Vue idéalisée de la future ville de Google, qui verra le jour à Toronto, au Canada.
x
Vue idéalisée de la future ville de Google, qui verra le jour à Toronto, au Canada.
© Sidewalk Labs
N° 131 - Printemps 2020

LES VILLES INTELLIGENTES ONT LE VISAGE DU FUTUR

Robots, drones, machines intelligentes, voitures sans conducteur, navires autonomes... Et si notre quotidien changeait radicalement d’ici à 2050 ?

Les objets connectés transforment progressivement le visage de notre espace public, et donc notre vivre-ensemble. Par exemple, au Japon ou à l’aéroport d’Istanbul, des robots humanoïdes, capables de reconnaissance faciale et doués de parole, orientent déjà les voyageurs. À l’aéroport d’Haneda, le robot RoBoHon, qui tient dans une seule main, guide les touristes tandis que le Japon prépare ses meilleurs robots pour accueillir sportifs et spectateurs pour les Jeux olympiques de 2020.

Le cabinet de conseil américain Gartner, spécialisé dans l’expertise et la recherche sur les techniques avancées auprès des entreprises, a révélé, en octobre dernier, dix grandes tendances « tech » vouées à révolutionner notre quotidien dans la décennie à venir, et ce, grâce à l’intelligence artificielle. À côté des systèmes d’apprentissage automatisés, des blockchains, de la traçabilité des données ou de la réalité virtuelle, « les objets connectés et autonomes vont gagner du terrain dans l’espace public », assure-t-il. Une tendance qui amène naturellement à la question, de plus en plus discutée, des smart cities ou villes intelligentes. Un débat fondamental, puisqu’on estime qu’en 2050, 70% de la population mondiale vivra en zone urbaine.

UNE MENACE POUR LA DÉMOCRATIE ?

La ville numérique fait rêver et, de fait, elle revêt de nombreux atouts. Un rapport de la Wharton School de Philadelphie, publié en 2016 et intitulé « Villes intelligentes. La valeur économique et sociale de la construction d’espaces urbains intelligents », indiquait déjà que « les villes intelligentes offrent le potentiel d’intégrer la croissance de la communauté, les responsabilités sociales et écologiques et les efforts de la société civile en un ensemble qui peut transformer les mondes du travail et des loisirs et améliorer l’existence ». C’est une évidence : la ville intelligente permettra de mesurer précisément les besoins des habitants selon leurs activités respectives. Ces données recueillies seraient donc le gage d’économies, de non-gaspillage.

Toutefois, la mise en œuvre de la ville intelligente n’est pas si simple, comme le rappelle, dans une étude1 publiée en juillet dernier, le mathématicien Ben Green, chercheur en sciences des données auprès du Berkman Klein Center for Internet & Society de l’université Harvard. Son étude pointe avec raison les dangers d’une société « de résultats », hyperconnectée et qui négligerait de s’adapter aux innombrables contingences humaines et sociales. Il préfère parler de « villes suffisamment intelligentes », comme Columbus dans l’Ohio. Lauréate en 2016 du prix Smart City Challenge décerné par le Département du transport des États-Unis et doté de 50 millions de dollars, la Ville de Columbus proposait de développer un réseau de navettes autonomes, afin notamment de relier le quartier très défavorisé de Linden, qui souffre d’une mortalité infantile supérieure à la moyenne, à des services de soins difficilement accessibles. Et ce, grâce à une plateforme de prise de rendez-vous connectée au service des transports.

C’EST UNE ÉVIDENCE : LA VILLE INTELLIGENTE PERMETTRA DE MESURER PRÉCISÉMENT LES BESOINS DES HABITANTS SELON LEURS ACTIVITÉS RESPECTIVES.

La niche s’allume en vert : la qualité de l’air est assez bonne pour permettre l’accès au Wi-Fi gratuit.
x
© TreeWifi
La niche s’allume en vert : la qualité de l’air est assez bonne pour permettre l’accès au Wi-Fi gratuit.

De même, à Amsterdam, où près de la moitié de la population se déplace à vélo, la municipalité a mis en place un Wi-Fi gratuit qui n’est disponible que si le niveau de pollution atmosphérique n’est pas trop élevé. De petits nichoirs intelligents installés dans les arbres s’allument en vert lorsque ce niveau ne dépasse pas une certaine limite. « Nous avons pour mission de dépolluer l’air de votre ville », explique la start-up TreeWi-Fi, à l’origine de cette nouvelle technologie. Ces exemples montrent que la ville intelligente peut répondre à des besoins réels, concrets et urgents, et ainsi améliorer la vie de tous, sans hiérarchie de classes, ni de quartiers. Elle peut même éduquer le citoyen.

LA VILLE RÊVÉE DE GOOGLE

On connaissait déjà les lampadaires qui ne s’allument qu’au passage d’un piéton, d’une voiture ou même d’un chat. Mais le développement des espaces urbains intelligents va bien plus loin. Il permet de collecter une foule de données personnelles sur les individus, la plupart du temps sans leur consentement. Ce qui pose de graves problèmes d’éthique. Selon les opposants au « tout-technologique » qui se sont récemment exprimés au sujet de la ville intelligente de Toronto, créée par Sidewalk Labs, une filiale du groupe Alphabet-Google, cette évolution pose la question de l’émergence de sociétés anti-démocratiques.

Grâce à sa smart city, Toronto promet 44’000 emplois directs et un impact sur la croissance économique de 14,2 milliards de dollars d’ici à 2040. Bianca Wilye, du Centre for International Governance Innovation et experte en matière de sécurité des données, s’inquiète de ce projet hors norme créé ex nihilo par une entreprise privée. Et Bianca Wylie n’est pas la seule. Car Google détient des technologies surpuissantes potentiellement irrespectueuses des droits humains et notamment du droit au respect de la vie privée : « Le principal problème posé par Sidewalk Toronto est la menace que ce projet représente pour la démocratie », a-t-elle tweeté après la publication par Sidewalk Labs des 1’500 pages de son plan pour construire à partir de zéro de nouveaux quartiers intelligents à Toronto, en assurant que toutes les données seraient anonymisées.

Certes, collecte de données privées et vision démocratique s’opposent. Cependant, la marche vers la smart city est inéluctable, comme en témoignent notre société toujours plus connectée, ainsi que les montants colossaux investis mondialement dans l’Internet des objets connectés (IoT), estimés à 726 milliards de dollars d’ici à fin 2019. La population étant en croissance, puisque nous devrions être bientôt 10 milliards d’habitants sur la planète, la ville connectée offre l’avantage de la fluidité des informations et de la circulation des personnes. Elle permet aussi une économie en matière de coûts, puisque toutes nos activités seront mesurées. Le projet de Toronto en est un exemple parfait.

Reste à concilier la question des droits humains avec celle de l’innovation galopante. Le problème n’est pas tant la smart city, qui reste la ville de l’avenir, que sa gestion, c’est-à-dire l’utilisation des données et leur contrôle. C’est ce que soulignent les controverses portant actuellement sur l’identification biométrique, des controverses attisées par les graves dérives du gouvernement chinois sur la surveillance de ses citoyens, et par l’instauration par le Parlement européen du Common Identity Repository (CIR), un immense fichier centralisant des données biométriques et digitales sur les citoyens européens et non européens.

L’ELDORADO DES OBJETS CONNECTÉS

Si les drones et les voitures autonomes ont encore du mal à définir leur territoire dans l’espace public, essentiellement pour des questions de sécurité, et restent donc majoritairement utilisés dans un cadre professionnel spécifique, un rapport récent indique que le marché du lampadaire connecté va connaître, lui, une croissance de 28% dans les prochaines années ! Le quotidien français Le Parisien parle du « maillon fort de la smart city », alors même que Paris s’apprête à implanter des lampadaires intelligents, à la fois capteurs de pollution et outils de connectivité à la 5G.

Coupe d’une rue de la nouvelle smart city de Toronto, qui promet un mieux vivre ensemble.
x
© Sidewalk Labs
Coupe d’une rue de la nouvelle smart city de Toronto, qui promet un mieux vivre ensemble.

Au même moment se profile, autour de la start-up française Sigfox, spécialisée dans l’Internet des objets à bas coût et à bas débit, un grand incubateur constitué de 40 jeunes pousses spécialisées dans le secteur des objets connectés et qui verra le jour en 2022 près de Toulouse. Cependant, la France reste loin derrière la Suisse ou Taïwan, comme le révèle le rapport de l’IMD Business School de Singapour, qui a réalisé un classement des métropoles les plus connectées, avec Singapour en tête, devant Zurich, Oslo et Genève, championne de la connexion Internet. Mobilité dans l’espace public, gestion des déchets, économie d’énergie dans les infrastructures, robotisation – même le Vatican possède son chapelet connecté, réalisé par l’entreprise taïwanaise Acer –, tous ces secteurs seront bientôt concernés par l’IoT, nouvel eldorado des grandes entreprises qui préfigure notre quotidien futur.

DE L’ENCEINTE INTELLIGENTE AU ROBOT DE SERVICE

À quoi ressemblera-t-il concrètement ? Après un réveil dûment accompagné par notre enceinte intelligente qui nous a indiqué l’état du trafic et précisé notre horaire d’arrivée à notre destination, notre consommation d’énergie quotidienne, notre capacité à participer à une optimisation des déchets, nous intégrons l’espace public, une rue, une gare ou un aéroport. La 5G est partout. Des écrans géants et des œuvres d’art sont soigneusement disposés pour délimiter l’environnement. En voitures autonomes ou trottinettes connectées, le parcours jusqu’au train ou à l’avion est fluide. Comme dans les centres de stockage d’Amazon, dans les entreprises, des robots supplantent la pénibilité au travail, optimisent la rentabilité ou répondent à tous nos besoins. Ces robots créeront de l’emploi, comme l’assure le géant mondial de la distribution, car ils viennent en support pour l’employé.

Footnotes

Rubriques
Tendances

Continuer votre lecture