Le minimalisme à l’œuvre. Tara Button espère abolir la culture du tout-jetable en promouvant des marques de qualité.
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Le minimalisme à l’œuvre. Tara Button espère abolir la culture du tout-jetable en promouvant des marques de qualité. © Amandine Alexandre
N° 120 - Été 2016

Le minimalisme, une nouvelle vision du bonheur

Dépenser son argent sans compter en vêtements, accessoires ou gadgets est passé de mode. À la fois style de vie, méthode de développement personnel et philosophie, le minimalisme fait de plus en plus d’adeptes aux États-Unis et en Europe.

Michelle McGagh se souvient parfaitement du jour où elle a opté pour un mode de vie minimaliste. « C’était en 2013, nous étions en pleine rénovation de notre maison », se remémore cette Londonienne de 33 ans installée dans le nord de la capitale avec son mari. Pendant la durée des travaux, le couple loue un garde-meubles. Les jeunes mariés y entassent toutes leurs possessions : plusieurs centaines de livres, autant de CD, une collection de couverts et de robes chinés sur les marchés aux puces, des souvenirs d’université et tout un bric-à-brac de meubles récupérés dans la rue… « Nous avions même un carton sur lequel nous avions écrit en majuscules ‘pas nécessaire’ », précise Michelle, en partant d’un grand rire.

Un soir, après avoir passé un après-midi à chercher un livre dans ce monticule d’objets, Michelle a le déclic. « Je suis rentrée à la maison et j’ai tapé dans Google ‘comment se débarrasser de ses affaires ?’. C’est comme ça que j’ai découvert une multitude de blogs américains consacrés au minimalisme », explique cette journaliste spécialisée dans la finance. Encouragée par la lecture d’articles sur les bienfaits d’une existence détachée des biens matériels, Michelle se lance dans un grand tri. Elle donne certaines choses, en vend d’autres. Elle renonce aussi à acheter pour le plaisir d’acheter. Fini les séances de shopping chez Primark et la course aux bonnes affaires. « Nous avons réalisé que toutes ces choses qui peuplaient notre existence nous encombraient et nous empêchaient de vivre notre vie », résume Frank Cunningham, le mari de Michelle et coauteur du blog London minimalists.

Un phénomène né aux Etats-Unis

Joshua Fields Milburn et Ryan Nicodemus, plus connus sous le nom de The Minimalists, sont parvenus à la même conclusion. Ces deux Américains de 34 ans ont commencé à se détourner d’un mode de vie consumériste à partir de 2010. La même année, ils lancent un site Internet. En l’espace de deux ans, The Minimalists devient un site de référence pour 4 millions d’internautes. Depuis, la popularité du duo a explosé. Milburn et Nicodemus ont fait le tour des Etats-Unis, du Canada, de l’Australie et du Royaume-Uni à la rencontre de leurs fans. Déjà auteurs de quatre livres, les deux rock stars du minimalisme ont réalisé cette année un documentaire. « J’ai voulu reprendre le contrôle de ma vie (…), décider ce que je voulais faire », affirme Ryan Nicodemus dans la bande-annonce du film pour expliquer le tournant radical pris il y a six ans.

La discipline est une valeur très positive de nos jours.

Aux Etats-Unis, les deux trentenaires ne sont pas les seuls à vanter les vertus du minimalisme. Au pays de tous les excès, les apôtres d’une vie épurée des contraintes créées par la société de consommation sont légion. Parmi eux, se trouve Courtney Carver. Cet ex-cadre dans la publicité n’a pas été de tout temps une adepte de la sobriété heureuse. Pour Courtney, comme pour nombre de ses compatriotes, vivre dans l’insatisfaction perpétuelle a longtemps constitué la norme. « J’ai toujours voulu posséder plus de choses. Je voulais un plus grand placard, (…) plus d’argent, plus de travail », avoue cette quadragénaire sur son site Internet, Be more with less (exister plus avec moins de choses, en français).

En 2006, un début de sclérose en plaques oblige Courtney à simplifier sa vie pour réduire son stress. Au passage, elle vide ses placards. Désormais, sa garde-robe se limite à 33 vêtements, paires de chaussures et accessoires, toutes saisons confondues. Cela lui évite de se torturer l’esprit pour choisir sa tenue chaque matin. Sur son site Internet, Courtney incite ses abonnés à tenter le défi pendant trois mois. Elle a même conçu un « micro-cours » (facturé 19,99 dollars) consacré à l’élaboration d’une garde-robe minimaliste.

Le mode de vie frugal de cette mère de famille de Salt Lake City fait rêver les foules. La créatrice de Be more with less compte plusieurs dizaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux. Selon elle, les étudiants et les jeunes diplômés sont particulièrement réceptifs à ses conseils. « Ils cherchent une alternative aux prêts étudiants, très onéreux, et un moyen d’éviter de devoir travailler en parallèle de leurs études », explique Courtney par mail.

Les jeunes, minimalistes dans l’âme

Le rejet d’une consommation irréfléchie (mindless shopping, en anglais) est une tendance qui s’observe également en Europe. « Depuis la crise de 2008, les gens préfèrent dépenser de l’argent pour vivre des moments uniques plutôt que pour acquérir des biens matériels », confirme Gwyneth Holland, experte en modes de consommation. « C’est particulièrement vrai pour la génération du millénaire », ajoute la consultante. Arrivés à l’âge adulte à l’aube du IIIe millénaire ou un peu après, les moins de 35 ans ont subi la récession de plein fouet. Leur niveau de vie n’atteindra probablement pas celui de leurs parents. Et ce n’est pas la seule chose qui les sépare des générations qui les ont précédés. Les « millenials » sont aussi plus sensibles que leurs aînés à la protection de l’environnement et au développement durable1.

Par ailleurs, cette nouvelle génération d’adultes accorde une importance fondamentale à son hygiène de vie et aime s’astreindre à une discipline personnelle. « La discipline est une valeur très positive de nos jours », atteste Gwyneth Holland, spécialiste des tendances. Cela n’est certainement pas étranger au succès phénoménal rencontré par Marie Kondo, auteure de « La Magie du rangement ». Tara Button n’avait pas encore découvert la « méthode Kondo » lorsqu’elle a décidé l’été dernier de se débarrasser de la majorité de ses vêtements. « Avant, je retardais au maximum le moment de me lever le matin, car je redoutais d’ouvrir ma penderie ! » confie cette Londonienne de 34 ans.

Désormais, Tara tient des listes de choses dont elle n’a pas besoin – une démarche « libératrice », selon elle. Cette acheteuse compulsive repentie de petits carnets et de brosses à cheveux a fait complètement sienne l’approche recommandée par la plus célèbre consultante en rangement de la planète. « Cela me procure beaucoup de joie d’y voir plus clair dans mes affaires, confie Tara. Cela m’a donné envie de ne vivre entourée que de beaux objets. »

Désormais, Tara tient des listes de choses dont elle n’a pas besoin. Une démarche ‹ libératrice ›, selon elle.

Consommer moins, consommer mieux

Son désir profond de changer son rapport aux objets a incité Tara à créer un site Internet début janvier. Le nom de la plate-forme ? Buy me once (achetez-moi une seule fois). Son slogan ? « Aimez les choses qui durent ». Sur Buy me once, Tara Button ne référence que des marques d’ustensiles de cuisine, de chaussures, de leggings, de chaussettes, etc. de qualité. « C’est ma cocotte en fonte Le Creuset qui a inspiré la création du site Internet, ajoute la jeune entrepreneuse. Elle est belle, garantie à vie et j’ai plaisir à la contempler. »

L’intérêt fulgurant suscité par Buy me once des deux côtés de l’Atlantique a conduit Tara à abandonner très rapidement son poste dans une agence de publicité. Elle se consacre désormais entièrement au développement du site, persuadée qu’un basculement est en train de se produire : « Pendant longtemps, nous avons pensé que plus on possédait de choses et plus on était heureux. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a un équilibre à trouver. »

Tara fait partie d’une cohorte de jeunes entrepreneurs qui misent sur des produits de qualité fabriqués au plus près des consommateurs. En 2013, Jake Bronstein a lancé une marque de sweatshirts à capuche manufacturés aux Etats-Unis et garantis dix ans. Grâce à une campagne de financement participatif, ce New-Yorkais a levé un million de dollars sur Kickstarter. Face à l’engouement des consommateurs pour les produits de qualité, certaines grandes marques revoient leur processus de fabrication. Sloggi, par exemple, lancera cette année en France des sous-vêtements garantis à vie.

« N’achetez pas cette veste »

Certaines enseignes vont même beaucoup plus loin. En 2011, Patagonia a mené une campagne de publicité incitant ses clients à ne pas acheter ses produits. Le message est surprenant mais cohérent venant d’une marque de vêtements de randonnée connue pour son engagement éthique ainsi que pour son service de réparation et de recyclage. De façon beaucoup plus inattendue, l’un des dirigeants d’Ikea a récemment exprimé des doutes quant à la nécessité pour le géant du meuble en kit de vendre toujours plus d’articles d’ameublement. Mi-janvier, Steve Howard, le responsable du développement durable de l’enseigne suédoise, a affirmé lors d’un débat organisé par le Guardian que le marché des rideaux avait certainement atteint un point de saturation en Occident. « Ikea va se tourner de plus en plus vers l’économie circulaire, a affirmé Howard. Vous pourrez y construire et réparer des produits. »

Les propos de Steve Howard ont rapidement fait le tour de la Toile, comme si ce dirigeant d’Ikea avait tiré contre son camp. En réalité, l’enseigne ne fait que s’adapter aux demandes des consommateurs. Pour autant, serons-nous tous minimalistes demain ? Pas sûr mais, aux Etats-Unis et en Europe, le mouvement prend incontestablement de l’ampleur. La preuve ? La popularité croissante des tiny houses, des maisons de moins de 37 m2. Ces micro-maisons sont très populaires auprès des Américains, en particulier depuis la crise de 2008, et cette tendance est en train de gagner l’Europe. Pascal Cornu s’est lancé il y a quelques mois dans la fabrication de micro-maisons mobiles à Fribourg. En trois mois, il a reçu une trentaine de commandes. Ces habitations, d’une surface de 15 m2 au sol, sont équipées de manière minimale. « Mais les gens préfèrent posséder un tout petit logement et vivre près de la nature plutôt que de devoir payer un loyer exorbitant », explique M. Cornu. Henry David Thoreau, l’essayiste américain du XIXe siècle et auteur de Walden ou la vie dans les bois, n’aurait pas dit mieux.

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