N° 137 - Printemps 2022

Louis Benech, jardinier sans jardin

Il a étudié le droit avant de faire du paysage son métier. Rencontre avec un paysagiste qui ne se compare pas à un artiste, mais que le surnom de « nouveau Le Nôtre » amuse beaucoup.

Portrait de Louis Benech.
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(Éric Sander)
Portrait de Louis Benech.

La cour est envahie de pots de toutes tailles avec ici des semis en gestation, là des plantes acclimatées ayant déjà atteint une croissance respectable. Ce laboratoire à ciel ouvert du numéro 26 de la rue Caumartin dans le 8e arrondissement près de l’Opéra, c’est celui du paysagiste de renommée internationale Louis Benech. Le jardin expérimental mène à son agence qui occupe les deux premiers niveaux d’une petite maison de trois étages en cœur d’îlot. La vie parisienne des grands boulevards est déjà loin. Le personnage est célèbre tant pour ses interventions sur les parcs publics comme celui des Tuileries avec Pascal Cribier et François Roubaud en 1990, pour son travail à Versailles en 2012 que pour ses projets paysagés destinés aux grandes fortunes de ce monde. Louis Benech a aussi la particularité de ne pas posséder de maison de campagne pour travailler sa passion pour la botanique. Lui l’exprime dans les jardins des autres.

Quand on l’interroge sur son métier et sa formation, tout semble d’ailleurs très simple. « Je fais des jardins, je tripatouille avec des espaces extérieurs remplis de plantes ». Cette apparente facilité, Louis Benech l’a acquise après des études de droit comparé sur la protection des végétaux entre la France, la Russie et la Suisse et un stage en pépinière chez Hillier, célèbre maison britannique.

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(Château de Versailles / Thomas Garnier)
Le bosquet du Théâtre d’Eau à Versailles. Un projet réalisé en 2012 en collaboration avec l’artiste Jean-Michel Othoniel qui signe les fontaines.

Il trouve ensuite un emploi comme jardinier dans la grande propriété normande d’un lord anglais. Le luxe et ses moyens démesurés, le travail de la taille, du potager et les cultures en serres seront son quotidien. « Pour le jardinier avec qui je travaillais, les clématites ne pouvaient pas pousser en Normandie, au grand dam de notre employeur qui adorait ces fleurs. Un jour, le patron vient me demander d’en planter. Je lui ai répondu : ‹ Pourquoi pas, on va essayer ›. Et ça a très bien marché. Il faut parfois savoir lutter contre la tyrannie du jardinier et ses a priori. » Sur l’écologie et les préoccupations environnementales, là aussi Louis Benech adopte une attitude simple et directe qui vise à démonter les lieux communs qui voudraient que le naturel soit bon et la chimie nocive. « L’écologie politique fait des amalgames. Le glyphosate que l’on utilise à outrance pour les céréales et notre alimentation est toxique et n’a rien à voir avec son usage cosmétique pour les jardins. Depuis la nuit des temps, l’homme imite la nature et observe la chimie qu’elle met en œuvre pour trouver un équilibre des milieux. En Normandie, nous utilisions aussi du pyrèthre naturel (un insecticide puissant à base de plantes séchées et macérées dans de l’huile végétale, rapidement biodégradable, ndlr) et le désherbage s’effectuait à la main pour préserver la santé des ouvriers. Je n’ai jamais aimé la chimie pour la chimie. La vraie question est : est-ce que c’est bon pour l’homme, pour le milieu, pour l’environnement, ou pas ? Et qu’importe que le produit soit d’origine naturelle ou artificielle. Il ne faut pas oublier que la nature passe aussi par la destruction pour renaître. Certaines graines ont besoin du feu, du gel ou de milieux acides pour ‹ casser › leur dormance. Et qu’elle aussi est tout à fait capable de produire des poisons qui pourraient vous terrasser. »

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(Louis Benech)
Le jardin de la Cité des métiers d’Hermès à Pantin pour lequel Louis Benech a remporté l’Équerre d’Argent en 2014.

ARTIFICE VIVANT

Pour travailler avec le vivant, il faut en apprendre les rythmes. « Tout ce que j’ai appris je ne l’ai pas lu dans des livres. Eux vous indiquent des périodes de floraisons sur deux ou trois mois, alors qu’elles ne durent en fait que deux ou trois semaines, en fonction des conditions climatiques. Le travail en pépinière a été très formateur pour moi, tant pour la reconnaissance de chaque plante à tout âge de sa croissance que pour les techniques de multiplication et d’hybridation. J’y ai aussi appris l’observation des rythmes, le jaunissement automnal, les simultanéités de floraison, ou pas, d’une année à l’autre, d’un climat à l’autre. Même dans un petit jardin où se créent des microclimats suivant les orientations, les rythmes de floraisons divergent », continue Louis Benech qui parle de la nature comme un peintre de sa boîte de couleurs.

Pour autant, le jardinier se défend d’être un artiste. « Je refuse ce rapprochement, même si du point de vue de la méthode, de la façon de travailler, de ce que l’on essaie d’obtenir, sur la recherche du beau, la comparaison n’est pas complètement fausse. » Pour lui, le statut de l’artiste qui se croit tout permis et qui travaille dans l’éphémère le distingue du jardinier qui travaille sur le long terme avec le vivant et ses contraintes. « Contrairement à l’art, le jardin ne peut pas être une marchandise. Avec peu de frais au démarrage, il coûte cher en temps, alors qu’une œuvre prend de la valeur avec le temps. C’est un artifice constitué par le vivant, qu’il faut sans cesse entretenir pour le porter à maturité. Il faut une bonne dizaine d’années pour composer un jardin qui donnera le meilleur de lui-même après vingt-cinq ans. »

Une mise en scène végétale de Louis Benech
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(Louis Benech)
Sculpture antique et nature foisonnante. Une mise en scène végétale qui rappellerait presque le décor du film « Meurtre dans un jardin anglais » de Peter Greenaway.

On lui parle quand même de Claude Monet scénarisant ses séries de Nymphéas dans la réalité de son jardin de Giverny. Louis Benech répond : « C’est quelqu’un qui a eu un goût infini pour le jardin. Il savait ce qu’il avait envie d’atteindre et ce qu’il avait envie de peindre. Il avait conscience du cycle d’une annuelle, savait ce que la lumière pouvait donner sur la couleur d’une fleur à certains moments de la journée. Il était, à mon avis, très fidèle au motif, avec ce caractère interprétatif de quelqu’un qui voyait mal à la fin de sa vie. Quand on parle d’émotion, imaginez que vous pleurez et le trouble que cela procure de voir un jardin, un paysage à travers les larmes. Ça peut être très intéressant. » Un travail sur les sens donc, mais pas forcément sur les sens en pleine puissance. « Faire un jardin, c’est accepter des contraintes, mais aussi subir des aléas et c’est ça qui est merveilleux. Le plaisir vient de la bonne surprise. J’imagine des choses, mais il arrive souvent que la nature, ou plutôt la vie en produisent qui vont au-delà de ce que j’ai pu envisager. Il y a des printemps où la floraison des pivoines et des roses ne se fait pas en même temps et puis d’autres où tout pousse ensemble. » Sur la liste des exigences, il n’y a pas que la maîtrise relative des cycles de la vie des plantes et le site sur lequel elles seront plantées, il y a aussi le client et ses attentes. « Je suis très attentif aux demandes. Si je dis non, souvent de manière assez autoritaire, ce n’est jamais pour des raisons subjectives, mais toujours pour des motifs que je peux expliquer. »

Le jardinier raconte ainsi un échec récent avec un jardin et un client qui n’arrivait pas à entendre ce refus. « Le site offrait un paysage lointain de grande qualité dans l’axe, marqué par un muret qui le bouchait. Dès lors, le projet s’organise avec l’ouverture du mur et la plantation de petits sujets pour étendre l’espace intérieur vers cette vue magnifique. » Entre chaque visite, devenue plus espacée en période de pandémie, le client reprend des parties du jardin avec des plantations flamboyantes et onéreuses qui contredisent le projet initial de dégagement sur le grand paysage et d’extension de l’espace intérieur vers le lointain. « En soi, un jardin n’est pas forcément photogénique. Je dessine un parcours. Je pense donc au mouvement, au sens aller, mais aussi au sens retour. J’aime le ciel et la lumière. Surtout la lumière. Elle tient chez moi une importance capitale. Je ne vais pas planter une haie à l’ouest d’une piscine ou d’un pré, car ils seront plongés dans l’ombre une bonne partie de l’après-midi. »

Un jardin face à la mer de Louis Benech
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(Louis Benech)
Un jardin face à la mer composé pour un particulier en Nouvelle-Zélande.

LA LEÇON DE LE NÔTRE

Une des composantes de la conception du jardin est aussi d’adapter le projet aux moyens du client. « Un jardin n’est pas concevable sans son carnet d’entretien. Si les moyens manquent, on peut imaginer des choses qui se tiennent dans un fouillis sympathique. Nous ne vivons plus au temps de nos arrière-grands-parents qui avaient le personnel pour s’occuper de leurs jardins ni à celui de nos grands-parents qui avaient la chimie pour le faire », explique celui que l’on surnomme « le nouveau Le Nôtre » en référence au jardinier historique de Versailles. « Ce qui me fait bien rigoler. Je bosse sur vingt mètres carrés quand lui travaillait sur vingt hectares. Cela dit, j’ai eu la chance de m’occuper de ses jardins. J’y ai beaucoup appris. Comme le fait que Le Nôtre portait une attention particulière au regard du promeneur. Le visiteur va de surprise en surprise, découvre les choses au dernier moment. Cela donne l’impression du hasard alors que tout a été précisément calculé. »

Dans son jardin imaginaire, Louis Benech cite également Russell Page, célèbre paysagiste britannique qui composa certains parcs et jardins parmi les plus fameux de la royauté. « C’est vraiment lui qui a traduit le vocabulaire culturel du jardin dans un langage contemporain. Je ne me réclame pas de sa filiation, mais il m’est parfois arrivé de me demander ce qu’il aurait fait là. Pour le choix des végétaux, par exemple, je fais très attention aux plantes que je trouve sur place. Et si elles ont du sens, alors je les mets dans mes jardins. Avant d’être paysagiste, j’ai suivi des études de droit. Je suis ensuite entré dans la marine pour mon service militaire où je m’occupais de tracer sur des cartes les positions du bateau pour éviter tel obstacle ou tel rocher et où j’ai aussi appris à lire les étoiles. Quand on y pense, tout cela a bien dû influencer ma manière de voir et de projeter les jardins. »

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Paysage

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