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Tout feu, tout flamme

Procédé de cuisson naturel depuis la nuit des temps, la cuisine du feu inspire un grand nombre de chefs à travers le globe. Tour d’horizon d’un savoir-faire culinaire qui soigne l’esprit et nous réconcilie avec la terre.

Inutile de se replonger dans l’ère préhistorique pour savoir que la découverte du feu marque l’invention de la cuisine telle que nous la connaissons. La flamme, qui donne la lumière rassurante et la chaleur protectrice dans l’obscurité et qui fait chanter les aliments à son seul contact. La flamme, qui se laisse voler la vedette par l’intensité d’une braise brûlante avant qu’elle soit réduite en cendres. Culinairement parlant, la viande et elle ont longtemps été associées à l’incontournable barbecue, témoin d’un mariage monogame forcé. Mais cette époque est bel et bien révolue.

Feu de l’amour

Le cuisinier argentin Francis Malmann fut le premier à mettre cette cuisine sous les feux des projecteurs. Arborant d’improbables couvre-chefs, un cigare cubain accroché aux lèvres, ce chef charismatique cuisine avec le feu depuis sa plus tendre enfance. « Préparer un feu, c’est un peu comme faire l’amour, explique-t-il dans le film que lui consacre la plateforme Netflix. Ça peut être grand et fort très rapidement ou s’amplifier doucement. Tout ce qui se situe entre ces deux extrémités d’intensité de chaleur sont différentes façons de cuisiner.» En fonction des produits, du bois et de l’environnement ambiant, les réglages demandent des années d’expérience. L’Argentin apprécie les aliments brûlés, pas carbonisés. Le premier contact avec le point de chaleur est essentiel et nécessite autant de savoir-faire que de patience. « Une couche croustillante se forme alors naturellement. Je n’aime pas retourner sans arrêt la nourriture. Il faut respecter ce que l’on cuisine. »

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Francis Malmann, le chef argentin à la cuisine de braise.

Cette croûte, Philippe Ligron, responsable de la Food Experience à l’Alimentarium de Vevey, l’explique. « On l’appelle « la réaction de Maillard ». Elle survient à la suite de la caramélisation des sucres naturels contenus dans la viande. Cette cuisson par concentration agit sur le goût et la conservation. »

Pour Alain Passard, chef triplement étoilé à Paris et fervent partisan d’une cuisine entièrement végétale, elle est même devenue un art de vivre au quotidien. « Cette école du feu, généralement plus présente pour le tissu animal, je parviens à la mettre au service des légumes. Un céleri peut être fumé, un oignon flambé et une carotte grillée. »

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Le chef basque Victor Arguinzoniz, la référence mondiale en matière de cuisson ardente.

Moins connu du grand public, Kobe Desramaults adhère lui aussi à ce mode de cuisson ancestral. L’ancien chef étoilé du restaurant In de Wulf à Dranouter, en Belgique, propose un menu entièrement au feu de bois à laquelle les convives assistent depuis une cuisine ouverte. Le Flamand est adepte de toute forme de fournaise. Au sein même de sa cuisine, le gril argentin rivalise avec un four à pizza et un four Josper.

L’art de la braise

Un four que Bruno Josserand, patron du très couru BEEF à Genève, connaît bien pour l’utiliser tous les jours dans la cuisson de ses viandes d’exception. Contrairement à un barbecue traditionnel, son four fermé en fonte possède la particularité de préserver l’équilibre entre le léger goût du fumage et celui de l’aliment. Avec une caramélisation rapide, la jutosité et l’onctuosité d’une viande sont portées à leur paroxysme. « Même si elle reste rustique par ses origines, la cuisine du feu apporte énormément de saveurs et d’arômes. Techniquement, elle reste compliquée à maîtriser ; il faut savoir régler la flamme, la puissance du feu et la chaleur. C’est une cuisson au millimètre afin de respecter le produit et éviter de le carboniser. »

Techniquement, la cuisine au feu reste compliquée à maîtriser ; il faut savoir régler la flamme, la puissance du feu et la chaleur. C’est une cuisson au millimètre afin de respecter le produit et éviter de le carboniser

Bruno Josserand, patron du restaurant BEEF à Genève

Élu troisième meilleur restaurant du monde au classement The World’s 50 Best restaurants en 2019, l’Asador Etxebarri au Pays basque, est la référence mondiale en matière de cuisson ardente. Niché en pleine campagne non loin de Bilbao, ce lieu sauvage et typique attire des curieux du monde entier avec ses plats cuisinés à la braise. Autodidacte, son chef, Victor Arguinzoniz, a fait du charbon son obsession au point de construire lui-même ses fourneaux. À l’aide d’une manivelle rotative, il monte et descend manuellement chaque grille en fonction de l’intensité de la chaleur, du bois utilisé et de l’aliment à cuire. Sandwich au chorizo, calamar grillé aux oignons caramélisés, crevettes de Palamos et pièce de bœuf de Galice… tout passe au tison.

Portes de l’enfer

Ancien disciple du maître basque, Lennox Hastie enflamme les gourmets australiens. Avec ses airs de rebelle, le cuisinier décrit sa pratique de manière quasi mystique. « Lorsque le feu s’allume, c’est la vie qui s’illumine, explique-t-il dans la série Chef’s Table. On ne peut pas l’éteindre. Il faut l’accompagner jusqu’à l’ultime flamme. Quand vous maîtrisez ce pouvoir, tous vos sens sont soudain en éveil. Vous vous trouvez à la frontière du danger dans une lutte constante. Le contrôle n’est jamais total… c’est toujours le feu qui tient les rênes. »

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A Sydney, Lennox Hastie fait feu de tout bois.

La cuisine de son restaurant Firedoor à Sydney ne ressemble d’ailleurs à aucune autre. Une critique culinaire locale a comparé ses deux fours à bois aux portes de l’enfer. Sans aucune source d’électricité ni de gaz, Lennox Hastie combat le feu avec force et brutalité. Paradoxalement, ses cuissons sont douces et subtiles. La moindre trace de brûlé sur une viande grillée est un constat d’échec. Au même titre que la viande, le chef utilise le feu pour cuire de la laitue, de la noix de coco et des desserts. « Il voit plus le feu comme un pinceau que comme un marteau pour tirer délicatement le meilleur d’un ingrédient », dit de lui Pat Nourse, critique gastronomique et directeur créatif du festival Melbourne Food & Wine. Quel beau tableau…

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