Syon Park à Londres. Datant de 1827, cette réalisation, qui comporte une coupole ovoïde de 12 mètres, est l’une des premières grandes structures de fer et de verre.
x
Syon Park à Londres. Datant de 1827, cette réalisation, qui comporte une coupole ovoïde de 12 mètres, est l’une des premières grandes structures de fer et de verre. © Adrien Buchet
N° 121 - Automne 2016

Des écrins de cristal pour les plantes

La découverte des serres représente un voyage insolite à travers l’espace et le temps. Cette exploration réunit l’exotisme et la richesse des plantes tropicales, importées de pays lointains, avec le charme d’une architecture ancienne et moderne.

Les serres d’Auteuil, Paris. Datant de 1898, la grande nef du palmarium mesure 100 mètres et abrite trois zones climatiques.
x
© Adrien Buchet
Les serres d’Auteuil, Paris. Datant de 1898, la grande nef du palmarium mesure 100 mètres et abrite trois zones climatiques.

Les serres et les verrières botaniques sont des joyaux d’architecture que l’on découvre dans les plus grands jardins botaniques d’Europe et du monde. Le livre Les Serres, paru chez Actes Sud (2013), rassemble une sélection de vingt-cinq des plus prestigieuses serres ornementales d’Europe, dont le Crystal Art Palace de Glasgow, la grande serre tropicale de Schönbrunn ou la serre tempérée du Jardin botanique de Genève. Les textes de quatre spécialistes de disciplines différentes accompagnent les photographies des sites et exposent le rôle des serres à travers l’histoire. Ces géants de verre révèlent ainsi un patrimoine architectural au potentiel esthétique et technique phénoménal.

Nés de la révolution industrielle, ces ouvrages de fer représentent des prouesses qui marquèrent, au XIXe siècle, une évolution capitale dans l’histoire de l’architecture. Le fer et la fonte  – avec leurs structures légères, résistantes et élégantes – révolutionnaient le mode de construction, apportant fraîcheur, transparence et innovation. Aujourd’hui encore, les grandes charpentes métalliques d’antan ont fière allure. Comme les paradigmes d’une architecture du futur, les verrières botaniques sont néanmoins les témoins d’un autre temps et demeurent de précieux exemples pour les réalisations modernes qui tirent profit des avancées technologiques liées aux potentialités qu’offre le métal.

Le Tropicarium du Palmengarten de Francfort. Pour réaliser cette serre de 5 000 mètres carrés, l’architecte s’est inspiré de la coupe transversale d’un cactus.
x
© Adrien Buchet
Le Tropicarium du Palmengarten de Francfort. Pour réaliser cette serre de 5 000 mètres carrés, l’architecte s’est inspiré de la coupe transversale d’un cactus.
Les serres aux palmiers de Belfast. Ce joyau architectural (1840) au dôme elliptique représente l’une des plus anciennes serres curvilignes jamais construites.
x
© Adrien Buchet
Les serres aux palmiers de Belfast. Ce joyau architectural (1840) au dôme elliptique représente l’une des plus anciennes serres curvilignes jamais construites.

Le XIXe : siècle de la métallurgie moderne

Loin de faire l’unanimité au XVIIIe siècle, les bâtisseurs classiques ne s’accordent que progressivement sur l’utilisation fonctionnelle du métal – initiée dès l’époque gothique. Aussi révolutionnaire soit-il, le fer a souvent pâti d’une connotation liée à la fabrication à la chaîne et à l’usine. Ce handicap ne contribue pas à la promotion de ses qualités. Pourtant, l’architecte et restaurateur Eugène Viollet-le-Duc, qui appréhende et exploite très tôt ses étonnantes caractéristiques, sera l’un des grands défenseurs de l’usage du métal dans le bâtiment.

Avec la révolution industrielle, on note au XIXe siècle une intensification de la production du fer, d’abord en Angleterre, puis en France et en Allemagne. Le métal présente des atouts fantastiques pour l’architecte : grâce à sa résistance à la traction, à la flexion et à la compression, il s’impose vite comme l’élément indispensable d’une architecture rationnelle que suscite une société nouvelle secouée par la Révolution industrielle. Par sa plasticité combinée à la transparence de ses structures, le fer, associé au verre, permet d’illuminer les espaces intérieurs.

Eden Project, Cornouailles. Installés au cœur d’une ancienne carrière, les deux biomes imaginés par Sir Nicholas Grimshaw abritent des espèces végétales tropicales et méditerranéennes.
x
© Adrien Buchet
Eden Project, Cornouailles. Installés au cœur d’une ancienne carrière, les deux biomes imaginés par Sir Nicholas Grimshaw abritent des espèces végétales tropicales et méditerranéennes.
Eden Project, Cornouailles. Installés au cœur d’une ancienne carrière, les deux biomes imaginés par Sir Nicholas Grimshaw abritent des espèces végétales tropicales et méditerranéennes.
x
© Adrien Buchet

C’est à l’Exposition universelle de Londres, en 1851, que l’un des monuments les plus somptueux du siècle verra le jour : le Crystal Palace dont l’architecte est le Britannique Joseph Paxton. Il deviendra, dès lors, la véritable référence dans ce domaine. Spécialiste des serres, il édifiera, entre autres exemples, ce palais de verre comme pavillon central et vitrine technologique ultra moderne pour l’époque. Ouvrant de nouvelles perspectives techniques, tant fonctionnelles qu’esthétiques, les 92 000 mètres carrés de fer et de verre du Crystal Palace lanceront définitivement la mode d’une architecture lumineuse et légère.

Fonction des verrières botaniques

A ses débuts, la serre est un présentoir de variétés pittoresques de végétaux qui bénéficient du charme des pays lointains. Mais peu à peu, comme un laboratoire issu d’histoires imaginaires, ces structures sont devenues, dès le début du XVIIIe siècle, des lieux de travail, de sélection, d’hybridation, de création d’espèces nouvelles et de conservation de nombreuses variétés de plantes. Les prémices des serres botaniques remontent à la Renaissance, lorsque certains aristocrates rêvent de posséder, en France, des végétaux et autres fruits repérés et appréciés en Italie. Au temps des grandes découvertes et de la colonisation, des savants naturalistes se lancent dans l’exploitation de nombreuses espèces végétales ; ils ramèneront des pays étrangers, herbiers, graines, boutures et échantillons de plantes exotiques. Un grand humaniste, Alexander von Humboldt, deviendra célèbre pour ses relevés cartographiques et ses observations botaniques résultant de ses expéditions, qui, avec la Description de l’Egypte de Bonaparte, fondent les bases des explorations scientifiques à l’échelle planétaire.

Or, le meilleur moyen de conserver ces « trésors verts » consiste à les faire éclore dans des verrières. Tout le monde souhaite en posséder. Les botanistes pour étudier les espèces de plantes et de fleurs, les horticulteurs pour les produire, et les puissants de ce monde pour séduire et charmer. La vogue des jardins d’hiver, botaniques ou aristocratiques, où l’on donne des fêtes sous des ramures exotiques, bat son plein dans le sillage du Crystal Palace.

La grande serre aux palmiers de Copenhague. Modernisée en 1980, cette serre de 94 mètres s’est inspirée entre autres serres, du Crystal Palace de Paxton.
x
© Adrien Buchet
La grande serre aux palmiers de Copenhague. Modernisée en 1980, cette serre de 94 mètres s’est inspirée du Crystal Palace de Paxton.

Architecture translucide

La réalisation d’une verrière implique des techniques de construction fondées sur des paramètres spécifiques. Depuis leur invention, les architectes n’ont cessé d’en améliorer les capacités d’isolation et de ventilation. En effet, la gestion du climat, de la lumière, de la température de l’air et de l’eau régit le fonctionnement de l’édifice destiné, surtout, à protéger du froid.

D’un point de vue esthétique, les serres ne dérogent pas à l’influence des courants stylistiques des deux derniers siècles. L’Europe possède une collection unique de verrières botaniques. C’est en Grande-Bretagne que furent érigées au XIXe siècle les plus étonnantes réalisations de serres. Glasgow, Edimbourg, Dublin, Belfast et bien sûr Londres, pour ne citer qu’elles, offrent chacune des œuvres architecturales originales. Dans les jardins de Kew Gardens à Londres, un complexe de serres unique au monde fait le bonheur des amateurs de botanique et des férus d’architecture. Au centre du site, la serre aux palmiers (1844-1848), prémices du style victorien, constitue la structure la plus remarquable du jardin. Elle est certainement l’une des plus belles réalisations de fer et de verre du XIXe siècle. Réalisée par l’architecte anglais Decimus Burton et l’ingénieur irlandais Richard Turner, cette structure fait penser à la coque d’un navire inversé et mesure 108 mètres de long, 30 mètres de large et 20 mètres de haut. Cet espace, envahi par les palmiers géants et les végétaux tropicaux extravagants, donne au visiteur l’impression d’endosser ici l’habit d’explorateur.

Le Crystal Art Palace de Glasgow. Jeux de courbes et de contre-courbes sur la rotonde de 45 mètres de diamètre pour une des plus belles serres au monde.
x
© Adrien Buchet
Le Crystal Art Palace de Glasgow. Jeux de courbes et de contre-courbes sur la rotonde de 45 mètres de diamètre.

A l’Eden Project, en Cornouailles, de géantes bulles d’éthylène, appelées « biomes », ont supplanté une ancienne carrière de kaolin. L’architecte britannique Nicholas Grimshaw a donc dessiné et construit deux immenses biomes dont le plus grand, le biome tropical, mesure 55 mètres de hauteur, 100 mètres en largeur et 200 mètres de long. Le site, à caractère pédagogique, a pour but de sensibiliser les visiteurs au développement durable et à l’environnement.

Moins connue mais tout aussi prodigieuse, la serre de Lednice est située à l’est de la République tchèque, en Moravie. Cette verrière curviligne ressemble à une longue galerie de verre dont les voûtes sont recouvertes de 65 000 tuiles de verre. Ces dernières font penser à des écailles miroitant au soleil. Datant du milieu du XIXe siècle, elle est l’œuvre de l’architecte anglais P. H. Desvignes.

Plus à l’est encore, en Autriche, la grande serre tropicale de Schönbrunn (1882) de l’architecte Franz von Segenschmid est constituée de trois coupoles à quatre pans aux lignes arrondies. Cette remarquable structure en fer forgé se situe à cheval entre le baroque et le néoclassicisme.

La serre aux palmiers des Royal Botanic Gardens de Kew, Londres. Vues extérieure de la coursive du corps central de la serre. Kew Garden renferment d'autres serres magnifiques.
x
© Adrien Buchet
La serre aux palmiers des Royal Botanic Gardens de Kew, Londres. Vues extérieure de la coursive du corps central de la serre.

L’Allemagne ne déroge pas à la règle non plus. Il est en effet possible de visiter une serre dans presque toutes les grandes villes du pays, comme, par exemple, au Jardin botanique de l’Université de Berlin-Dahlem ou au Palmengarten de Franc-fort. En France, les serres du Jardin des Plantes de Paris sont incontournables. Les plus anciennes sont de Charles Rohault de Fleury qui construisit deux serres identiques entre 1834 et 1836. Cet architecte sera l’un des premiers bâtisseurs, en France, à saisir les avantages du métal et à l’utiliser pour ses constructions. Une troisième grande serre de style Art déco fut construite par René Berger en 1937 et vient de faire, avec les deux serres jumelles, l’objet d’une importante restauration. Dessinée sur un plan hexagonal par l’architecte suisse Jean-Marc Lamunière, la serre tempérée du Jardin botanique de Genève est originale. Recouverte de 1 100 mètres carrés de vitrages réfléchissants, son diamètre est de 35 mètres et sa hauteur de 21 mètres. Enfin, pour couronner ce bel ensemble, les Serres royales de Laeken, un complexe architectural de style Art nouveau, comportent des serres tropicale, froide et méditerranéenne. Construit en l’espace de trente ans, grâce au concours de trois architectes dont Alphonse Balat, l’ensemble des serres étend sa couverture de fer et de verre sur 1,5 hectare.

Le Palacio de cristal de Madrid. Situé dans le parc du Retiro à Madrid, il a été réalisé dans les années 1880 comme un jardin d’hiver.
x
© Adrien Buchet
Le Palacio de cristal de Madrid. Situé dans le parc du Retiro à Madrid, il a été réalisé dans les années 1880 comme un jardin d’hiver.

La protection de la nature et son développement sont aujourd’hui à l’ordre du jour. Quiconque s’intéresse à l’origine du phénomène s’aperçoit vite que la serre a joué un rôle fondamental dans l’épopée de la découverte des plantes et leur introduction dans les pays au climat tempéré. A ce titre, la fonction d’une serre botanique et son impact sur le quotidien de chacun en font, sans conteste, une création révolutionnaire dans l’histoire de l’humanité. Depuis des millénaires, le souci vital lié à la nourriture et à sa conservation est permanent. Avec les grandes découvertes et l’exploration de la Terre par les Occidentaux, l’invention de la verrière va permettre d’étudier la culture de nombreuses plantes tropicales dont nous ne pourrions nous passer aujourd’hui. Ainsi, le cacao, originaire d’Amérique du Sud, la vanille, la fleur et le fruit du bananier, l’ananas, la canne à sucre ou encore le café sont des exemples de plantes alimentaires introduites sur notre hémisphère grâce aux serres et qui font désormais partie de notre alimentation. Par ailleurs, il faut noter que les structures de verre permirent également d’introduire des végétaux ornementaux comme la bougainvillée et l’hortensia de Commerson. Les plantes médicinales tropicales comme la pervenche de Madagascar furent aussi diffusées grâce aux verrières.

L’âge d’or des serres semble perdurer. Plus que jamais, elles offrent des solutions inégalées en termes de production maraîchère. Dans le monde, les serres de production couvriraient plus d’un million d’hectares dont 60 % dans les zones tempérées, sans compter les superficies qu’occupent les tunnels de plastique, probablement supérieures au million d’hectares. Parallèlement, les « réalisations durables » ainsi que les nombreuses restaurations entreprises ces dernières années permettent de croire qu’elles joueront encore un rôle majeur pour la planète. En regard de nos préoccupations actuelles, le terme d’architecture responsable s’adapte on ne peut mieux à la serre botanique. Ainsi s’affirme le rôle des serres dans la préservation, la conservation puis la diffusion des plantes.

La grande serre tropicale de Schönbrunn, Vienne. Cet édifice remarquable est composé de trois coupoles à quatre pans dont la plus haute mesure 28 mètres pour accueillir les grands arbres tropicaux.
x
© Adrien Buchet
La grande serre tropicale de Schönbrunn, Vienne. Cet édifice remarquable est composé de trois coupoles à quatre pans dont la plus haute mesure 28 mètres pour accueillir les grands arbres tropicaux.

Avenir des serres et protection des espèces

Pour plusieurs raisons, les serres botaniques continuent de faire parler d’elles. La préservation du patrimoine biologique et botanique est une nécessité depuis des millénaires. Aujourd’hui, agités par des problèmes liés au changement climatique et à la biodiversité, les scientifiques dressent un premier bilan environnemental préoccupant. Pour parer à d’éventuelles catastrophes, les serres représenteront peut-être l’une des solutions clés pour abriter, conserver et cultiver fruits et légumes exotiques à l’abri d’un climat hostile.

Le concept de verrière botanique apporte sans nul doute un atout fantastique pour les villes situées en lisière du cercle polaire. Le rude climat hivernal de Stockholm contraint cette cité – à l’instar d’autres villes du nord – à importer fruits et légumes pour ses habitants. En projetant la réalisation de gigantesques serres maraîchères ovoïdes non loin de la capitale suédoise, à Linköping, la Suède est l’un des pays les plus impliqués dans la protection de l’environnement. Sa capitale est, de surcroît, indéniablement à la pointe d’une technologie verte et responsable.

Parmi les exemples qui rendent crédible l’immense potentiel de ces structures de verre, celui de la serre de Bordeaux est remarquable. Grâce à la verrière photovoltaïque de ses jardins botaniques, elle est capable de produire de l’électricité renouvelable. Opération exemplaire en termes de construction respectueuse de l’environnement, le système des serres a été réalisé en 2007 par Françoise-Hélène Jourda. Comme l’explique cette architecte, la serre, et le monde qu’elle abrite aujourd’hui, est un véritable paradigme à la fois des enjeux climatiques et de la protection de la biodiversité. Elle offre également des solutions en matière énergétique et plus particulièrement de cette énergie renouvelable qu’est par excellence le soleil.

Elle nous parle de transparence, de légèreté, de végétal, de lumière, d’espace convivial, de lieu de repli, de protection, de préservation. Autant de mots indispensables pour parler de l’architecture et de l’environnement. S’il est un vocable désignant l’aspiration à vivre autrement et de manière plus harmonieuse, c’est bien celui-ci. Il nous fait rêver depuis deux siècles et continuera à le faire sans doute pour de nombreuses décennies.

Footnotes

Rubriques
Architecture

Continuer votre lecture