La certification B Corp récompense l’impact positif d’une entreprise, sur l’environnement ou encore sur le bien-être de ses employés. Plus de 2 000 entreprises à travers le monde ont obtenu ce label
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La certification B Corp récompense l’impact positif d’une entreprise, sur l’environnement ou encore sur le bien-être de ses employés. Plus de 2 000 entreprises à travers le monde ont obtenu ce label. © istockphoto / sangaku
N° 122 - Printemps 2017

L’économie consciente et positive

Promouvoir une autre vision de l’économie, pas seulement tournée vers les profits financiers mais vers les profits pour la société : c’est l’objectif du label B Corp, créé en 2006 aux États-Unis. Cette certification récompense les performances sociales et environnementales des entreprises. Elle fait des émules en Europe et notamment en Suisse.

Chez Opaline, on fabrique des jus de fruits et de légumes sans conservateurs ni colorants. On se fournit chez les producteurs locaux et, pour le pressage et l’embouteillage, la principale source d’énergie est le solaire. L’entreprise n’a pas de bureaux, les collaborateurs travaillent à domicile – cela fait des économies d’électricité et de loyer. Il n’y a pas non plus de hiérarchie, les décisions se prennent en concertation. Et le capital de l’entreprise basée à Orsières est ouvert à tous. « Nous partageons tous la même vision et la même passion. C’est dans ce partage que se trouve toute l’énergie de notre développement », témoigne Sofia de Meyer, la fondatrice.

Depuis deux ans, les jus d’Opaline sont certifiés B Corp, acronyme de Benefit Corporation. Ce label récompense les entreprises qui s’engagent à respecter des standards rigoureux de transparence et de performances sociales et environnementales. « B Corp est à l’entrepreneuriat ce que le label Fair Trade est au café et le label USDA (bio, ndlr) au lait », explique sur son site Internet B Lab, l’ONG qui délivre la certification.

Comme Opaline, 2 003 entreprises de 50 pays (chiffres janvier 2017) ont obtenu la certification B Corp – dont une vingtaine en Suisse, où le label a fait ses débuts en 2014.

Si les profits financiers se calculent aisément, il n’en est pas de même pour les bonnes pratiques d’une entreprise.

Ces sociétés – en grande majorité des petites et moyennes entreprises (PME) – font désormais partie d’un mouvement qui ambitionne de redonner du sens à l’entrepreneuriat en alliant performances financières et performances sociétales. Parmi elles, des entreprises de renom comme Kickstarter, Patagonia, Ben & Jerry’s, Etsy, etc. Et même des banques comme New Resource Bank ou encore Triodos Bank en Europe, auprès desquelles les entreprises B Corp se financent de plus en plus.

Redonner du sens à l’entreprise

Le mouvement B Corp est né d’un constat : si le capitalisme a permis d’améliorer la qualité de vie des habitants de cette planète, il est de plus en plus perçu comme un système défectueux, qui fonctionne au détriment des intérêts de la société. La financiarisation de l’économie amorcée dans les années 70 a conduit les entreprises à n’appréhender le succès qu’en termes de profits réalisés. « Heureusement, nous sommes aux prémices d’un changement culturel qui est en passe de transformer notre regard sur l’entreprise, d’une vision de la fin du XXe siècle, où la finalité était de maximiser les profits pour les actionnaires, à une vision du XXIe siècle, où la finalité sera de maximiser les profits pour la société », écrit Jay Coen Gilbert, le fondateur de B Lab.

Cette transition est en marche non pas grâce à l’interventionnisme des États mais grâce à l’activisme de certains entrepreneurs et consommateurs, expliquent les inventeurs du label. De plus en plus de créateurs d’entreprises se donnent ainsi pour objectif d’agir pour le bien commun et de plus en plus de patrons ont compris que pour attirer de nouveaux talents, il leur fallait être compétitifs plus seulement en termes de salaires proposés mais en termes de sens donné au travail. Parallèlement, un nombre croissant de consommateurs se tournent vers des produits dont le processus de fabrication respecte l’environnement et une certaine éthique. Des investisseurs ont fait le choix de générer un impact positif et non plus seulement du rendement. Enfin, du côté des pouvoirs publics, de plus en plus d’élus ont compris l’importance d’accompagner ce mouvement. Problème : si les profits financiers se calculent aisément, il n’en est pas de même pour les bonnes pratiques d’une entreprise. En proposant un outil d’évaluation, le label B Corp est venu remplir un vide.

Une évaluation très complète

Comme pour toute certification, l’obtention du label B Corp relève d’une démarche volontaire. Les entreprises se soumettent au « B Impact Assessment », un questionnaire de plus de 200 points qui leur délivre une note. Les aspirants – mais également les entreprises certifiées, qui doivent actualiser leurs informations tous les deux ans – sont évalués sur quatre aspects : leur gouvernance, l’impact de leur activité sur leurs employés, sur l’environnement et sur la communauté. Le questionnaire varie d’un pays à l’autre et selon la taille et le domaine d’activité de l’entreprise, pour tenir compte des spécificités des unes et des autres. Parmi les questions posées : l’entreprise a-t-elle ouvert son capital à ses employés et offre-t-elle des congés parentaux rémunérés ; permet-elle des horaires flexibles ou la possibilité de télétravailler ; quel pourcentage d’énergies renouvelables utilise-t-elle et recycle-t-elle ses déchets ; ses fournisseurs ont-ils également adopté de bonnes pratiques environnementales ; quel est l’écart de salaire maximum entre le mieux et le moins bien payé des salariés ; l’entreprise reverse-t-elle une partie de ses bénéfices pour des actions de bienfaisance ?

« B Corp est la certification durable la plus aboutie à ce jour, car elle englobe la palette la plus large des impacts qu’une entreprise peut avoir aux niveaux social et environnemental », explique Jonathan Normand, le fondateur de Codethic et représentant de l’ONG B Lab en Suisse. Si l’entreprise obtient au moins 80 points, elle peut prétendre au label, en échange d’une cotisation basée sur son chiffre d’affaires. Elle doit ensuite modifier ses statuts pour faire inscrire noir sur blanc sa volonté d’agir pour le bien commun. La vérification de toutes les entreprises est réalisée par l’ONG B Lab au travers d’un processus rigoureux et systématique. Pour environ 10 % d’entre elles, une vérification présentielle est menée chaque année de manière aléatoire.

Un label en phase avec la nouvelle génération

« Ce label est plus qu’un label, confirme Jonathan Normand. C’est le point de départ d’une nouvelle économie dans laquelle tous les acteurs font le choix d’exploiter la puissance du secteur privé pour résoudre les grands challenges auxquels sont confrontées nos sociétés. » Pour lui, ce changement est inéluctable. Les 18-35 ans, baptisés les Millennials sont les entrepreneurs et les employés de demain, or « cette génération, plus qu’aucune autre, est bien consciente des défis auxquels fait face notre planète – comme celui de la préservation de l’environnement. Ces jeunes cherchent vraiment à remettre du sens au cœur du capitalisme. »

D’après une étude du think tank Brookings Institution, les Millennials représenteront jusqu’à 75 % de la main-d’œuvre américaine en 2025. Cette génération se caractérise par un désir de travailler pour des entreprises socialement responsables, et, en tant que consommatrice, privilégie les produits provenant d’entreprises à but social. « Pour rester compétitives, les entreprises vont devoir s’élever à la hauteur des attentes de cette nouvelle génération, s’aligner sur ses valeurs », prédit Jay Coen Gilbert. Pour rester rentables également. Plusieurs études ont démontré que les employés travaillant pour une entreprise engagée sont des employés plus investis et donc plus rentables : ils sont en effet plus concentrés et moins susceptibles de quitter leur entreprise. En 2009, d’après Hewitt Associates, les entreprises les plus engagées ont affiché des rendements de 19 % supérieurs à la moyenne. À l’inverse, selon une estimation de l’institut Gallup, les employés qui ne se sentent pas investis coûteraient entre 450 et 550 milliards de dollars en productivité perdue chaque année aux États-Unis.

Un mouvement global

Ces changements dans la société se traduisent de fait par un engouement pour le mouvement B Corp. Né aux États-Unis, le label s’est ainsi petit à petit internationalisé. Les Européens font désormais partie intégrante du développement de B Lab et participent activement à l’affinement du questionnaire d’évaluation. En Suisse, 22 entreprises sont certifiées et 69 en cours de labellisation. Signe de l’intérêt croissant du sec-teur privé helvétique, plus de 700 entreprises ont accédé au questionnaire d’évaluation mis en ligne gratuitement. Nul doute que parmi ces centaines d’entrepreneurs, certains fe-ront officiellement une demande de labellisation auprès de l’ONG B Lab. « Ces entrepreneurs me disent que le question-naire leur a permis de prendre conscience de leur pratique de gouvernance et des points sur lesquels ils pouvaient s’amé-liorer. D’autres ont déjà adopté une démarche de durabilité et apprécient ce label en tant que reconnaissance de leurs efforts. Enfin, la finalité plus large de ce mouvement B Corp, qui consiste à créer un nouveau modèle de capitalisme, sé-duit aussi les entrepreneurs », explique Jonathan Normand.

Pour l’heure, la plupart des entreprises B Corp sont des PME. Mais de grandes multinationales comme Danone et Unilever ont exprimé leur intérêt pour le label, et donné leur feu vert à la certification de certaines de leurs entités. Les fondateurs du label reconnaissent que le processus de labellisation est plus difficile pour les grandes entreprises. Implémenter des changements nécessite un engagement conséquent et la récolte des renseignements exigés par l’ONG B Lab tous les deux ans peut s’avérer très contraignante. C’est le prochain grand défi de ce mouvement. Car pour qu’un changement radical s’opère dans la manière d’envisager le business, toutes les entreprises vont devoir monter à bord, PME mais également multinationales. Pour Jonathan Normand, tout cela n’est qu’une question de temps : « L’entreprise de demain est une entreprise B Corp, une entreprise qui prend en compte l’intérêt général au même titre que son objectif de profitabilité. »

Les entreprises les plus engagées ont affiché des rendements de 19% supérieurs à la moyenne.

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