Vue de l’installation « Crazy City IV » de l’artiste Barthélémy Toguo à la FIAC 2017 au Petit Palais à Paris (Galerie Lelong & Co., Paris - New York). À cette foire, les grandes galeries d’art produisent le meilleur des créations de leurs artistes, internationalement reconnus, et font une grosse part de leur chiffre d’affaires.
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Vue de l’installation « Crazy City IV » de l’artiste Barthélémy Toguo à la FIAC 2017 au Petit Palais à Paris (Galerie Lelong & Co., Paris - New York). À cette foire, les grandes galeries d’art produisent le meilleur des créations de leurs artistes, internationalement reconnus, et font une grosse part de leur chiffre d’affaires. © Marc Domage / FIAC 2017
N° 125 - Printemps 2018

Les galeries d’art : en quête de nouveaux modèles ?

Le constat est sans appel : il y a bien un marché de l’art contemporain à deux vitesses. Les éléphants prospèrent, les petites boutiques souffrent et, entre les deux, l’offre pléthorique des foires fait tourner les têtes. Pour contrer cette mécanique infernale, de nouvelles initiatives apparaissent. Désormais, il ne faut plus parler de galerie mais de project-space, d’artists-run space, de gallery-sharing ou de tiers-lieu.

En plein cœur du Marais, à Paris, un ancien restaurant accueille une exposition collective d’artistes contemporains. Ici, tout est œuvre d’art. La table, la décoration, les installations au sol. On ose à peine s’accouder au comptoir. « Nous ne sommes pas une galerie d’art à proprement parler parce que nous n’avons pas d’adresse fixe, nous sommes nomades, on se déplace au gré des opportunités en France et dans le monde. On préfère donc utiliser le terme de project-space », explique Marie Madec, 25 ans, fondatrice de Sans titre (2016), un concept innovant de galerie éphémère qui investit des lieux atypiques. « Le but est d’être rentable bien sûr, donc, comme dans une galerie traditionnelle, toutes les œuvres sont à vendre », précise-t-elle.

La jeune curatrice commence donc par créer des expositions dans son appartement parisien. Le concept de « l ’accrochage-salon » marche ; ce qui n’est pas sans rappeler le parcours « Chambres à part » de la FIAC. Elle le décline ensuite dans d’autres lieux afin de promouvoir des talents émergents qui ont tous moins de 35 ans. L’un d’entre eux, Romain Sarrot, donne son avis sur cette formule artistique qui semble lui donner de l’impulsion : « Créer une ambiance, intégrer un concept, c’est un défi pour les artistes. Visuellement, chaque lieu a un impact très fort qui nous pousse à la création. » Marie Madec se fait aussi prêter des œuvres par d’autres galeries. Une toile de Picabia est par exemple venue compléter une de ses expositions. Un partage entre galeries qui est un moyen pour l’une d’accéder à un espace différent et pour l’autre d’enrichir son exposition. Chacun y voit son intérêt.

La galerie, un modèle en mutation

Pour Roxana Azimi, journaliste française au journal Le Monde, spécialiste de l’art contemporain, il ne fait aucun doute que le métier de galeriste est en train de changer et doit se réinventer. Cependant, selon elle, personne n’a encore trouvé le bon format. Et faute de nouveau modèle, beaucoup de galeries doivent fermer, le coût des frais fixes étant devenu trop élevé. D’autant plus qu’aujourd’hui la tendance est aux œuvres d’art monumentales et aux installations, des structures artistiques qui demandent beaucoup d’espace ainsi que des frais de production importants. Seuls les poids lourds du monde de l’art peuvent y résister. Deux autres facteurs ont également entraîné la crise : le fait que le collectionneur ne fréquente plus les galeries, préférant les grandes foires, et que les maisons de vente pratiquent elles aussi les transactions de gré à gré. Le réflexe de ceux qui achètent de l’art n’est donc plus la galerie.

« Quand j’ai démarré dans les années 1980, il n’y avait qu’une poignée de galeries d’art contemporain à Paris et les salles de vente ne vendaient pas d’art contemporain. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Avant, le galeriste était une sorte d’aventurier, un intellectuel qui voulait participer à l’élaboration de la culture de son temps. Mais aujourd’hui, c’est la dimension de la valeur des choses qui prime », observe Fabienne Leclerc, directrice de la très établie galerie In Situ. Elle aussi est d’accord pour dire que le métier de galeriste a changé ces dernières années : « Il faut faire beaucoup de communication, être présent sur les réseaux sociaux, travailler avec des artistes qui sont loin et dont les productions sont chères. On espère se rembourser sur les ventes mais ce n’est pas toujours le cas », explique-t-elle en soulignant que la professionnalisation du métier est partie du modèle de Leo Castelli à New York dont Gagosian est le fils spirituel. « Si vous allez chez Gagosian à New York, vous verrez vingt bureaux de vendeurs. On a l’impression d’être dans une banque ! », raconte-t-elle tout en indiquant que les talents sont partout, aussi bien chez la multinationale Gagosian que chez le petit galeriste mais « le tri est plus difficile à faire car aujourd’hui il y a tout et n’importe quoi », regrette-t-elle.

OUVRIR UN ESPACE FAÇON POP-UP SELON LES ÉVÉNEMENTS NE SUFFIT PAS.

Vue extérieure du lieu d’art contemporain Espace Muraille, implanté dans les anciennes fortifications de la vieille ville de Genève, créé par le couple de collectionneurs suisses Caroline et Eric Freymond.
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© DR Espace Muraille
Vue extérieure du lieu d’art contemporain Espace Muraille, implanté dans les anciennes fortifications de la vieille ville de Genève, créé par le couple de collectionneurs suisses Caroline et Eric Freymond.
Vue du salon Galeristes pour sa deuxième édition en décembre 2017. Un salon d’art militant qui veut rendre à nouveau visibles les « galeristes-artisans » et souhaite recréer du lien entre galeristes et collectionneurs.
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© Mehdi Mendas/Galeristes
Vue du salon Galeristes pour sa deuxième édition en décembre 2017. Un salon d’art militant qui veut rendre à nouveau visibles les « galeristes-artisans » et souhaite recréer du lien entre galeristes et collectionneurs.

Fabienne Leclerc déplore aussi la confusion des genres qui règne actuellement, quand les musées d’art contemporain font découvrir de nouveaux artistes alors que ce n’est pas leur rôle ou quand des curateurs sont aussi les conseillers de collectionneurs ce qui crée un conflit d’intérêts évident. Pourtant, ceux qui ont l’amour de l’art chevillé au corps existent bien. Fabienne Leclerc en fait partie. « Ce sont les artistes qui font tout », dit-elle avec cet engagement dans la voix, comme pour dire, oui, la galerie authentique, celle qui soutient, qui révèle, n’est pas perdue.

Nomadisme et gallery-sharing

Pour ceux qui sont moins connus, il faut tirer son épingle du jeu. Vincent Sarrot, jeune galeriste établi depuis six ans, ne cache pas la difficulté du métier. Ses frais fixes s’élèvent à 10 000 euros par mois et il doit jongler entre les expositions et les foires. Tout en misant sur un modèle traditionnel, il utilise Internet comme support à son développement, notamment les plateformes Artsy et Artsper pour dénicher de nouveaux artistes. Son point fort est de faire un travail de fond sur chacun de ses artistes, notamment par le biais d’édition de catalogues.

À l’inverse, l’exemple d’Aline Vidal est symptomatique d’une tendance au changement plus radical. Cette galeriste a préféré transformer sa galerie traditionnelle qui existait depuis 1990 en galerie mobile en 2012 : « Le développement de l’informatique et des réseaux sociaux et la multiplication des foires, auxquelles j’ai d’ailleurs beaucoup participé, ont rendu caduc le modèle traditionnel, raréfiant les visiteurs de façon exponentielle », avait-elle confié à la presse pour expliquer sa décision. Le monde de l’art va de plus en plus vite et adopter le concept d’une galerie en perpétuel mouvement est peut-être une des pistes à creuser. Ce format ne convainc pourtant pas encore Roxana Azimi : « Ouvrir un espace façon pop-up selon les événements ne suffit pas. Évidemment, tout le monde cherche à réduire les coûts car le contexte est devenu de plus en plus difficile. Mais aujourd’hui, je pense qu’il est toujours préférable d’avoir une structure tangible, notamment pour être repéré par les grandes foires d’art contemporain. »

À l’appui de cet argument, mais avec un point de vue légèrement différent, Nicolas Galley, observateur averti du marché de l’art et directeur des études de l’Executive in Art Market Studies à l’Université de Zurich, croit plus en l’émergence des gallery-sharings ou « condo » qui apparaît depuis peu à New York et à Londres. Ainsi, une galerie américaine peut envoyer pour un temps ses artistes dans une galerie anglaise afin de créer un espace « off » en parallèle des grandes foires dont les stands sont trop chers. Un bon compromis entre la galerie classique trop fixe et la galerie itinérante trop mouvante.

Tendances solidaires et militantes

« Paris Internationale a été créée à l’initiative de galeries pour accueillir d’autres galeries, ce qui témoigne qu’on tend vers un modèle incluant plus de solidarité », poursuit Nicolas Galley. Plus qu’une foire, c’est un lieu de réflexion et d’échanges qui a accueilli pour son édition 2017 des project-spaces dont Sans titre (2016) justement. Paris Internationale est une des rares foires qui semble avoir pris conscience que le visage du marché de l’art contemporain est en train de changer.

À Paris, un autre rendez-vous se fait remarquer depuis deux ans. Le salon Galeristes semble chuchoter à l’oreille des collectionneurs que les meilleures œuvres et les meilleurs prix ne se trouvent pas forcément en salle des ventes. Pour Stéphane Corréard, son fondateur, l’enjeu est crucial : « On dit au collectionneur de retrouver le chemin de la galerie. » Selon lui, tout a basculé à partir du moment où le monde de l’art n’a pas su s’adapter à la part industrielle qui a émergé. L’art et les grandes foires, c’est un peu comme le cinéma et Hollywood ! Mais un deuxième marché peut exister à condition que les acheteurs s’engagent plus : « On est responsable du monde de l’art qu’on finance. Les collectionneurs doivent donc prendre leurs responsabilités. Et dans la vie, parfois, il faut être militant », insiste-t-il, en expliquant que Galeristes a vocation à redonner du sens à ce qu’il appelle le « galeriste-artisan ». Mais ne faut-il pas aller encore plus loin ?

Une troisième voie : le tiers-lieu

« Oui, il faut dépasser le white cube, et c’est pour ça qu’on imagine des projets qui dépassent la galerie », s’enthousiasme Nicolas Vaquier, assistant de la galerie niçoise Espace à Vendre. « Aujourd’hui, on se définit aussi comme un tiers-lieu, poursuit-il, c’est une notion qui est en train d’apparaître, dans la lignée des FabLabs. Nous sommes un lieu d’exposition, de production et de vie. » Car si Espace à Vendre organise des expositions à l’extérieur, elle-même invite d’autres galeries à exposer leurs artistes : « On a compris que la concurrence n’est pas stérile. On peut être productif à plusieurs. Faire de la galerie traditionnelle est très compliqué aujourd’hui. Le modèle change et s’oriente vers des formats plus collaboratifs. » Nicolas Vaquier évoque aussi les artists-run spaces, ces espaces laissés à la gestion des artistes par l’État ou des fondations privées. Une tendance plus solidaire et collaborative mais dont « le modèle n’a pas fait ses preuves », observe Nicolas Galley.

Tous les acteurs s’accordent : le modèle de la galerie traditionnelle est en cours de refondation. Le moment est à la réflexion et aux expérimentations. Mais nul ne sait encore dire à quoi ressemblera la galerie du futur. Récemment, un groupe de galeries françaises, belges, allemandes et suisses a créé un « weekend art contemporain à la campagne ». L’objectif : réunir professionnels, collectionneurs, artistes et amateurs loin de la folie des grandes foires. Une reconnexion et un retour aux sources plus que nécessaires.

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