N° 128 - Printemps 2019

Échecs, ratages et fiascos

Le moment est venu de passer aux aveux. Ma longue existence est moins un doux chemin de roses qu’un sentier cahoteux jalonné de cactus. Avec, très tôt, deux histoires d’amour avortées. D’abord, celle qu’on avait surnommée, dans notre petite colonie de vacances, « Sœurette » parce qu’elle traitait les garçons comme ses petits frères et qu’elle ne cachait pas son penchant pour la religion. À 10 ans, je faisais des projets d’avenir avec cette adolescente lorsqu’un matin, toute fière, elle nous montra l’alliance qu’elle portait au doigt :
– Je me suis mariée avec Jésus. Je serai à la fois son épouse et sa servante.
L’année suivante, elle nous fit faux bond car elle venait d’entrer au couvent.

Un lustre passa avant que je m’amourache d’une brunette prénommée Micheline. Je l’avais rencontrée en sortant du lycée Rollin de l’autre côté du square d’Anvers où ses parents tenaient le « Café des Oiseaux ». En m’apportant un verre de sirop d’orgeat, elle ne me gratifiait que du sourire commercial offert à tous les clients. Mais jamais un mot. Tous mes essais de conversation demeuraient lettre morte. On murmurait qu’elle avait un galant, plus grand et plus âgé que moi, et qui, lui, ne devait pas se contenter de sirop d’orgeat. J’ai eu des nouvelles de ma jolie muette cinquante ans plus tard. Au détour d’une chronique, j’avais raconté cette idylle unilatérale. Elle m’avait lu et s’était reconnue avant de m’adresser une lettre superbe.

PAS DE QUOI ÊTRE FIER ET JE NE LE SUIS PAS.

Elle me demandait de ne pas lui en vouloir si elle n’avait jamais fait attention à moi car elle n’avait d’yeux que pour ce grand brun qui était devenu son mari avant d’en faire une veuve. Elle ajoutait – en me tutoyant pour la première fois – « Je ne t’envoie pas ma photo car l’âge est passé par là et je souhaiterais que tu conserves dans ta mémoire le visage que j’avais quand j’étais la fille aux Oiseaux. » Par la suite, je nouai quelques petits flirts mais l’université me refusa toujours ses faveurs. Trois vaines tentatives au bac devaient m’interdire à jamais de devenir avocat ou plus simplement gardien de la paix. Un certificat d’études primaires me consola en me familiarisant avec les chefs-lieux de canton et la table de multiplication.

Ma pauvre mère ne s’était pas découragée. Elle m’avait inscrit à des cours d’anglais, ma seconde langue au lycée, en fait un idiome dont je n’ai jamais été fichu de prononcer une phrase. Puis, elle avait essayé de m’inculquer quelques rudiments de cuisine mais là encore, elle avait fait chou blanc car je ne parvenais pas à allumer le gaz. En réalité, je n’ambitionnais que d’apprendre le piano que l’auteure de mes jours enseignait par ailleurs quand elle fermait sa boutique d’opticienne à des petites-bourgeoises qui massacraient La Marche turque. Ma carrière musicale avait tourné court en raison de mon allergie au solfège. Je n’ai pas eu plus de chance avec le jardinage et le bricolage étant, selon mes mentors, affligé de deux mains gauches. En matière de sport, je n’ai pas brillé davantage.

Par miracle, je fus admis au CFJ, la première école de journalisme installée le soir dans une classe de maternelle du XXe arrondissement. Physiquement, ma petite taille s’accommodait parfaitement du mobilier. Intellectuellement, c’était autre chose car il me manquait des bases. Et surtout le sérieux qu’à l’époque on exigeait des desservants du culte dédié à l’information. Pour faire oublier que mes devoirs ne donnaient jamais lieu à une lecture publique, je divertissais mes camarades à l’aide de plaisanteries d’un goût généralement douteux. Ainsi, à une grande élève dotée d’une forte poitrine avais-je fait cadeau d’un sac vide de pommes de terre en expliquant qu’il s’agissait du dernier modèle de soutien-gorge. L’infortunée devint par la suite diplômée en droit, chargée de mission auprès du chef de l’État et spécialiste de la IVe République sous le pseudonyme de Georgette Elgey car en fait elle était la fille d’un historien distingué nommé Lacour-Gayet.

Je suis parti peu après du CFJ avec ce diagnostic directorial : « N’est pas doué pour le journalisme mais réussira dans les carrières commerciales. » Il faut dire que j’avais trouvé le moyen de me faire l’argent de poche que me refusaient mes parents en rédigeant à la place de petits copains plus galetteux que courageux les articulets constituant notre première coopération au traitement de l’actualité. Cela aurait pu fonctionner encore plusieurs mois car les notes obtenues de cette façon n’étaient pas mauvaises mais j’avais trop de clients et pas assez d’inspiration. Au point que toutes les compositions de mon cru se ressemblaient fâcheusement. Tout avait l’air de s’arranger. Entré au Figaro comme garçon de courses, j’accédai très vite aux statuts de rédacteur puis de reporter. Parallèlement, j’avais été engagé par RTL pour tenir une chronique quotidienne de deux minutes et demie. Un jour, comme le jeune et talentueux titulaire de la tranche horaire où j’intervenais s’était donné la mort, j’héritais de cette tranche de 150 minutes à l’enseigne de RTL Non-Stop. Il s’ensuivit sept années de succès, c’est-à-dire de bonnes audiences. Au terme de quoi, on me confia le journal de 13 à 14h que j’organisais à ma guise en réunissant autour de moi d’excellents confrères aux spécialités variées mais que je condamnais à l’improvisation en leur interdisant de se référer à des notes ou – pire – de lire leur intervention. Lorsqu’un de mes collaborateurs se présentait avec un papier, j’y mettais le feu. Ce manège aurait pu durer longtemps car il satisfaisait pleinement mon goût pour un journalisme incisif, polyvalent et frondeur. Sauf que j’avais osé poser des questions dérangeantes à Giscard. Or, le patron de RTL était un ancien haut fonctionnaire charmant, gastronome mais dont on murmurait qu’il allait chaque jour prendre ses consignes à l’Élysée. Dont celle de mettre fin à mes débordements. Une chance de revenir au divertissement puisque celui-ci s’intitulait Les Grosses Têtes et devait bénéficier d’un audimat record pendant trente-sept ans, deux heures tous les jours et une heure et demie toutes les nuits. L’arrêt – qu’on m’annonça six mois à l’avance – fut d’autant plus un déchirement que pour me remplacer on faisait appel à un concurrent aux sondages d’écoute régulièrement moins bons que les miens. Mais il était plus jeune, plus moderne et l’on sut trouver pour me calmer quelques compensations financières auxquelles je ne résistai pas.

JOUEUR RUINÉ ET PATRON DANS LA DÈCHE.

Si j’ai su gagner de quoi entretenir l’État et nourrir une petite famille, je n’ai guère fait fructifier mes économies. D’une part, le poker m’a fait payer très cher ma propension à en découdre avec des champions de cette discipline qui fait du mensonge une vertu. Pendant vingt ans qu’a duré ma passion, j’ai perdu non seulement mon argent mais aussi mon temps, mes nerfs et mes amis, devenus des clients et qui, attablés pendant onze ans tous les lundis chez moi, ne m’ont jamais rendu la politesse. D’autre part, mon destin de chef d’entreprise n’a pas été plus triomphant. J’ai ramassé une gamelle en créant un mensuel intitulé Réussites alors que, Mitterrand venant d’être élu, il était mal vu d’adorer le veau d’or. Avec Gérard de Villiers, mon associé, nous avons dû casser nos tirelires pour éviter la faillite.

Plus tard, je rachetai Bobino, un music-hall parisien de 1 000 places et ses murs. Dès le lendemain, me prévalant de la présence de deux bars mesurant chacun 25 mètres de long, j’engageais un chef barman sans m’aviser que la clientèle modeste que j’allais recevoir gardait sur les genoux son vestiaire et de l’eau minérale. Très vite, je découvris que le meilleur spectacle du monde ne résiste pas aux intempéries, à une épidémie de grippe ou au tiers provisionnel. Certains soirs, quand la salle était pleine et le public hilare, j’éprouvais la joie – chèrement payée – de m’être rendu un peu utile en faisant travailler des artistes et des techniciens. Au bout de quinze ans, j’ai passé la main. Des repreneurs ont entrepris d’énormes travaux en dégageant des volumes que je ne soupçonnais pas. Mais depuis, dans les gazettes, je cherche en vain le nom de Bobino.

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