N° 137 - Printemps 2022

Une survie liberticide

Depuis sa création, l’humanité en avait vu d’autres. Et de plus cruelles. Avec la peste, la lèpre et la grippe espagnole. Hélas, cette fois et malgré les progrès scientifiques, tout le monde n’a pas survécu. Et les privilégiés qui ont réussi à passer entre les gouttelettes avaient dû accepter des précautions et des thérapies de plus en plus contraignantes. Comme si le droit de respirer normalement n’allait plus sans des oppressions croissantes. Surtout celle des masques, incompatibles entre autres avec le sport, l’amour et la notoriété.

FESTINS CLANDESTINS

L’année dernière, le port de ces masques dont le gouvernement français avait précédemment affirmé qu’ils n’avaient aucune utilité était imposé jusque sur les plages bien qu’on y trouvât davantage de parasols que d’aérosols. Délaissant des répressions plus indispensables, la police et la justice traquaient les imprudents qui étaient plus de six à table ou qui s’empiffraient dans des restos clandestins. Ainsi un cuisinier suspecté d’accueillir des convives connus (et même un ministre) tenta-t-il de se disculper en alléguant qu’il régalait ses amis mais en oubliant de signaler qu’à la fin d’un repas à la fois simple et copieux, il leur présentait une addition plus salée que ses plats. Un très talentueux chroniqueur politique, surpris la serviette autour du cou et la fourchette à la main, se justifia en expliquant qu’il croyait à une invitation. Les gastronomes se souviendront longtemps qu’avant de leur servir un lièvre à la royale, des maîtres d’hôtel masqués exigeaient leurs coordonnées et les aspergeaient de gel hydroalcoolique. Sur la voie publique, l’interdiction de consommer de l’alcool était à peine moins surveillée qu’aux States durant une prohibition qui assécha les gosiers entre 1920 et 1933. Comme les bars étaient fermés, on se pintait à domicile ainsi qu’en témoignent les recettes des rayons spécialisés de la grande distribution.

LA FRANCE N’ÉTAIT PAS GOUVERNÉE PAR LE PRÉSIDENT MACRON MAIS PAR LE ‹ COMMANDANT COUCHE-TÔT › .

CRIME DE LÈSE COUVRE-FEU

La multiplication des gestes barrière a abouti à ce que tous les plaisirs soient considérés comme des vices et à ce que les mamelles de la nouvelle sagesse aient pour noms solitude, continence, frugalité. Que de tonnes de papier gâchées pendant des mois pour les besoins d’attestations qu’on rédigeait soi-même et dont les policiers ne prenaient même plus connaissance !

Difficile – pour ne pas dire impossible – de changer de pays et même de province. Les frontières étaient fermées et les passages d’un lieu à un autre répréhensibles sans motif impérieux. Les avions demeuraient au sol et les bateaux de croisière à quai. Les trains étaient rares. Sur la route, la maréchaussée ne vérifiait plus les permis de conduire mais les raisons pour lesquelles les automobilistes n’étaient pas restés chez eux. Pour distraire les confinés, les chaînes de télévision diffusaient de vieux documentaires montrant les agréments des paradis touristiques, inaccessibles désormais. Les brimades habituelles irritaient beaucoup plus qu’à l’accoutumée. Aux amendes pour stationnement prohibé alors que l’on consultait un médecin s’ajoutait le crime de lèse couvre-feu quand on remplaçait par un bol d’air le pousse-café. La claustration passée de 19h à 20h ensuite à 21h puis à 23h fera sans doute écrire aux futurs historiens qu’en ces années de disgrâce, la France n’était pas gouvernée par le président Macron, mais par le « Commandant Couche-tôt ».

La famille avait cessé de constituer le principal lien social. Les grands-parents ne voyaient plus leurs petits-enfants. On n’avait même plus le droit d’aller visiter dans un EHPAD ses géniteurs âgés. Les mariages étaient reportés. Les obsèques se déroulaient en catimini. Éloignés de leurs entreprises, les télétravailleurs devaient partager la table de leur cuisine avec la maman préparant le frichti et les gosses faisant leurs devoirs. Le ministère de l’Éducation nationale n’avait jamais autant recensé de décrocheurs (qu’importe d’ailleurs, puisqu’à l’avenir les diplômes seront délivrés automatiquement à tous les postulants ayant fait l’achat d’un timbre fiscal !). De surcroit, depuis deux ans, mon cher et vieux pays avait perdu ses dernières colonies. Les colonies de vacances. Les bains de mer du littoral étaient remplacés par les tuyaux d’arrosage des squares. Côté divertissement, les jeux vidéo s’étaient substitués aux cinémas et aux théâtres. Partout où les contemporains risquaient de se rencontrer, on avait installé des cloisons en plexiglas rendant malaisée toute conversation.

RETOUR EN TROMPE-L’ŒIL

Le temps passe. L’approche de la campagne présidentielle incite les gouvernants à lever fugitivement certaines interdictions. Dommage que ces petits allègements relèvent souvent du trompe-l’œil et de l’abuse-citoyen. Par exemple, quand la République en Marche tente de justifier son appellation en prolongeant de quelques centaines de mètres l’autorisation de balade. Plus besoin de prétendre qu’on sortait Médor ou qu’on portait une soupière à une voisine centenaire. Grâce à la rébellion (médiatisée) de Florence Kammermann, une courageuse boutiquaire cannoise, les librairies sont enfin reconnues comme commerces essentiels. Plus facile donc de nourrir son esprit que de remplir son estomac. Dans les salles dites obscures, les lumières s’éteignent de nouveau. Seuls les couples échappent à la distanciation. Sans que la caissière ait exigé un certificat de mariage, voire un Pacs.

Peu à peu s’organise le retour à une vie pas tout à fait normale car encore très prudente : baiser sur le front plutôt que salut à la japonaise ; poignée de main entre deux désinfections ; dîners en dehors de chez soi mais de préférence sur une terrasse ; réapparition de l’évènementiel bien que la moitié des traiteurs aient fait faillite ; redémarrage du covoiturage avec masques pour éviter la contagion ; suppression de la place laissée libre entre deux sièges occupés dans les trains et dans les avions ; résurgence des anniversaires rendus toutefois moins nombreux par la diminution de l’espérance de vie consécutive à la pandémie. La roulette recommence à tourner dans les casinos mais en attirant peu de joueurs, car le ballon rond concurrence quotidiennement la petite bille d’ivoire. Les prophètes de malheur sont priés de faire preuve d’optimisme. Au moins jusqu’à ce que le ministre de tutelle change de ton pour évoquer une probable cinquième vague.

CHÈRE PANDÉMIE

En réalité, les restrictions apportées aux libertés se multipliaient déjà depuis plus d’un siècle. Un seul entracte en mai 68 lorsque l’on prôna « l’interdiction d’interdire ». On ignorait que, plus tard, le pouvoir républicain s’inclinerait devant la dictature des vaccins, que la toubibocratie prendrait le relais de la démocratie et que la seringue tiendrait lieu de sceptre aux monarques médicaux désormais plus présents dans les studios de télévision que dans les dortoirs d’hôpitaux. Certes, la pandémie a coûté très cher. Mais les milliards qu’a dû dépenser l’état ont enrichi les industriels de la santé. Dorénavant, il ne s’écoule guère plus d’un trimestre avant que les pontes de la pharmacie déposent une nouvelle demande de mise sur le marché en faveur d’un médicament jugé prometteur jusqu’à ce que l’on conseille de l’utiliser parcimonieusement ou pas du tout. C’est, un peu partout dans le monde, le triomphe des pharmaciens. Sauf qu’en France deux laboratoires aussi qualifiés que l’institut Pasteur et Sanofi ont jeté l’éponge. Pour leurs concurrents plus heureux, l’avenir s’annonce radieux car non seulement tous les pays sont infectés mais encore les piqûres de rappel s’imposeront longtemps et sans doute tous les six mois.

Nul besoin d’être un grand économiste pour prévoir que le virus se sera rendormi bien avant que les contribuables survivants remboursent la totalité de ce qu’il a coûté. D’ici là, la dette publique n’a pas fini de défrayer la chronique et d’être prétextée chaque fois qu’une nation n’aura pas les moyens d’améliorer le niveau de vie de ses citoyens. La cinquième vague n’est pas la mer à boire mais, d’après les augures, elle devrait quand même causer 700’000 fins prématurées.

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