Mieux vaut manger des fruits entiers. Les nutritionnistes mettent les consommateurs en garde contre les smoothies qui contiennent trop de fructose.
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Mieux vaut manger des fruits entiers. Les nutritionnistes mettent les consommateurs en garde contre les smoothies qui contiennent trop de fructose. © iStock
N° 116 - Printemps 2015

La mode des smoothies sur le déclin ?

Les smoothies, ces boissons colorées à base de fruits mixés sont apparues sur les rayons des supermarchés européens au début des années 2000. La marque britannique Innocent, l’une des pionnières sur ce segment agroalimentaire, a rencontré un succès phénoménal. Mais, aujourd’hui, les experts remettent sérieusement en cause les supposées vertus nutritionnelles de ces boissons naturellement trop sucrées.

A deux pas d’Oxford Street, l’une des plus grandes artères commerçantes au monde, Eastcastle Street pourrait être rebaptisée Smoothie Street. C’est là qu’est implanté l’un des vingt-cinq bars Crussh de la capitale. Lancée en 1998 dans la City, Crussh s’est imposée comme la plus grande chaîne de bars à smoothies du Royaume-Uni. Mais, dans cette rue du centre de Londres, comme dans d’autres quartiers londoniens, Crussh ne possède pas le monopole de la vente de ces boissons préparées avec des fruits entiers mixés. Dans un mouchoir de poche, une enseigne de la chaîne de sandwichs Prêt-à-manger, un petit café indépendant et une chaîne de plats à emporter commercialisent également des mélanges à base de bananes, fraises, mangues, etc. Vendus dans des bouteilles ou servis dans des verres en plastique transparent, ces breuvages à mi-chemin entre aliment solide et liquide s’avalent en quelques gorgées.

Un produit venu de Californie

Les smoothies, de smooth c’est-à-dire lisse, ne sont pas un produit typiquement britannique mais c’est via le Royaume-Uni que la consommation de ces boissons colorées s’est répandue en Europe au début des années 2000. PJ’s Smoothies voit le jour en 1994. La marque est lancée à Londres par un Anglais qui importe des produits fabriqués en Californie, la Mecque des tendances étiquetées healthy (sain, en français). Racheté par le groupe PepsiCo en 2005 pour 20 millions de livres, PJ’s Smoothies a depuis disparu du marché pour laisser la place aux smoothies Tropicana, une autre marque de la galaxie PepsiCo. Mais, à l’inverse, Innocent, qui s’est lancée dans la commercialisation de smoothies à la même époque, s’est imposée en 2010 comme la marque de référence en Europe.

Comment Innocent a conquis les consommateurs

Créée en 1999 par trois amis d’université, Innocent a connu un développement fulgurant. Six ans après son lancement, la marque au petit ange détient la plus forte croissance du secteur agroalimentaire du Royaume-Uni et part à l’assaut du marché européen. En 2009, Coca-Cola investit 30 millions de dollars dans Innocent. Quatre ans plus tard, la marque tombe dans l’escarcelle du géant Coca-Cola.

Dès le départ, Innocent a tiré son épingle du jeu en adoptant un style de communication jovial, naïf et interactif. Cette stratégie marketing rend la marque populaire auprès des jeunes : la variété et le nombre de fruits contenus dans chaque brique de smoothie sont clairement indiqués sur l’emballage grâce à des photos, les fans d’Innocent sont invités à contacter la marque pour donner leur avis sur les produits et ils sont même incités à visiter Fruit Towers, le siège de l’entreprise situé près du marché de Portobello à Londres. Quant aux smoothies, préparés uniquement à base de fruits frais, sans sucre ajouté, ils sont présentés comme sains. Le slogan d’Innocent : « Tastes good. Does good », ce qui a bon goût fait du bien.

Le fructose contribue notamment à l’apparition du diabète et au développement des maladies rénales.

Des boissons sucrées mauvaises pour la santé

Il serait tentant de croire Innocent sur parole, d’autant que le fabricant de smoothies soigne ses relations avec ses petits fournisseurs éparpillés dans le monde entier et, de manière plus générale, son image éthique – la marque verse 10 % de ses profits à des ONG. Pour autant, les smoothies sont-ils vraiment aussi bons pour la santé que le prétend le leader européen du secteur ? « C’est une idée complètement fausse ! », s’insurge Barry Popkins, professeur en nutrition à l’Université de Caroline du Nord. « La quantité de fructose contenue dans les jus de fruits et les smoothies est très élevée. Or, on sait que sur le long terme le fructose a un impact néfaste sur la santé. Il contribue notamment à l’apparition du diabète et au développement des maladies rénales », précise le scientifique américain. Loin d’être bénéfiques pour la santé, au même titre que les jus de fruits, les smoothies seraient en partie responsables de l’épidémie d’obésité qui touche une partie grandissante de la population mondiale.

Dans ce cas-là, comment expliquer que les autorités de santé britanniques aient adoubé Innocent ? Car c’est bien avec le consentement du ministère de la Santé que la marque se prévaut depuis 2009 de fournir aux consommateurs de smoothies deux des cinq portions de fruits et légumes journalières recommandées par le Gouvernement. Pour Naomi Mead, une nutritionniste qui dispense ses conseils dans la presse magazine anglaise, c’est le principe même des « cinq fruits et légumes par jour » qui est contestable. « Ces recommandations nutritionnelles qui ont été adoptées en 2003 par le Royaume-Uni ne reposent pas sur grand-chose. Il est primordial de consommer des légumes mais, à l’inverse, il faut limiter sa consommation de fruits. » Or, comme le fait remarquer le professeur Tom Sanders du King’s College London, la consommation de smoothies conduit à la surconsommation de fruits. « Le nombre de calories contenues dans une mangue entière est bien identique au nombre de calories contenues dans une mangue mixée. La différence, c’est que pour préparer un smoothie à la mangue, il vous faut plusieurs mangues. »

Les familles, premières consommatrices de smoothies

Ajoutez à cela le fait que la sensation de satiété que procure un smoothie est très courte, car le fructose contenu dans un smoothie est beaucoup plus rapidement absorbé que le fructose contenu dans un fruit, et vous ne verrez sans doute plus les smoothies du même œil. Et pourtant, contrairement aux jus de fruits, ces boissons continuent de bénéficier d’une image positive auprès d’un large public. Peut-être parce que les marques sont parvenues à persuader les parents que ces fruits écrasés vendus en bouteilles ou en briques représentaient un moyen pratique et rapide de faire consommer des vitamines à leurs têtes blondes. Les ménages avec des enfants sont la cible privilégiée des fabricants de smoothies : Katie Williams, l’une des responsables marketing d’Innocent, est très fière de nous faire savoir que « la gamme de produits conçue spécialement pour les enfants rencontre beaucoup de succès au Royaume-Uni et dans le reste de l’Europe ».

Pour mieux comprendre la popularité de ces boissons auprès des parents et de leurs enfants, il suffit de parcourir les commentaires laissés par des mères de famille sur le très populaire forum en ligne Mumsnet. « J’ai donné un smoothie à mes filles au petit-déjeuner, écrit Emma B. C’est un moyen rapide de leur faire manger des fruits et c’est une bonne chose de démarrer la journée avec l’une des cinq portions de fruits et légumes [NDLR : recommandées par les autorités britanniques]. Une bonne astuce pour leur faire consommer un peu plus de fruits ! » En donnant une boisson à base de fruits pressés, cette mère a le sentiment d’avoir accompli son devoir parental et elle n’est pas seule dans sa catégorie. Sarah Theodore, une analyste de Mintel spécialisée dans le secteur des boissons, confirme qu’en Europe comme aux Etats-Unis « les familles avec des enfants font partie des plus gros consommateurs de smoothies, avec les adultes de moins de 35 ans ».

Les smoothies boudés par les consommateurs

Malgré le succès rencontré auprès de ces consommateurs, le smoothie ne menace pas la popularité des jus de fruits. En Europe, depuis la crise, ce petit marché souffre du recul du pouvoir d’achat. D’après l’institut de recherches Mintel, 42 % des consommateurs britanniques jugent que les smoothies, bien plus chers que les jus, ne sont pas d’un bon rapport qualité-prix. En 2013, au Royaume-Uni, leur consommation était d’ailleurs inférieure au niveau observé en 2008 (51 millions de litres, contre 71 millions de litres cinq ans plus tôt).

Pour le moment, ce déclin de la consommation de smoothies semble plus directement lié à des questions pécuniaires qu’à une prise de conscience des consommateurs des dangers que représentent pour la santé ces boissons à base de fruits. Mais le fait est qu’en Grande-Bretagne, où un tiers des enfants de 10 ans sont obèses, les smoothies sont dans le collimateur des médecins qui tentent d’enrayer l’épidémie d’obésité en luttant contre la consommation de sucre. Un rapport publié fin 2014 par un groupe d’experts en nutrition, baptisé Action on Sugar, affirme qu’un quart des jus de fruits pour enfants, boissons fruitées et smoothies sur le marché contiennent autant de sucre, voire plus de sucre, qu’une canette de Coca-Cola. C’est pourquoi les auteurs du rapport supplient les parents de « donner de l’eau à leurs enfants ou des fruits entiers à la place des jus industriels ».

La nouvelle tendance : les jus de légumes

Autre difficulté pour le smoothie, il doit faire face à l’arrivée d’un concurrent potentiel : le jus de légumes. Prisés par les adeptes des régimes censés permettre de garder la ligne tout en conservant la forme, les jus à base de carotte, de betterave ou encore de kale commencent à faire de l’ombre aux smoothies banane-fraise ou mangue-passion. Situé en plein cœur de Covent Garden, LabOrganic est l’un des lieux emblématiques de cette nouvelle vogue alimentaire. Ce nouveau bar à jus est à la pointe du phénomène du juicing : d’abord parce que les légumes sont les principaux ingrédients des jus commercialisés par LabOrganic ; ensuite, parce que LabOrganic utilise une technique de pression à froid censée mieux préserver qu’une centrifugeuse les nutriments contenus dans ces légumes.

C’est en revenant d’un séjour en Australie que Sofia Fominova, 24 ans, s’est lancée dans ce projet de bar avant-gardiste avec son mari. D’après la cofondatrice de LabOrganic, « les jus de légumes sont un moyen de consommer plus de légumes, notamment plus de légumes à feuilles vertes comme du kale ou des épinards ». Moins d’un an après son lancement, l’endroit est suffisamment populaire pour que Sofia Fominova envisage d’ouvrir prochainement un second bar dans la capitale. « Parmi notre clientèle, nous avons pas mal d’étudiants qui se soucient de leur santé et sont prêts à payer un peu plus pour un jus biologique », constate la jeune entrepreneuse. Cela a été une bonne surprise pour Sofia qui comptait plus sur les cadres supérieurs des bureaux pour faire tourner son business.

L’émergence de cette nouvelle niche sur le marché des produits sains ou réputés sains n’a pas échappé à Innocent. Le numéro un du smoothie continue de diversifier ses produits. A l’automne 2014, Innocent a commercialisé deux jus : l’un à base de betterave, de carotte, de pomme et de gingembre ; l’autre à base de concombre, de céleri, d’épinards et de pomme. Ils ne sont pour l’instant disponibles que dans les cafés Starbucks au Royaume-Uni. Mais Innocent assure que les ventes sont encourageantes et les deux produits pourraient bientôt être en vente sur les rayons d’autres grandes chaînes de cafés.

Pour Naomi Mead, ces jus à base de légumes peuvent être une bonne alternative aux smoothies, à condition que le kale, les carottes, etc. représentent au moins 70 % des ingrédients. Pas sûr que les jus d’épinards fassent un tabac auprès des moins de 10 ans.

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