Les MOOCs (Massive Open Online Courses) ou CLOM en français (Cours en Ligne Ouverts et Massifs). En 2011, le MOOC
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Les MOOCs (Massive Open Online Courses) ou CLOM en français (Cours en Ligne Ouverts et Massifs). En 2011, le MOOC "Introduction à l'intelligence artificielle", offert par la prestigieuse université de Stanford, a rassemblé pas moins de 160 000 étudiants-internautes. © iStock
N° 117 - Été 2015

Les MOOCs : évolution ou révolution ?

Des cours dispensés par les plus grands professeurs, gratuits, accessibles à distance : lorsque les MOOCs (Massive Open Online Courses) ont commencé à faire parler d’eux en 2011, beaucoup y ont vu un phénomène susceptible de révolutionner l’enseignement supérieur. Depuis, l’euphorie est retombée mais les opportunités offertes par ces MOOCs continuent de bouleverser le paysage éducatif traditionnel.

La plus importante expérience jamais réalisée en pédagogie universitaire », s’enthousiasmait la presse américaine lorsque le phénomène MOOC – ou CLOM (cours en ligne ouverts et massifs) – a percé, il y a environ quatre ans. En partenariat avec les plus grandes universités au monde, des entreprises commençaient alors à proposer gratuitement des cours en ligne. Derrière cette initiative, une vision : celle d’offrir une éducation d’élite au plus grand nombre.

L’éducation à distance n’est pas en soi une nouveauté ; elle s’adapte, au gré des évolutions technologiques. Dans les années 1920 aux Etats-Unis, plusieurs universités américaines ont ainsi entrepris de dispenser des cours… sur les ondes de la radio. « La radio est-elle en train de devenir un bras armé de l’éducation ? », s’interrogeait alors un journaliste, comme d’autres se demandent aujourd’hui si Internet fera bientôt office de salles de classe.

A l’heure où la technologie permet de connecter les internautes du monde entier, rien d’étonnant à ce que les cerveaux les plus innovants du monde éducatif aient entrevu le potentiel de l’outil Internet. Au tournant du millénaire, l’Université de Tübingen en Allemagne et le prestigieux MIT (Massachusetts Institute of Technology) aux Etats-Unis ont ainsi commencé, bientôt suivis par d’autres, à numériser puis rendre accessible l’ensemble de leurs ressources, notamment des vidéos de leurs cours. Ces projets ont donné naissance au mouvement OpenCourseWare, qui préfigure celui des MOOCs.

L’étudiant moyen de ces cours en ligne n’est pas un jeune sénégalais sans accès à l’éducation supérieure, comme les fondateurs des MOOCs l’auraient espéré.

Le premier MOOC en tant que tel a vu le jour en Irlande, en 2007, avec l’initiative ALISON (Advance Learning Interactive Systems Online). Axée sur le développement de compétences professionnelles, cette entreprise démarre avec des cours d’anglais et d’introduction à l’informatique – deux formations de 15 à 20 heures. A ce jour, 4 millions de personnes à travers le monde se sont formées grâce à 200 cours en ligne offerts gratuitement par l’entreprise.

Mais c’est en 2008 que le terme MOOC apparaît pour la première fois : les Canadiens George Siemens et Stephen Downes organisent un cours sur le connectivisme. Y assistent 25 étudiants de l’Université du Manitoba… et plus de 2 200 internautes. En plus des vidéos du cours, les étudiants ont accès aux outils offerts par le Web pour échanger et participer : blogs, forums de discussion et autres plateformes collaboratives.

Le succès de ce cours ne passe pas inaperçu. Les grandes universités y voient un moyen d’augmenter leur visibilité et donc d’attirer de nouveaux étudiants. Un moyen également d’évoluer à l’ère du numérique. Dans les années qui suivront, elles lancent donc à leur tour des initiatives similaires. L’Université de Stanford dévoile ainsi trois cours à la rentrée 2011. Notamment L’introduction à l’intelligence artificielle, auquel « assistent », derrière leurs ordinateurs, 160 000 étudiants ! Les professeurs à l’origine de ces MOOCs pressentent qu’un nouveau modèle d’enseignement est en train d’émerger. De cet enthousiasme naîtront deux entreprises : Udacity et Coursera. Cette dernière signe des partenariats avec les plus grandes universités du monde – environ 80 établissements y collaborent aujourd’hui. Le MIT inaugure MITx, son offre de MOOCs. Un partenariat avec Harvard et Berkeley, quelques mois plus tard, donne naissance à EDx. Leur consortium regroupe actuellement 29 universités partenaires, dont l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Une flopée d’initiatives similaires verront le jour, sur tous les continents, mais Udacity, Coursera et EDx s’imposeront comme les principaux acteurs du marché.

Qu’offrent réellement ces formations ? Une fois le cours choisi, l’étudiant suit des présentations sur vidéo, dispensées souvent par des professeurs renommés. Parallèlement, ils ont accès à des ressources pédagogiques plus traditionnelles : des questionnaires, des énoncés de travaux pratiques, des forums de discussion, des informations sur le professeur, etc. Rien de bien révolutionnaire, si ce n’est la technologie, qui offre la possibilité à un « super-groupe » d’étudiants d’apprendre et de participer. Qu’ils se trouvent à Paris, Boston, Lagos ou New Dehli. « Rien n’a autant de potentiel de sortir les gens de la pauvreté – en leur offrant une éducation abordable qui leur donnera un emploi » s’extasiait Thomas L. Friedman, célèbre journaliste et éditorialiste au New York Times, en janvier 2013. « Rien n’a autant de potentiel pour nous permettre de réinventer l’éducation supérieure que ces MOOCs. »

Les raisons d’une désillusion

Mais bientôt, l’enthousiasme des débuts cède la place à la désillusion. Le cofondateur d’Udacity lui-même, Sebastian Thrun, reconnaît que son « produit » est « mal fichu » : « Nous étions à la une des journaux et des magazines, et dans le même temps je réalisais que nous n’éduquions pas les gens comme il le faudrait, comme je l’aurais voulu. » L’ambition de « démocratisation » de l’enseignement est loin d’être atteinte : l’étudiant moyen de ces cours en ligne n’est pas un jeune Sénégalais sans accès à l’éducation supérieure, comme les fondateurs des MOOCs l’auraient espéré, mais un jeune Américain blanc déjà titulaire d’une licence ou d’un emploi à plein temps. C’est d’autant plus vrai dans les pays où ces formations étaient supposées avoir le plus d’impact auprès de la population non diplômée : au Brésil, en Chine, en Inde, en Russie et en Afrique du Sud, environ 80 % des étudiants de MOOC possèdent déjà un diplôme universitaire (ce qui est le cas de seulement 5 % de la population générale de ces pays).

Il ressort des premières analyses consacrées à ces MOOCs que les cours en ligne massifs et ouverts sont conçus de telle sorte qu’ils conviennent mieux aux étudiants susceptibles d’intégrer (ou ayant déjà intégré) de grandes universités qu’à l’étudiant lambda. Rien d’étonnant puisque la majorité des MOOCs sont élaborés par ces universités. « Les cours sont dispensés par des professeurs habitués à enseigner à des étudiants brillants et qui ne comprennent pas nécessairement les motivations et les difficultés – notamment en termes d’autodiscipline – de l’étudiant moyen », explique Jeffrey J. Selingo dans son essai Qui profite le plus de l’éducation en ligne et pourquoi ?

Cela pourrait expliquer le faible taux d’engagement et le faible taux de réussite des étudiants. Seuls 9 % des inscrits à un MOOC d’EDx ont vu plus de la moitié du cours, et 5 % l’ont validé en entier. Une enquête menée par l’Université de Pennsylvanie confirme elle aussi ce problème : en analysant les résultats d’une dizaine de MOOCs de Coursera, les chercheurs arrivent à la conclusion que seulement un inscrit sur deux a vu au moins un cours et que seuls 4 % l’ont suivi jusqu’au bout. Le taux de décrochage est particulièrement fort après le premier et le deuxième cours, ce qui laisse penser que le design et le contenu des MOOCs ne parviennent pas à retenir les étudiants. « Ce qui est frustrant avec un MOOC est que l’enseignant n’est pas disponible car il enseigne à plusieurs dizaines de milliers de personnes à la fois. Comment recréer l’intimité lorsque les cours sont massifs ? », s’interroge Ray Schroeder, le directeur du Center for Online Learning, Research and Service de l’Université de l’Illinois.

Autre limite, et pas des moindres : la quasi-absence de reconnaissance des acquis. A la difficulté d’évaluer des étudiants à distance – risques de fraude, complexité liée à la dimension « massive » de l’enseignement – s’ajoute la nouveauté de ces MOOCs. Les entreprises ne sont pas toutes familiarisées à ces nouvelles formes d’éducation. « Tout ce que les MOOCs offrent, ce sont un accès à des professeurs de renom à un prix imbattable. Ce qu’ils n’offrent pas en revanche sont des diplômes officiels, le genre de diplômes qui vous permettent d’obtenir un emploi au bout du compte », confirme Kevin Carey, le directeur du programme éducatif à la New America Foundation.

Les MOOCS nécessitent un support humain pour aider les étudiants à persister dans leurs efforts, et, au final, à terminer un cours.

Les MOOCs, deuxième génération

Face aux critiques, les fournisseurs de MOOCs réagissent. Sous forme de « badges » et autres certifications, la validation de ces formations dans le système universitaire américain progresse. Udacity offre par exemple un MOOC qui permet d’obtenir un Master d’informatique de l’Université Georgia Tech. Recentrant son activité sur la formation professionnelle, Udacity offre aussi des « micro-diplômes » à partir de cours dispensés par des grands groupes comme Google et Facebook – lesquels conçoivent des MOOCs évidemment axés sur les compétences qu’ils recherchent (analyse de données, développement d’applications, etc.). Plus proches des réalités du monde du travail, donc. A noter toutefois que ces certifications, contrairement aux cours, ne sont pas gratuites : les étudiants doivent souvent débourser entre quelques centaines et plusieurs milliers de dollars pour obtenir ces validations.

Réalisant qu’un support humain est la clé pour aider les étudiants à persister dans leurs efforts, et, au final, à terminer un cours, les MOOCs « deuxième génération » intègrent de plus en plus ces dimensions collaboratives, tutorales, et un travail sur l’individualisation de l’apprentissage. Udacity a ainsi engagé des « mentors », des assistants-professeurs chargés d’aider les internautes lorsqu’ils rencontrent un blocage. Pour compléter les quiz et autres questionnaires corrigés par des machines – le principal mode d’évaluation des MOOCs –, l’entreprise a aussi fait l’effort d’ajouter des projets qui nécessitent un retour humain sur l’exercice. Coursera, de son côté, a mis en place des « learning hubs », des points de rencontre dans les consulats américains un peu partout dans le monde, et propose à ses étudiants des rencontres « en personne » avec des professeurs une fois par semaine.

On le voit, les modèles sont en pleine évolution et les grandes ambitions des premiers mois ont laissé place à une approche plus pragmatique. Puisque les participants aux MOOCs possèdent déjà des diplômes, il serait d’ailleurs plus juste de considérer ces cours en ligne comme un instrument au service de la formation « tout au long de la vie » plutôt qu’un instrument voué à éduquer « les masses ». Les experts encouragent d’ailleurs les universités à en faire un outil d’aide à l’apprentissage payant et un élément de la stratégie globale de l’établissement. « Ces MOOCs ne sont pas des modèles de remplacement. Ils ne remplacent pas le système des universités, ils le renforcent », analyse George Siemens, un des précurseurs du mouvement.

Alors, certes, les taux de réussite des étudiants sont faibles, mais « appelez cela de l’éducation ‹ juste à temps ›, écrit Jeffrey J. Selingo dans son ouvrage consacré aux MOOCs. « Ces cours offrent aux étudiants une éducation morcelée, à leur rythme. Ils peuvent s’inscrire à autant de cours qu’ils le souhaitent, sans prendre un risque financier. Certains voudront seulement assister à un module en particulier, d’autres prendre une leçon en prévision d’une présentation qu’ils doivent tenir le lendemain. » Nombre d’étudiants inscrits à ces cours en ligne ne cherchent pas à obtenir une certification, mais avant tout un savoir. En rendant accessibles ces savoirs gratuitement, les MOOCs peuvent donc être considérés comme une réussite.

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