N° 126 - Été 2018

La loi a mis le plaisir au pilori !

C’est depuis que les sexologues ont transformé les bons coups en pulsions que les transports amoureux causent plus de problèmes qu’ils ne procurent d’orgasme. Car la femme a cessé d’être, comme le chantait Aragon, l’avenir de l’homme pour devenir un passé pas toujours avouable et souvent délictueux. Ainsi, les commissariats de police et les médias sont-ils débordés par les plaintes que déposent de très anciennes jeunes filles. Avec un postulat à la clé : toute pénétration d’un corps étranger est assimilable à un cambriolage même s’il ne laisse que quelques traces de rouge à lèvres. La possibilité offerte par la science et permettant aux dames de procréer sans la collaboration directe des messieurs amplifie le malaise. Dans ma jeunesse, c’est-à-dire à une époque où il n’était pas question de libérer les mœurs, rien n’était plus difficile pour un ado que de recruter d’abord une partenaire et ensuite de dénicher un abri adapté. Les forêts étaient plus accueillantes que les hôtels. Les rendez-vous amoureux se donnaient dans des endroits si peu éclairés qu’on ne pouvait pas plus vérifier une date de naissance que le charme d’un visage. La contraception était moins répandue. Quand survenait une « grossesse non désirée », on régularisait. Les familles attendaient le cimetière pour se décomposer. Si l’on ajoute à cela qu’aucune des maladies sexuellement transmissibles ne mettait la vie en danger, que les enfants autistes étaient seulement réputés « en retard » et les vieillards dont la mémoire vacillait, considérés comme « un peu gâteux », force est de conclure que si l’on vivait moins longtemps, on vivait mieux. L’amour constituait alors une récompense. Aujourd’hui, il fait partie des malédictions et n’épargne plus que les impuissants.

LE SEXE N’EST PLUS UNE RÉCOMPENSE MAIS UNE MALÉDICTION.

Ne demandez plus du feu ou l’heure

Avec la criminalisation qui a fait des dragueurs des poseurs de mines, demander du feu ou l’heure à une femme dans la rue est maintenant une atteinte grave pour un législateur n’ayant pas envisagé qu’on pouvait réellement avoir besoin de ces deux entraides basiques et que la démarche pouvait au pire s’expliquer par l’arrière-pensée d’une conquête facile ou d’un service vénal dorénavant pénalisé. À partir de quoi, des créatures inspirant le respect plus que le désir se sont souvenues d’avoir été attaquées pendant leur adolescence par des dons Juan de village devenus à la ville riches et célèbres. De plus accortes se sont engouffrées dans la brèche. Toutes celles qui, voilà quelque temps encore, recherchaient les compliments, dénoncent ceux-ci comme des insultes. Au point qu’à ce train-là les couples ne pourront plus se former que si le sempiternel masculin sait se garder de toute amabilité envers l’éternel féminin. L’absence de guerre avait déjà rendu caduc le repos du guerrier. La nouvelle législation ne laissera bientôt plus d’autre alibi au rapprochement des deux principaux sexes que la perpétuation de l’espèce.

Symbole – contre son gré – d’une forteresse des convenances, Catherine Deneuve est montée au créneau. Pour dire qu’elle n’avait jamais pris en mauvaise part les assauts des mâles attirés par ses formes comme les mouches par le miel. Et pour sous-entendre qu’à 74 ans elle remettrait volontiers le couvert s’il se présentait des convives. Les féministes ont crié à la traîtrise en se demandant comment une actrice aussi adulée pouvait avouer la satisfaction qu’elle ressentait à ce qu’on fit seulement d’elle un objet voluptueux. Les choses en sont là et l’affaire est mal partie. Chaque semaine gonfle un peu plus le dossier. L’ultime accusé n’est pas le dernier venu puisqu’il s’agit de Woody Allen dont on feint de découvrir qu’il pratiquait aussi régulièrement l’inceste que la clarinette. L’infâme Weinstein n’est toujours pas jugé. Le procès de Georges Tron a été ajourné. Toute femme ayant cédé par exemple à des promesses de mariage oubliées après quelques week-ends plus ou moins réussis peut intenter une action en justice. En premier lieu, l’infortunée Ségolène Royal à laquelle le père de ses quatre enfants n’a jamais proposé qu’un portefeuille ministériel en remerciement des galipettes insérées entre géopolitique et droit romain dans le programme de l’ENA.

Garde à vue pour les regards torves

Le prochain été permettra de mesurer les ravages de ce qu’il faut bien appeler la « morale Macron » et le fossé créé par la condamnation de nos plus charmantes habitudes. Les pervers de plage ne pourront plus, sans risquer la garde à vue, laisser traîner leur regard torve sur des beautés qui continueront à se dénuder à seule fin de faire sanctionner le voyeurisme. La faute à une nature qui a autorisé l’association de la procréation et de la jouissance. La faute aux médias qui ont fait leurs choux gras d’idylles sans lendemain. La faute aux publicitaires qui ont édicté qu’une montre se vendait mieux si le mannequin qui la présentait n’avait d’autres atours que son bracelet. La faute aux écrivains qui ont sublimé l’étreinte charnelle et multiplié les adultères au fil de leurs romans. La faute aux ecclésiastiques plus assez vertueux eux-mêmes pour remettre dans le droit chemin les libertins. La faute à un cinéma où, chronomètre en main et pas seulement, le héros met dix fois moins de temps à copuler avec l’héroïne que les spectateurs dans la réalité. Oui, le sexe est une malédiction pour le petit être humain dès sa première érection dans le ventre de sa mère avant que son père ne prétende surveiller ses fréquentations en l’astreignant au plaisir solitaire et ne le livre ensuite aux outrages des enseignants. Il sera la cible des passants honnêtes chantés par Brassens jusqu’à ce qu’il les rejoigne sur les bancs publics. Obliquera-t-il vers des études littéraires ? On ne manquera pas de lui signaler que Victor Hugo honora Adèle 22 fois durant sa nuit de noces et qu’à 80 ans passés, les petites bonnes de la place des Vosges le saluaient comme un bienfaiteur. De ces tendances, le culte rendu aux disparus pâtit autant que la considération accordée aux vivants. Louis XIV doit moins au nombre de ses victoires qu’à celui de ses maîtresses d’être passé à la postérité. Le parc aux Cerfs de Louis XV est toujours cité comme un modèle d’organisation hédoniste. On se moque du pauvre Louis XVI, qui ne présentait qu’exceptionnellement ses hommages à la reine et l’on admire Napoléon comme le créateur de « cinq minutes, douche comprise ».

LA BÊTE À DEUX DOS S’ÉTIOLE.

Le sexe est donc une malédiction. Comme l’argent, il est capable de saper les réputations et d’abréger les carrières. Or, nous ne sommes pas sortis complètement de l’époque où l’on voyait d’un bon œil le jeu de la bête à deux dos. Trop de témoins sont encore de ce monde. Trop de livres et trop de films racontent des amours désormais prohibées. Que laisserons-nous à nos arrière-petits-enfants dans ce domaine ? Des clubs de rencontres à la faveur desquels tout est consommé durant les quelques minutes que nécessitaient naguère un baisemain. Le remède peut être pire que le mal. Pour que le monde retrouve sa sérénité, il suffirait qu’on émascule une partie des citoyens comme l’homme le fait pour le chien, qu’il appelle son meilleur ami. Naturellement, on conserverait quelques étalons mais en limitant leur activité à une cadence ne donnant plus de complexe aux inactifs. Cela en serait fini de pavoiser après chaque recensement sous prétexte qu’en cinq ans un pays compte un peu plus d’habitants sans avenir, souvent sans emploi, parfois sans toit. On se féliciterait au contraire d’une chute démographique grâce à laquelle on ne manquerait plus de nourriture, de crèches et d’universités. Si je suis assez fier de m’être déjà reproduit jusqu’à la troisième génération, c’est parce que je m’avise, jour après jour, que ma descendance est plus diplômée, plus talentueuse et plus agréable à regarder que je ne l’étais à son âge. Qu’importe qu’elle soit privée de ce qui a fait jadis un bonheur simple que ne menaçaient pas les cuistres et les gouvernants. À savoir les histoires lestes, le bœuf en daube et le slow lorsqu’on peut l’assimiler à un harcèlement de dancing.

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