Le yoga est devenu une priorité en Inde. Shripad Naik, le Ministre indien des médecines traditionnelles entend répandre sa pratique pour améliorer la santé des Indiens.
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Le yoga est devenu une priorité en Inde. Shripad Naik, le Ministre indien des médecines traditionnelles entend répandre sa pratique pour améliorer la santé des Indiens. © iStock
N° 117 - Été 2015

Le yoga, bien plus qu’une hygiène de vie en Inde

L’homme affiche une poitrine aussi large que les ambitions d’un enfant pauvre qui, à force de travail, d’habileté et de discipline est devenu Premier Ministre de l’Inde. Narenda Modi est fier de sa force physique qu’il entretient par un régime végétarien strict et la pratique du yoga. Où qu’il soit, quelles que soient les contraintes de son agenda, Modi se lève tôt, se couche tard, respecte scrupuleusement les jeûnes imposés aux croyants de la religion hindoue et consacre les premières heures de ses interminables journées à ses exercices d’étirement et de respiration profonde.

« Je suis – aime à dire le Premier Ministre indien – une personne très ‹ énergétique › de l’aube jusqu’à la nuit. Je suppose que le secret de cette constance est dans la pratique du yoga et des exercices de respiration. Chaque fois que je me sens fatigué, je fais de la respiration profonde et cela me rend aussitôt toute mon énergie. »

Une discipline de fer

On imagine la force qui a porté Narenda Modi, enfant vendeur de thé dans les rues, puis militant dans un parti nationaliste qui défend les valeurs traditionnelles hindoues. Modi est un animal politique sans faiblesses. C’est aussi un homme qui s’est lancé dans une quête spirituelle exigeante. Très jeune, il a fait le choix de ne pas avoir d’enfants et il a quitté son épouse adolescente pour partir, à pied, vers les sommets himalayens. Modi est convaincu que le renoncement, allié à une discipline exigeante du corps, est la voie la plus sûre vers l’accomplissement de soi.

Celui qui est devenu Premier Ministre en mai 2014 affirme que rien ne peut arrêter ceux qui ont la force suffisante pour garder leur mental pur de tout désir vulgaire et pour préserver leur corps de la maladie. En août 2014, devant l’Assemblée des Nations Unies, Narenda Modi s’est fait le chantre passionné de la pratique du yoga. Aux dirigeants de la planète, surpris qu’on leur parle d’autre chose que de la résolution improbable de conflits sans fin, le Premier Ministre indien a expliqué que : « Le yoga réalise l’unité de l’esprit et du corps, de la pensée et de l’action, du renoncement et de la satiété, c’est une approche globale, holistique vers la santé et le bien-être. » Enthousiasmés par le discours de Modi, les dirigeants de 130 nations se sont déclarés favorables à l’instauration d’un jour du yoga, chaque 21 juin.

Aux grands maux, les grands remèdes

Mais les pouvoirs que chaque individu peut acquérir en adoptant un style de vie conforme aux valeurs de l’hindouisme doivent, selon Narenda Modi, servir à guérir les terribles maux qui affligent l’Inde. Le sous-continent indien est au bord d’une catastrophe sanitaire majeure. Ses fleuves et ses rivières sont devenus de véritables bouillons de culture bactérienne. Ses villes sont accablées par une pollution atmosphérique qui tue des millions d’Indiens chaque année. Une masse innombrable de paysans, de travailleurs précaires, de femmes isolées, d’enfants abandonnés n’ont aucun espoir de sortir un jour de leur état de misère abjecte. Chaque année, l’Inde doit créer 12 millions d’emplois pour que les jeunes éduqués puissent avoir une chance de vivre dignement.

Tous ces problèmes pourraient trouver une solution en quelques années seulement si le peuple indien dans son ensemble acceptait de redécouvrir les valeurs traditionnelles de l’hindouisme. Aussitôt arrivé au pouvoir, après avoir laminé ses adversaires, Narenda Modi a donné une réalité concrète à son message politique en créant, au mois de novembre 2014, un Ministère du yoga et des médecines traditionnelles, confié à Shripad Naik, un ancien Ministre du tourisme parfaitement en phase avec la pensée de son Premier Ministre.

La mission du nouveau ministère a été clairement définie par son patron, aussitôt celui-ci entré en fonctions : « Le développement de la médecine ayurvédique est une priorité essentielle du Gouvernement. Nous voulons améliorer le niveau de santé des Indiens dans un délai extrêmement court. Le yoga et la médecine ayurvédique sont des médecines de prévention très efficaces. »

Le Ministre du yoga entend développer la pratique du yoga dans 600 000 écoles au moins et dans des milliers d’hôpitaux. Mais les commissariats de police sont également supposés réserver le meilleur accueil aux missionnaires envoyés par le Ministère du yoga dont la pratique est supposée étouffer les pulsions brutales, la rapacité, la sensibilité à la corruption et la fainéantise chronique.

Les dirigeants de 130 nations se sont déclarés favorables à l’instauration d’un jour du yoga, chaque 21 juin.

Une révolution culturelle

L’Inde de Narenda Modi s’est engagée dans une véritable révolution culturelle. L’objectif du Gouvernement installé par une large majorité d’Indiens à l’issue des élections générales de mai 2014 est de débarrasser l’Inde de tout ce que les étrangers y ont apporté au fil des siècles par l’invasion et la colonisation. Narenda Modi est apprécié dans les couches les plus pauvres de la population parce qu’il se fait gloire de ne pas parler l’anglais, la langue honnie du colonisateur blanc.

Tous les maux dont l’Inde moderne peine tant à se guérir trouvent leur origine dans l’introduction brutale d’une science, de philosophies, de comportements sociaux, d’idéaux totalement étrangers à la culture hindoue traditionnelle. « Ce qui n’est pas hindou ne peut pas être indien », affirment les militants les plus enflammés du BJP, le parti dont est issu le Premier Ministre Modi. En matière de santé publique, l’Inde ne peut échapper au constat du délabrement total de son système de soins hérité des colonisateurs et doit donc revenir à la situation qui prévalait avant l’arrivée des Britanniques sur le sous-continent.

La mission officielle du Ministère du yoga créé en novembre 2014 est de ressusciter la pensée médicale traditionnelle indienne qui a été étouffée pendant toute la période coloniale. Après l’accession de l’Inde à l’indépendance, ces savoirs, vieux pour certains de plus de 3 000 ans, ont été méprisés puis marginalisés sous l’influence des élites indiennes occidentalisées. Il est urgent – affirme Narenda Modi – avant que des millions d’Indiens ne soient emportés par des vagues successives d’épidémies, les conséquences de la malbouffe, la dépression nerveuse et les suicides que « les foules urbaines indiennes reviennent à des méthodes thérapeutiques auxquelles la population rurale n’a jamais cessé d’avoir recours ». Shripad Naik, le Ministre des médecines traditionnelles, insiste sur le fait que « AAYUSH », l’acronyme qui désigne le champ de ses responsabilités, signifie « Ayurvéda, Yoga, Naturopathie, Unani, Siddha et Homéopathie ». Il n’aurait donc pas été nommé pour faire uniquement la promotion des savoirs thérapeutiques indiens immémoriaux puisque l’homéopathie est d’origine européenne et que l’unani – la médecine basée sur l’équilibre de quatre humeurs fondamentales – est née en Grèce antique. On se tromperait donc à voir dans la création de ce ministère une manifestation de l’idéologie nationaliste hindoue en vogue actuellement puisque toutes les influences y sont respectées à condition qu’elles préservent ceux qui les acceptent de tomber malades.

Le yoga moderne

Pas question non plus de revenir au temps des sorciers et des charlatans. Les connaissances scientifiques les plus pointues seront utilisées pour mettre au point une gamme de traitements et de médicaments conformes à la médecine traditionnelle indienne. L’Agence spatiale indienne a ainsi été sollicitée par le ministère AAYUSH afin de repérer sur l’ensemble du sous-continent les zones les plus favorables à la production en masse de plantes et de minéraux qui seront distribués en énormes quantités à la population indienne par les 500 000 praticiens de médecine ayurvédique recensés dans le pays.

En réhabilitant médecines et disciplines traditionnelles, Narenda Modi est soupçonné de vouloir exalter un passé épuré de toute influence considérée comme étrangère à l’âme authentique du peuple indien. Les minorités religieuses, les musulmans en particulier, voient avec une inquiétude non dissimulée hommes politiques, artistes, intellectuels et membres de l’élite économique dresser le tableau idyllique d’une Inde, paisible et forte, aux habitants heureux et sains, qui aurait été saccagée par les invasions islamiques. Narenda Modi n’hésite jamais à utiliser la parabole de « l’oiseau d’or » quand il doit parler du passé glorieux de l’Inde avant le XVIe siècle ; « Jadis, nous avons été un oiseau d’or, mais nous sommes tombés. Aujourd’hui, nous avons une chance de nous élever de nouveau. » La promotion du yoga à l’échelle du sous-continent inquiète tout particulièrement ceux qui craignent un réveil du nationalisme hindou. Cette discipline, telle qu’elle a été réinventée puis codifiée au milieu au XXe siècle, ne rappelle en rien les Yogas Sutras, une collection d’aphorismes obscurs rédigés il y a plus de 2 000 ans et dans laquelle on ne trouve par exemple aucune description des Asanas, les postures et attitudes que doivent maîtriser les pratiquants du yoga moderne. Jusqu’au XXe siècle, le Hatha Yoga est inconnu, méprisé tant par les colons occidentaux que par les Indiens. On le considère, au mieux, comme une pratique occulte, bizarre et vaguement inquiétante. Swami Vivekananda, le disciple préféré de Ramakrishna, publie Raja Yoga en 1896, dans lequel il reconnaît que le yoga, dans sa forme originelle, ne saurait en rien contribuer au bien-être physique ou au développement spirituel de celui qui le pratiquerait.

Le yoga commence à prendre la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, dans les années 1930, sous l’influence de Tirumai Krishnamacharya, un brillant penseur et philosophe hindou. Krishnamacharya réalise la symbiose de quelques techniques inspirées du yoga millénaire, des figures de la lutte indienne traditionnelle et de la callisthénie imposée aux recrues de l’armée coloniale. En inventant le yoga moderne, Timurai Krishnamacharya répond aux souhaits des nationalistes des années 1930 qui rêvent de créer une culture physique indienne suffisamment efficace pour améliorer rapidement la condition psychique et sanitaire de la population soumise à l’occupant britannique. L’inventeur du yoga moderne a laissé le souvenir d’une personnalité aussi fascinante qu’effrayante. Krishnama-charya faisait ainsi un recours systématique aux châtiments corporels. Il appartiendra à son beau-frère B.K.S Iyengar d’expliquer et de diffuser le yoga moderne. Il en fait une pratique physique et spirituelle qui séduit rapidement l’Occident.

L’abattage des bovins et la consommation de leur viande ont été inscrits sur la liste des délits passibles d’une peine de 1 à 5 ans de prison.

Le Premier Ministre Modi revendique personnellement l’héritage politique et spirituel de Vivekananda, Khrishnamacharya et B.K.S. Iyengar, y compris dans ses aspects farouchement nationalistes.

De telles références inquiètent les minorités religieuses en Inde car elles y voient l’amorce d’une hindouisation à marche forcée de la société indienne. Narenda Modi ne ménage aucun effort pour convaincre les musulmans et les chrétiens qu’ils ne feront pas les frais d’une réappropriation par l’Inde de son héritage culturel et religieux.

Mais l’inquiétude grandit parmi les communautés non hindoues, entretenue par des décisions qui, si elles enchantent les nationalistes indiens, les placent elles au ban de la société. Il y a quelque temps, l’abattage des bovins et la consommation de leur viande ont été inscrits sur la liste des délits passibles d’une peine de 1 à 5 ans de prison. Cette loi a été appliquée dans sa plus grande rigueur dans l’Etat du Haryana et dans celui du Maharashtra, le second Etat indien par l’importance de sa population. Narenda Modi, qui avoue une passion religieuse si sincère pour les vaches sacrées de son pays qu’il entend les faire traiter toutes par des vétérinaires aux frais de l’Etat fédéral, s’est réjoui publiquement de l’interdiction de la consommation de viande de bovins. Le Premier Ministre y voit une mesure concrète pouvant améliorer immédiatement l’état de santé et élever le niveau de conscience spirituelle de la population indienne. Exactement comme la pratique du yoga qui pourrait bien devenir obligatoire dans un prochain futur.

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