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Deux architectes qui font du bien

En 2024, Gaston Tolila et Nicholas Gilliland remportaient l’équerre d’argent. Ce grand prix français d’architecture récompensait leurs logements sociaux et structures médicales qui mettent en avant le plaisir d’habiter ensemble.

Situé dans le XIIIe arrondissement parisien, dans le très joli quartier de la Butte-aux-Cailles, charmant dédale de rues piétonnes en pente bordées de petites maisons, leur lieu de travail est à leur image. Calme, élégant, silencieux. Gaston Tolila, 50 ans et Nicholas Gilliland, de quatre ans son cadet, sont à la tête de Tolila+Gilliland. Ne leur parlez pas d’un cabinet, ils préfèrent le terme d’atelier, car les deux hommes, ainsi que la vingtaine d’architectes qui composent leur équipe, se considèrent tous comme des artisans.

Le premier est français, Lyonnais d’origine. Le second américain, ayant étudié à Lawrence, Kansas, un état au paysage « marqué par les greniers en bois et les silos à grains », dit-il. Fin 2024, pour la deuxième année consécutive, le duo a remporté le très prestigieux prix de l’Équerre d’argent, l’équivalent pour les architectes des Césars. L’atelier a été récompensé pour le projet de « L’Îlot Poreux » à Bagneux (Hauts-de-Seine), à 10 km au sud de Paris.

Une salle commune de « L’Îlot Poreux » à Bagneux.
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(Cyrille Weiner)
Une salle commune de « L’Îlot Poreux » à Bagneux. Septante-six logements sociaux en bois et maxibriques qui invitent au plaisir d’habiter ensemble. Le projet lauréat de l’Équerre d’argent 2024.

Septante-six logements sociaux « avec une utilisation intelligente de la maxibrique et du bois », a souligné le jury de ce concours qui récompense une réalisation architecturale terminée dans l’année sur le sol français.

Un projet qui invite à développer un plaisir d’habiter ensemble, à travers des espaces partagés de la rue à la chambre : deux corps de bâtiment qui se découpent en trois petits blocs de logements traversants desservis par de larges plateaux en bois servant de paliers d’étage à l’air libre. Les couloirs menant aux appartements ont été remplacés par de grands paliers-terrasses ouverts, où l’on peut sortir chaises et tables pour pique-niquer avec ses voisins, en plus des balcons qui équipent tous les logements et contribuent également à les agrandir. Comme un bâtiment post-Covid, pensé pour y vivre et y travailler.

Le Centre Gilbert Raby à Meulan-en-Yvelines.
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(Cyrille Weiner)
Le Centre Gilbert Raby à Meulan-en-Yvelines, un centre de soin pour personnes autistes. Avec ce projet favorisant les espaces verts et les grandes ouvertures, les architectes Gaston Tolila et Nicholas Gilliland remportaient, en 2023, leur première Équerre d’argent.

DUO MODESTE

L’Équerre d’argent, qui plus est décrochée deux fois en deux ans, constitue évidemment une vraie source de fierté pour ces deux modestes. « C’est très valorisant pour nos équipes, pour leur travail de longue haleine, nous sommes très contents pour toute l’équipe », confirme en souriant Gaston Tolila avant d’avouer que, tout de même, une telle mise en lumière « augmente les chances si ce n’est d’être choisis pour réaliser un projet, du moins d’être retenus dans une liste de postulants. »

Gaston Tolila et Nicholas Gilliland se sont rencontrés en 2003 autour d’un concours d’architecture humanitaire dont ils furent lauréats. Ce projet de dispensaire mobile pour lutter contre le sida fut exposé au Centre Pompidou à Paris en 2005. Construite en terre, une partie fixe était destinée à stocker les médicaments tandis que la partie nomade, en toile, servait de lieu pour recevoir les patients. « On travaillait tous les deux pour de grands cabinets, en ayant une appétence pour l’architecture humanitaire, se souvient Gaston Tolila. Ce concours, dans le cadre du programme ‹ Architecture for humanity ›, fut un travail bénévole qui nous a passionnés. » Les deux se retrouvent ensuite autour de la construction d’un centre d’obstétrique et de formation de sages-femmes en Tanzanie.

2011 : Gaston Tolila appelle Nicholas Gilliland, reparti aux États-Unis. « J’étais à New York quand j’ai reçu l’appel. Je n’ai pas hésité et deux semaines plus tard, j’étais là ! Je savais qu’on allait bien travailler ensemble. La vie architecturale est très enthousiasmante en France, il y a beaucoup d’opportunités à exploiter, beaucoup d’expériences à tenter. Des architectes du monde entier viennent travailler ici depuis maintenant plusieurs années. »

Ensemble, ils créent donc Tolila+Gilliland autour de la volonté commune de concevoir des projets, de les accompagner au bout de leur réalisation en explorant les relations entre usages et matériaux. Dès l’année suivante, ils remportent le prix d’Architecture de la revue spécialisée Le Moniteur dans la catégorie Première Œuvre. Très vite, les projets se multiplient, prenant des visages sans cesse différents : urbanisme, logements, équipements, bureaux, santé, commerces. Avec, comme marque de fabrique, une interrogation permanente sur les méthodes constructives comme premier levier dans la réduction de l’impact environnemental des constructions, en privilégiant les matériaux naturels, bio et géosourcés. Et du bois à gogo. « L’architecture traite bien des domaines, il existe une multitude de façons de l’exercer, reprend Gaston Tolila. Du tout petit aménagement intérieur à la possibilité de réinventer une ville. »

Un hôpital de jour pour enfants à Chevilly-Larue.
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(Camille Gharbi)
À Chevilly-Larue, un hôpital de jour pour enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme.

En ce moment, ils sont les chefs d’orchestre d’un des plus grands chantiers à Paris, celui du site dit des Messageries, dans le XIIe arrondissement. Sept hectares à repenser en les gagnant sur une des grandes artères ferroviaires de la capitale, un plateau longeant les voies de chemin de fer qui conduisent à la gare de Lyon. « Ce territoire dépend d’un travail à la fois stratégique et d’une analyse approfondie du détail, expliquent-ils. Le site est doté d’un nombre de bâtiments existants qui constituent de manière générale un patrimoine industriel : le reflet des qualités particulières de ce lieu unique. »

ESPACE SANS VOITURE

Mais il faut aussi inventer d’autres immeubles, qui commencent à sortir de terre (le site comptera au moins 500 logements), des écoles, des crèches, des rues… Pas de voiture à l’avenir, mais la moitié des sept hectares transformés en espaces verts.

Ailleurs en France, ils travaillent, ou ont travaillé, sur d’autres chantiers de construction d’immeubles d’habitations en région parisienne, vers Saint-Nazaire, Angers, Chambéry, Brest… À Issy-les-Moulineaux, une commune limitrophe de Paris, ils transforment un immeuble de bureaux désaffectés (du fait de l’implosion du télétravail) en appartements traversants.

À Paris, ils se sont chargés, durant des années, de la rénovation du luxueux hôtel Dreyfus, un hôtel particulier du XIXe siècle qui accueille le siège et les ateliers de Rolex dans la capitale française. Bientôt, ils se chargeront aussi de transformer tout le premier étage de la Gare de l’Est, à l’abandon depuis des années.

Mais jamais, ils n’ont oublié leurs débuts et cette architecture humanitaire qui les a fait se rencontrer. Car le soin, le care, est demeuré au cœur de leur démarche.

« L’Îlot Poreux » à Bagneux.
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(Cyrille Weiner)
Le jeu graphique de la façade en briques de « L’Îlot Poreux » à Bagneux.

En 2023, c’est pour leur travail sur un centre de soins destiné aux personnes autistes à Meulan, à une quarantaine de kilomètres de Paris, qu’ils ont remporté l’Équerre d’argent. Le projet a consisté en la construction d’un bâtiment neuf sur deux niveaux accueillant les fonctions d’ateliers thérapeutiques, de laverie, d’hôpital de jour et de pharmacie. L’édifice s’est inséré dans la pente du terrain, donnant accès de plain-pied aux deux niveaux. Une large rue intérieure a été créée, le tout dans une association de matériaux, bois, briques de terre crue et isolants biosourcés en fibres de bois. « Une année a été nécessaire pour nous entretenir avec les équipes médicales, comprendre leurs attentes et savoir comment imaginer un bâtiment qui ferait du bien aux patients, explique Gaston Tolila. Nous avons vraiment voulu faire tout l’inverse de l’architecture carcérale que l’on rencontre souvent dans la psychiatrie. »

Ici, tout a été pensé pour le confort des patients. Du bois partout, rassurant par son odeur et son toucher ; des couloirs assez larges pour que les personnes puissent se croiser sans crainte ; des espaces verts, de larges fenêtres qui donnent sur l’extérieur, mais empêchent que l’on puisse s’échapper…

Une salle de sport dans le centre de Chevilly-Larue.
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©camillegharbi
Une salle de sport dans le centre de Chevilly-Larue.

MAISONS D’ENFANTS

Trente chambres ont été dessinées et construites. Là encore, le bois domine, jusqu’au plafond. Son odeur ainsi que sa texture rassurent des patients qui n’hésitent pas, souvent, à frapper les murs, au risque de se blesser. Des gestes qui ont disparu ici. De grandes fenêtres donnent sur l’extérieur et les arbres, mais ne peuvent pas s’ouvrir pour que le malade ne puisse pas sortir seul. À l’inverse, des persiennes laissent entrer la lumière et l’air, mais leur structure est suffisamment solide pour que personne ne puisse les arracher.

Le pavillon Sud Pussin de l’hôpital l’Eau Vive de Soisy
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(Cyrille Weiner)
Construit en 2021, le pavillon Sud Pussin de l’hôpital l’Eau Vive de Soisy accueille, en pleine nature, un foyer d’accueil médicalisé.

La même démarche bienveillante a prévalu pour la réalisation, toujours en région parisienne, d’un hôpital de jour pour des enfants autistes. « Ici, reprend Nicholas Gilliland, on a entendu les réticences des parents à y placer leurs enfants. Qu’est-ce qui pouvait les rassurer ? Quelles sont les activités prévues dans une journée ? Alors on a conçu des maisons d’enfants un peu comme eux, les petits, les dessinent. Une suite de petites bâtisses triangulaires qui se touchent les unes les autres, en bois. »

Finalement, bien des parents qui n’envisageaient pas de placer leurs enfants, même pour la journée, dans un lieu spécialisé, l’acceptent quand ils découvrent le parc, les maisons, l’intérieur des salles communes… « Ils hésitent vraiment, mais quand ils viennent ici, ils sont rassurés, assure Gaston Tolila. Ils voient qu’en réalité, ça ne ressemble en rien à un hôpital. » Quand ils reviennent, une fois le chantier livré et le lieu habité, les deux architectes vont souvent de découvertes en découvertes. « Une fois qu’on a coupé le cordon, les gens s’approprient le lieu, ils créent des usages auxquels nous n’avions pas pensé qui peuvent même nous servir pour plus tard. En réalité, cela aussi, c’est très émouvant. »

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