depāto », les espaces sont absolument somptueux. Présentant une multitude de produits préparés, à déguster directement ou d’ingrédients variés pour faire la cuisine. Elizabeth Andoh se faufile dans les rayons comme un poisson dans l’eau. Les formations qu’elles proposent s’achèvent là, sur les étals, au plus près du produit. Elle observe les légumes. S’approche des mochi, ces desserts japonais à base de riz gluant. Achète des feuilles de cerisier avec lesquelles elle envisage de préparer des onigiris (bouchées de riz) et de l’agaragar pour ses kanten, sorte de gelée de fruits.

Sur la table du washoku, chaque chose est à sa place. Le bol de riz doit être posé à gauche, la soupe à droite.
Sur la table du washoku, chaque chose est à sa place. Le bol de riz doit être posé à gauche, la soupe à droite. © Jérémie Souteyrat
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Installée au Japon depuis 50 ans, Elizabeth Andoh enseigne le washoku depuis sa cuisine, transformée en école.
Installée au Japon depuis 50 ans, Elizabeth Andoh enseigne le washoku depuis sa cuisine, transformée en école. © Jérémie Souteyrat
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Le message qu'elle souhaite transmettre à ses étudiants : « Tout le monde peut cuisiner le washoku, il suffit de respecter les aliments ».
Le message qu'elle souhaite transmettre à ses étudiants : « Tout le monde peut cuisiner le washoku, il suffit de respecter les aliments ». © Jérémie Souteyrat
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L’umami, cet exhausteur de goût

Dans la cuisine japonaise, rien n’est laissé au hasard. Jamais. Elizabeth Andoh insiste sur ce point : « Deux légumes identiques coupés différemment n’auront pas le même goût final. » Une exigence qui se prolonge tout au long du repas, jusque sa mise en place, « sur la table, le bol de riz doit être posé à gauche, la soupe à droite ». De retour du marché, elle sort de son placard une énorme jarre, c’est la « nuka ». A l’intérieur, la saumure où elle a plongé la veille des navets et des concombres, qui se sont transformés pendant la nuit en tsukemono, sortes de pickles essentiels au repas. Une façon très ancienne de conserver ses condiments dont Elizabeth Andoh tire une grande fierté.

S’il n’y a pas de beurre, ni de crème dans la cuisine japonaise, c’est parce que « ce n’est pas nécessaire, assure-t-elle. La saveur umami est un excellent exhausteur de goût. » L’umami est notamment présent en abondance dans le dashi, ce bouillon composé d’algue kombu et de bonite séchée. Utilisé dans la très grande majorité des plats japonais depuis l’ère Edo, « il est utilisé dans tous les plats qui nécessitent l’apport d’un bouillon ».

C’est le scientifique japonais Kinunae Ikeda qui déclare en 1908, la découverte de la saveur umami. Cette dernière souligne la présence de glutamate dans les aliments tels que la tomate, le parmesan ou le poisson. « L’apport de l’umami est très intéressant, diététiquement parlant, puisqu’il amplifie toutes les saveurs sans apport de matières grasses », argumente Ana San Gabriel, chercheuse à l’Umami Information Center, basé à Tokyo.

Selon cette ONG qui promeut dans le monde entier les bienfaits de l’umami, « c’est la solution pour une alimentation plus saine ». Une idée réfutée par le Français Hervé This, qui ne reconnaît pas l’umami comme une saveur, mais plutôt comme la simple présence de glutamate dans un aliment. Pour le vérifier, le test est pourtant simple : goûtez un bouillon de kombu, rincez votre bouche avant de goûter un bouillon de bonite séchée. Ensuite mélangez les deux bouillons dans votre bouche et attendez. « Savourez tous les parfums qui vous arrivent en bouche alors qu’il n’y avait aucun goût en les dégustant séparément », annonce, satisfaite de sa démonstration, Ana San Gabriel.

Dans la cuisine japonaise, rien n’est laissé au hasard. Elizabeth Andoh insiste sur ce point : « Deux légumes identiques coupés différemment n’auront pas le même goût final. »
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Dans la cuisine japonaise, rien n’est laissé au hasard. Elizabeth Andoh insiste sur ce point : « Deux légumes identiques coupés différemment n’auront pas le même goût final. »
La saveur umami. Il se trouve en abondance dans la cuisine japonaise et est un excellent exhausteur de goût.
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La saveur umami. Il se trouve en abondance dans la cuisine japonaise et est un excellent exhausteur de goût.

UNE CULTURE ANCESTRALE BASÉE SUR LA TRANSMISSION

La gérante de l’école japonaise « A taste of culture » , Elizabeth Andoh, citée précédemment, a par ailleurs eu l’honneur de consulter le dossier de candidature de la cuisine japonaise traditionnelle qui a été remis à l’Unesco dans le cadre de l’inscription au Patrimoine mondial. Rédigé par les plus grands chefs japonais actuels. « La notion de transmission du savoir-faire est extrêmement importante en matière de cuisine japonaise », souligne-t-elle.

Dans ce dossier, on pouvait notamment lire que « la cuisine traditionnelle japonaise est une pratique sociale basée sur des compétences, une connaissance, un savoir-faire et une production traditionnelle et artisanale dans le respect de la préparation et dans la consommation des plats. Une technique harmonisée conjuguée à un état d’esprit essentiel : celui du respect des ressources naturelles. »

Parmi les plats qui respectent le plus la philosophie du washoku, on retrouve par exemple les mets qui composent le repas du Nouvel An. Dans sa composition, toutes les caractéristiques « sociales et culturelles du repas typiquement japonais » sont présentes. « On travaille la pâte de riz pour le mochi, les ingrédients frais (légumes, poissons, plantes sauvages, etc.), une belle présentation… Chaque composant a une symbolique. On les déguste ensuite ensemble, en famille. »

Membres de la famille mais aussi instituteurs et formateurs ont un rôle primordial dans la transmission du savoir-faire. Qu’il s’agisse d’un enseignement formel ou pas.

Dans son rapport, l’Unesco a permis au washoku l’inscription au Patrimoine mondial en décembre 2013 pour trois raisons : « Elle est transmise de générations en générations et joue un rôle important dans le renforcement de la cohésion sociale tout en conférant aux Japonais un sentiment de communauté et d’appartenance à un groupe ; parce que la cuisine japonaise encourage une alimentation saine ainsi que la créativité liée au respect de l’environnement ; enfin, parce que la sauvegarde et la promotion du washoku est assurée dans les différentes régions du Japon à travers la recherche, l’archivage et la prise de conscience de ses richesses par l’éducation grâce à l’Etat et aux nombreuses associations. »

Cuisine japonaise. Poissons et produits de la mer sont la base du repas typiquement japonais.
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Cuisine japonaise. Poissons et produits de la mer sont la base du repas typiquement japonais.

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