Mindfulness. Rejoindre une communauté pour méditer. La pratique de la méditation de pleine conscience associée au partage d’expériences permettent d’atteindre des sommets.
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Rejoindre une communauté pour méditer. La pratique de la méditation de pleine conscience associée au partage d’expériences permettent d’atteindre des sommets. © iStockphoto / Paolo Cipriani
N° 121 - Automne 2016

Vers un leadership conscient et innovant

Burn out, absentéisme record, stress permanent… Le monde de l’entreprise est en crise et l’arrivée des nouvelles technologies amplifie encore ce phénomène. Pour réduire ce mal-être, certains se tournent vers la méditation de pleine conscience, ou mindfulness, et parviennent à concilier exigences professionnelles et quête de sens tout en restant innovants.

Les dirigeants doivent désormais faire face à un rythme infernal pour répondre à 300 voire 400 e-mails par jour et à de nombreux appels téléphoniques, sans parler des réunions qui s’enchaînent. De leur côté, les salariés sont soumis à des cadences toujours plus élevées pour atteindre leurs objectifs, conditions indispensables pour préserver leur emploi. Il en résulte un taux d’absentéisme élevé, atteignant plus de 4 %, qui coûte cher à l’entreprise comme au salarié désengagé.

Grâce au développement des neurosciences et à une approche scientifique, Jon Kabat-Zinn, ancien immunologiste américain, a mis au point dans les années 80 une méthode de pleine conscience visant la réduction du stress. Pratiquée avec succès depuis trente ans dans les pays anglo-saxons, aussi bien dans le milieu médical que dans les systèmes éducatifs et le secteur privé, elle distille ses bienfaits depuis près de quinze ans dans le monde de l’entreprise. C’est Peter Senge, du Massachusetts Institute of Technology, qui le premier confronte le monde des affaires et la méditation, deux mondes a priori antinomiques. Dans son livre La cinquième discipline publié en 1990, il propose des méthodes pour aider les entreprises à capitaliser sur leur expérience. Il faut attendre encore dix ans et des auteurs comme Otto Scharmer et son livre Presencing pour que la mindfulness prenne ses quartiers dans les entreprises et pas n’importe lesquelles ! C’est dans la Silicon Valley, au sein des illustres Google, Facebook ou Twitter, que tout démarre, notamment avec le programme « Search Inside Yourself » de Chade-Meng Tan alors chez Google, mêlant intelligence émotionnelle, process de coaching, neurosciences et méditation. Les leaders de grands groupes industriels, Procter & Gamble ou Ford, adoptent à leur tour cette pratique. Depuis, le nombre d’inconditionnels de la pleine conscience ne cesse de croître. Les managers et autres CEO reconnaissent les bienfaits de sa pratique non seulement sur la réduction du stress et leur bien-être mais aussi sur leurs capacités décisionnelles et créatives. A croire que la méditation serait une solution miracle pour dissoudre les difficultés rencontrées au sein de l’entreprise et créer une nouvelle forme de management, plus proche de l’équipe. Une fois par an, quelques leaders vont prêcher la bonne parole à la Wisdom 2.0 Conference, ou suivent des workshops et autres pratiques, avec pour seule astreinte leur mobile en mode silencieux.

Après sa success-story dans les pays anglo-saxons, la mindfulness reste un peu plus discrète sur les terres de Descartes et Calvin. Le déclic va venir vers 2010 grâce au travail de sensibilisation mené par le moine bouddhiste Matthieu Ricard et le psychiatre et psychothérapeute Christophe André. Les deux hommes vont populariser la méditation, en la sortant des pratiques exclusivement spirituelles, et montrer tous ses bienfaits, études scientifiques à l’appui. Les effets prouvés de la méditation sur la gestion des émotions, les résultats positifs constatés pour lutter contre les états dépressifs, l’insomnie, les maladies liées au stress et les conséquences favorables sur la tension artérielle ont remplacé la méfiance par de la curiosité. Des études de cohorte menées sur trois ans par l’INSEAD et publiées en 2014 dans le journal Psychological Science vont quant à elles prouver l’impact positif de la méditation au sein de l’entreprise, notamment sur le processus décisionnel. De quoi susciter l’intérêt de grands patrons français et suisses ! D’abord discrets dans leur pratique, certains commencent à faire leur coming out comme en octobre 2015 lors de la conférence « La méditation en entreprise : une clé pour le bien-être et l’efficacité ? » Le charismatique moine bouddhiste et son comparse psychiatre intervenaient aux côtés de dirigeants ou pratiquants convaincus tels que Christopher Guerin, directeur général Europe de Nexans ou Christine Mathé-Cathala, directrice marketing communication MAIF. Sébastien Henry faisait également partie des orateurs. Après avoir découvert la méditation, cet ancien chef d’entreprise a vendu sa société pour faire évoluer le monde du business. Il s’est donné pour mission de rapprocher le monde des affaires et le monde de la sagesse, notamment en éveillant les décideurs à certaines pratiques, dont la méditation de pleine conscience. Son approche est décrite dans ses ouvrages comme Ces décideurs qui méditent et s’engagent – Un pont entre sagesse et business, son dernier opus. Depuis huit ans, il accompagne les dirigeants intéressés par cette nouvelle approche, notamment au sein des plus grandes entreprises du CAC 40. « Etre manager ou dirigeant n’est pas un métier facile. Leur rythme de vie est intense et les responsabilités sont très importantes. Ils ont en effet beaucoup de pouvoir dans le secteur économique et, face aux enjeux sociaux et environnementaux, ils ont également une partie des réponses. Aussi, ils ont besoin de soutien, explique Sébastien Henry, il faut donc les aider, mais aussi les challenger afin que chacun puisse trouver sa boussole intérieure notamment lors de la prise de décisions importantes. »

Mindfulness. Il suffit de cinq minutes, en silence et en respirant profondément, pour créer l’habitude et ressentir de réels bienfaits.
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© iStockphoto / DragonImages
Méditer. Il suffit de cinq minutes, en silence et en respirant profondément, pour créer l’habitude et ressentir de réels bienfaits.

Pourtant, faire rimer sagesse avec business ne semble pas aller de soi. « C’est vrai, reconnaît Sébastien Henry, concilier l’authenticité des pratiques appartenant au monde de la sagesse avec les priorités de l’entreprise comme la performance et l’efficacité, c’est une ligne de crête. Mais dès que l’on parvient à réunir les deux, c’est un autre regard sur la performance qui émerge. La pratique de la méditation a des enjeux multiples, qui vont bien audelà d’être moins stressé ou de devenir plus zen… les enjeux sont beaucoup plus forts pour le décideur comme pour son équipe et l’entreprise dans sa globalité. Grâce à une pratique régulière, on devient capable de mieux se connaître, de comprendre ses collaborateurs de façon plus fine et plus profonde, de prendre des décisions plus justes en captant les signaux intuitifs, et de trouver un meilleur équilibre entre bien-être et performance. Et les leaders les plus éclairés savent très bien que tout cela se traduit au final par de meilleurs résultats. »

S’asseoir, respirer

L’ancien entrepreneur a donc concocté des cycles baptisés « Méditation et Leadership », destinés aux managers et autres décideurs. Depuis l’année dernière, à Paris et à Genève, des groupes constitués d’une dizaine de personnes se réunissent chaque mois pour des séances de deux heures. Des moments de mise en situation alternent avec des moments de pratique méditative et d’échanges. « En termes corporate, le programme leur permet de veiller à la qualité de leur leadership et à se poser les bonnes questions : Quel type de leader ai-je envie d’être par opposition à ce que je tends spontanément à être dans l’agitation du quotidien ? » Les inscrits évoquent leur envie de mieux se connaître, de prendre des décisions plus justes et d’améliorer le relationnel avec les membres de leur équipe… bref de cultiver la plus belle partie d’eux-mêmes !

En 2016, la troisième session a démarré à Genève et de nouveaux groupes vont encore se former en Suisse, à Lausanne, mais aussi dans toute la France comme en Belgique. Ils sont guidés par un facilitateur professionnel qui concentre des expériences de coaching, une longue pratique de la méditation, mais aussi une expérience en entreprise. Dans la Cité de Calvin, ce cycle est proposé par Jean-Philippe Jacques, docteur en pharmacie et en biologie moléculaire, qui, après plusieurs années chez MSF, dirige depuis 2009 « Ressource-Mindfulness » dans le quartier de La Jonction. Parmi ses clients, beaucoup viennent du secteur bancaire, mais aussi de l’industrie et des pouvoirs publics comme les HUG ou l’Hospice général. « Entraînés dans le tourbillon du quotidien, noyés sous l’information, ils ont besoin de prendre un temps de recul. Les cinq minutes passées assis dans le silence, à l’écoute de sa respiration, sont de vraies bouffées d’oxygène, raconte Jean-Philippe Jacques, et pour certains, c’est une révélation. » Ce facilitateur n’est pas là pour leur donner des conseils ou leur trouver des solutions, mais plutôt pour cultiver une qualité de présence qui les aidera à se poser mutuellement les bonnes questions et à trouver les meilleures réponses. « D’ailleurs, poursuit-il, quand vous mettez dix décideurs ensemble, il y a une masse de talents et d’énergie créative considérable. Et tout l’enjeu consiste à les faire émerger.»

TOUT CELA SE TRADUIT AU FINAL PAR DE MEILLEURS RÉSULTATS.

Les bienfaits de la méditation. Les effets prouvés de la mindfulness sur la gestion des émotions, les résultats positifs constatés pour lutter contre les états dépressifs, l’insomnie, les maladies liées au stress et les conséquences favorables sur la tension artérielle ont remplacé la méfiance par de la curiosité.
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© iStockphoto / STEEX
Les bienfaits de la méditation. Les effets prouvés de la méditation sur la gestion des émotions, les résultats positifs constatés pour lutter contre les états dépressifs, l’insomnie, les maladies liées au stress et les conséquences favorables sur la tension artérielle ont remplacé la méfiance par de la curiosité.

Ce programme s’adresse exclusivement à des personnes en situation de leadership : entrepreneurs, managers, dirigeants de PME ou de grands groupes, bref à ceux qui ont une équipe à manager. « Les problèmes de management humains et techniques sont particuliers, explique Sébastien Henry, et les décideurs qui doivent y faire face préfèrent échanger avec des personnes qui rencontrent les mêmes difficultés. Le groupe doit compter sur les ressources de l’ensemble des décideurs. »

Chaque inscrit s’engage à suivre les cinq sessions qui se déroulent de février à juillet ou de septembre à janvier. Au terme de chaque session, de nouvelles personnes peuvent entrer dans le groupe, d’autres en sortir. Mais il reste toujours un noyau dur pour maintenir la dynamique du groupe. Avec l’entrée dans l’ère du « caring economics », les entreprises s’ouvrent davantage à la pleine conscience et leurs RH n’hésitent plus à demander des séances d’information. « C’est l’occasion d’expliquer les apports fondamentaux de la mindfulness, mais aussi de pratiquer pour découvrir par soi-même ses bienfaits à l’intérieur de soi. » En mars 2015, Jean-Philippe Jacques et Sébastien Henry proposaient à la Fédération des Entreprises Romandes un séminaire sur le thème « Méditer et agir : ce que la méditation apporte aux dirigeants et aux managers ». Des dirigeants qui méditent, dont Benoit Greindl, cofondateur de Montagne Alternative, Guido Bondolfi, chef d’unité aux HUG, ou Gaëlle Grand-Clément, ingénieure et fondatrice de la société BeeYoo, sont venus partager leur expérience. Cette ancienne ingénieure dans l’industrie automobile a commencé à pratiquer le yoga et la méditation. « Cela m’a beaucoup apporté, raconte-t-elle. J’ai pu notamment prendre du recul dans ma façon de voir les choses que ce soit au niveau managérial ou relationnel entre collègues. » Depuis, elle a quitté son emploi pour ouvrir BeeYoo, une agence de coaching en entreprise située dans la région de Fribourg qui aide les managers et leurs équipes à libérer leur potentiel en mettant l’humain au cœur de leur savoir-faire. « La méditation permet à chacun de se reconnecter à son essence, explique-t-elle. Appliquée au monde de l’entreprise, elle permet d’avoir une autre vision de sa société et d’emmener son équipe dans une direction plus riche de sens. »

Gaëlle Grand-Clément a donc mis sur pied des interventions « sur mesure » pour les entreprises et des ateliers ciblés avec exercices de respiration, de recentrage, de concentration… « Une des caractéristiques du monde de l’entreprise, c’est que l’on veut toujours savoir comment cela fonctionne et à quoi cela va servir. C’est un vrai enjeu d’expliquer qu’il faut aborder cette pratique sans avoir d’attente sur le résultat et que ce temps de liberté, cette pause, ne doit servir à rien. C’est seulement une fois que l’on a compris cela que, paradoxalement, on est le plus enrichi par cette pratique », poursuit-elle.

DES LIEUX D’ACCUEIL, SORTES DE MONASTÈRES LAÏQUES, SITUÉS EN PLEINE NATURE.

Mais avant de récolter les fruits, il faut faire preuve de discipline. « Dans notre rythme de vie intense, beaucoup de dirigeants évoquent le manque de temps et pourtant… c’est la clé ! Il ne faut que cinq minutes par jour pour démarrer et surtout pour créer l’habitude. Je dis souvent à mes participants : c’est juste un peu plus qu’un lavage de dents ! s’amuse Gaëlle Grand-Clément. Rapidement, ils se rendent compte des bienfaits ressentis et des répercussions sur le relationnel comme sur leur management et leur créativité. »

Méditer pour innover

Preuve en est, Sébastien Henry, qui pratique la pleine conscience depuis plus de quinze ans, n’en finit pas d’innover. Il s’attelle désormais à son nouveau projet : la construction de lieux d’accueil, sortes de monastères laïques, situés en pleine nature. Et il voit grand ! Il recherche en effet des terrains de 5 à 10 hectares, à moins d’une heure des grandes villes du monde des affaires, pour accueillir des bâtiments à l’architecture audacieuse au cœur d’un grand parc. De nombreuses œuvres d’art, présentes sur le site, seront autant d’invitations à la pratique contemplative. « Au lieu de travailler dans leurs locaux, les membres des comités exécutifs pourront venir se ressourcer dans cet espace structurant, apaisant et porteur de sens. Là, ils pourront revenir à l’essentiel avant de repartir dans l’action, mais avec plus de présence et des objectifs différents de ceux du business as usual. De nouvelles formes de business, davantage au service de la planète et des hommes, restent donc à inventer pour répondre aux défis sociaux et environnementaux.

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