N° 145 - Automne 2024

Des universités suisses trop bon marché ?

Des voix s’élèvent pour estimer que les étudiants étrangers devraient payer des taxes universitaires supérieures au montant acquitté par les suisses. Plusieurs projets dans ce sens sont à l’examen. Les députés genevois au Grand Conseil Sophie Demaurex (PS) et Michael Andersen (UDC) en débattent.

Les taxes universitaires, aussi bien pour les Suisses que pour les étrangers, paraissent basses en Suisse, notamment à Genève, en comparaison internationale. Est-ce un bien ou un mal ?

Sophie Demaurex – C’est un bien ! Offrir l’égalité des chances, quelle que soit l’origine sociale ou géographique fait partie des valeurs fondamentales du système de formation en Suisse.

Michael Andersen – Pour prendre l’exemple genevois, avec ses taxes à 500 francs le semestre, on voit bien qu’il s’agit d’un des effets de la manie locale de tout subventionner. Ce montant, peut-être justifié à l’époque, n’a pas varié depuis des années. En outre, il faudrait vraiment distinguer entre les étudiants dont la famille vit ici, travaille et paie des impôts, et les quelque 30% de non-résidents qui ne viennent chez nous que pour faire des études.

Aux États-Unis ou dans des universités européennes telles que celle d’Oxford, les taxes sont élevées. À quoi cela tient-il ?

MA – Ces institutions ont moins de financement public que nos universités et hautes écoles. La sécurité et l’éducation sont des priorités absolues : je suis opposé à la baisse du soutien public, à un calcul selon les revenus des parents et à toute barrière aux études. Il y a des aides sociales et des bourses pour les moins favorisés ; rien ne s’oppose à ce que celles et ceux qui veulent venir étudier en Suisse contribuent un peu plus au budget que les nationaux et les résidents du canton concerné. Il est important de préciser que l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), principal pourvoyeur de ressources pour la Genève internationale applique d’ores et déjà des taxes bien supérieures à celles perçues par l’Université de Genève et des taxes différenciées pour les étudiants étrangers.

SD – C’est un choix politique que la Genève internationale, par exemple, ne pourrait porter et qui nuirait à la réputation, la richesse, la diversité et la vitalité de l’université.

L’Université d’Oxford.
x
(DR)
L’Université d’Oxford où la taxe d’admission, pour un étudiant suisse, s’élève à 42'000 francs par an.

À quel niveau devrait-on fixer les taxes semestrielles, selon vous ?

SD – Le système actuel de taxes universitaires est stable et ancien, il n’y a pas lieu de le changer. Les étudiants ne sont pas une source de revenu direct pour l’université, mais une source de talent. Pour rappel, les taxes universitaires servent à couvrir les prestations dédiées à des étudiants et étudiantes comme la bibliothèque et les associations universitaires et non pas à couvrir les frais de fonctionnement de l’institution. À savoir que la subvention fédérale par étudiant étranger est plus élevée, voire double par rapport à celle par étudiant suisse.

MA – À mon sens, dans le cas de Genève, une taxe semestrielle de 500 francs pour les Suisses et les résidents du canton et un montant de 1500 francs pour les étrangers seraient une bonne solution. Cela apporterait plusieurs millions de francs par an à l’institution et cela éviterait que de nombreux étudiants étrangers choisissent leur université en fonction de son prix. Les hautes écoles suisses sont très bien classées pour la qualité de leur enseignement, il y a quelque chose d’aberrant à le brader comme si nous devions attirer le chaland !

Le rayonnement de la Suisse passe évidemment par l’accueil d’étudiants étrangers. Certains estiment qu’il y en a trop dans nos universités. Pensez-vous que parfois, il s’agisse de projets de séjour ou d’installation en Suisse plutôt que de projets d’études ?

MA – C’est un phénomène qui n’est à l’évidence pas négligeable. À Genève, la loi sur l’université date de 1973 et devrait être actualisée. Elle prévoit que 10% des taxes universitaires vont à la Bibliothèque de Genève (anciennement Bibliothèque publique et universitaire). Une part de ces sommes va au financement de l’encadrement des associations d’étudiants, ce qui ne me semble pas indispensable.

SD – Les associations d’étudiants, justement, sont claires : le brassage de cultures apporte une très grande richesse et il est bien vécu. Des étudiants s’installent et constituent de la main-d’œuvre qualifiée pour notre pays, alors qu’ils avaient prévu de repartir. La vie estudiantine est chère en Suisse et faire un projet d’études ici nécessite souvent d’obtenir un travail à côté. Tirer des conclusions hâtives sur le dos des étudiants étrangers est simpliste !

DANS LE CAS DE GENÈVE, UNE TAXE SEMESTRIELLE DE 500 FRANCS POUR LES SUISSES ET LES RÉSIDENTS DU CANTON ET UN MONTANT DE 1500 FRANCS POUR LES ÉTRANGES SERAIENT UNE BONNE SOLUTION.

Michael Andersen, député UDC au Grand conseil genevois

Du côté des professeurs, on a aussi parlé d’une proportion très, voire trop forte, de nationaux étrangers, par exemple les Français à l’EPFL. Cela vous semble-t-il problématique ?

SD – L’EPFL a légèrement augmenté sa proportion d’étudiants étrangers ces dernières années, ce qui n’est pas le cas de l’Université de Genève, par exemple, où un projet de loi de l’UDC propose d’augmenter les taxes. Le taux reste stable à 33% d’étudiants considérés comme étrangers, car ayant obtenu leurs certificats d’études secondaires à l’étranger, dont 66% proviennent de l’espace de Schengen. La mobilité dans la formation et dans l’emploi correspond à la génération actuelle. C’est la même chose pour les professeurs. Prenons l’exemple de Nicolas, un jeune étudiant vaudois venant d’obtenir son master à l’EPFL en route pour Copenhague pour y faire une expérience d’une année en architecture avant de revenir en Suisse. Les réseaux sociaux professionnels sont hors frontières et les candidats diversifient formations et expériences. Il faut valoriser les échanges universitaires et d’expérience ! Pour cela, la Suisse doit conserver son ouverture.

MA – L’Université de Saint-Gall a d’ores et déjà un quota maximum prévu et l’EPFL, sauf erreur, se penche sur ce problème. Il est question de quotas d’étudiants et de professeurs étrangers. Si les enseignants étrangers présentent des compétences intéressantes, il serait contreproductif de leur fermer la porte. Les responsables académiques doivent examiner ces compétences et l’apport de tel ou tel recrutement à leur institution. Un énarque français, par exemple, formé à la gestion d’entités publiques de son pays, correspond-il aux besoins d’une EPFL ou d’une EPFZ ? À elles de le déterminer.

L’EPFL.
x
(EPFL)
Dès 2025, l’EPFL envisage de limiter le nombre d’admissions d’étudiants étrangers en première année de bachelor à 3000, soit 200 de moins qu’actuellement.

Les étudiantes et étudiants suisses, à l’étranger, sont-ils reçus dans les mêmes conditions ?

SD – Nous l’espérons et si tel n’est pas le cas, s’aligner sur les universités plus chères n’apportera pas de plus-value à la Suisse. C’est un argument utilisé par l’UDC pour augmenter les taxes, or, les universités l’ayant testé, comme celle de Fribourg, ont plutôt créé des problèmes et de la polémique.

MA – Sur le plan financier, nul besoin de répéter que ce n’est pas le cas. Les accords avec l’Union européenne, par exemple, sont absents ou lacunaires et il est quasiment impossible d’obtenir une bourse si on est suisse. D’excellentes écoles, publiques ou privées, sont accessibles aux Suisses à travers le monde… à condition d’en avoir les moyens.

Y a-t-il selon vous un risque que des gens se forment en Suisse pour aller ensuite exercer ailleurs, dans leur pays d’origine ou dans un autre ?

MA – La situation est différente suivant les facultés. On peut se former en économie, en lettres, en psychologie ou en relations internationales et regagner ensuite son pays pour y faire carrière. Mais dans le cas du droit, c’est évidemment autre chose. En médecine, notre système de numerus clausus et de clause du besoin aboutit au fait désastreux que de jeunes médecins formés en Suisse – ce qui coûte au contribuable quelque 60’000 francs par étudiant et par an – ne peuvent s’installer, alors même qu’ils sont là depuis des années, sont compétents et pourraient prendre la relève des praticiens issus du baby-boom qui prennent leur retraite. Dès lors, ils repartent à l’étranger.

SD – Il ressort très nettement que d’attirer des talents extérieurs permet à la Suisse de maintenir son niveau d’excellence et contribue à répondre à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Les universités suisses ont formé des étudiants et étudiantes ayant par la suite pu apporter des compétences locales, notamment dans la recherche, mais également une plus-value économique. Les personnes qui sont retournées dans leur pays d’origine ont également contribué à faire connaître l’excellence des universités suisses. L’Université de Genève a obtenu un très bon score au classement de Shanghai, soit la 49e position. Il faut alors assumer le fait d’attirer des étudiantes et étudiants et en être fiers !

Footnotes

Rubriques
Notre époque

Continuer votre lecture