Éric Bulliard. Le lauréat du Prix littéraire SPG 2018.
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Éric Bulliard. Le lauréat du Prix littéraire SPG 2018.
N° 126 - Été 2018

Un roman pour la postérité

Un voyage d’une journée sur l’île de Saint-Kilda, un « confetti » situé au nord de l’Écosse, permet au primo-romancier fribourgeois Éric Bulliard de raconter la vie d’une communauté, aujourd’hui disparue. Pour ce livre « L’adieu à Saint-Kilda », l’auteur vient de recevoir le Prix littéraire SPG 2018. Rencontre.

– Éric Bulliard, vous êtes journaliste, qu’est-ce qui vous a amené au roman ?

– Je suis journaliste à La Gruyère et critique littéraire. Je n’avais jamais sérieusement imaginé écrire un roman. À vrai dire, je n’y voyais pas l’intérêt. C’est en découvrant cette île, Saint-Kilda, que j’ai eu envie de franchir le pas. L’histoire de ses habitants est tellement extraordinaire, elle m’a vraiment touché.

– Vous décrivez, dans « L’Adieu à Saint-Kilda », une communauté vivant en totale autarcie, autogérée, sans lois, dont une partie va s’exiler en Australie, et qui par manque de ressources sur l’île va finalement demander à être évacuée en 1930. Pourquoi cette histoire vous a-t-elle touché ?

– J’ai fait un premier voyage en Écosse en 2012 avec mon épouse ; nous avons visité le château de Dunvegan, sur l’île de Skye, où se tenait une exposition de photographies anciennes des habitants de Saint-Kilda. À cette époque, je ne savais rien d’eux. J’ai été fasciné par leurs regards, leurs visages mais aussi par les paysages. En rentrant, je me suis documenté, les livres que j’ai trouvés étaient surtout en anglais. J’ai consulté aussi des travaux d’historiens. Plus je lisais sur ces personnes, plus je me disais : « Il faut vraiment qu’on aille sur place ». Nous y sommes allés deux ans plus tard avec mon épouse mais je n’ai pas fait le voyage en pensant à un livre. En racontant cette histoire autour de moi, je me suis rendu compte que peu de gens la connaissaient. Peu à peu, je me suis dit qu’il vaudrait la peine d’en faire un roman.

– Qu’est-ce qui vous a particulièrement intrigué dans cette communauté ?

– Tout d’abord la communauté elle-même, son mode de fonctionnement sans hiérarchie, sans argent, sans lois, et ensuite la rudesse du climat, des éléments. Les habitants étaient en permanence en situation de survie et faisaient preuve – c’était une nécessité – d’une incroyable solidarité. Leur vie m’a fasciné.

– Votre roman alterne entre le récit d’une journée et celui du passé, ce qui vous permet de retracer toute l’histoire de ce lieu et de ses habitants.

– J’ai très vite démarré avec cette idée d’alternance, ensuite j’ai fait un plan pour avoir quelques repères et structurer mon histoire. Tout au long du livre, je reste proche de la réalité historique même s’il y a une grande part d’imagination ; j’avais peur au fond d’idéaliser cette communauté.

– Comment avez-vous choisi l’éditeur ?

– Je connais Jean-Philippe Ayer, des Éditions de l’Hèbe, depuis plusieurs années. Il a publié un recueil de chroniques que j’ai coécrit avec Christophe Dutoit. Il me semblait évident d’aller vers lui. En plus, il m’a encouragé à écrire, à prendre du temps pour cela. Il ne le sait peut-être pas, mais ses encouragements ont été importants. Une fois le manuscrit achevé, je le lui ai montré. Il a été très pertinent dans ses remarques, mais finalement elles ont été assez peu nombreuses, des passages à raccourcir ici ou là, des répétitions à éviter.

– Maintenant que votre carrière de romancier est lancée, vous pensez à votre prochain roman ?

– Aujourd’hui, c’est surtout un problème de temps. Par contre, oui j’ai des envies, des idées, j’espère pouvoir m’y mettre cet été. J’ai besoin de rester ancré dans une réalité, je ne suis pas attiré par le fait de construire une histoire, d’inventer une intrigue de toutes pièces, des personnages. Je ne me sens pas à l’aise dans ce type d’exercice.

– Et pourtant les passages de fiction sont nombreux dans « L’Adieu à Saint-Kilda » : le séjour sur le bateau, celui sur le rocher…

– Oui, même s’ils se fondent sur des faits réels. Je ne me sentais pas capable d’inventer et en fait j’ai bien aimé. Il y a un côté transgressif dans la rédaction d’un roman, presque un peu gênant pour moi.

– Quelles sont vos habitudes d’écriture ?

– J’écris assez rapidement, je pose le squelette. Ensuite je prends énormément de temps à réécrire, à essayer de trouver le bon rythme, la bonne phrase, le mot juste. Je me suis rendu compte que j’avais presque plus de plaisir à réécrire qu’à écrire.

– Ce roman, ces prix, le Prix Édouard-Rod 2017 et le Prix littéraire SPG 2018, ont-ils changé votre vie?

– C’est un peu excessif d’autant que je ne suis pas un si jeune auteur : à 48 ans, j’ai, je pense, assez de recul. Par ma profession, je connais un peu le milieu littéraire. C’est toutefois intéressant de voir les choses de l’autre côté du miroir. Ces prix sont flatteurs et encourageants, et surtout réconfortants.

– Auriez-vous un ou des conseils à donner ?

– Je ne me sens pas en situation de donner des conseils. J’ai toutefois été très marqué par le discours de Patrick Modiano lors de la réception de son prix Nobel. Il parle de la difficulté d’écrire un roman1. S’il y a un conseil à donner, c’est peut-être cela : malgré les doutes, la crainte de ne pas arriver au bout, il faut continuer à avancer. Si Patrick Modiano, avec la carrière qu’il a, a encore des doutes, ce n’est donc pas honteux pour un jeune auteur d’avoir ces peurs-là.

– Grâce à vous, on découvre cette histoire et on n’a qu’une envie à la fin, c’est de se rendre sur place.

– Cette population m’a beaucoup ému. Sur YouTube 2, on trouve des films où l’on peut voir ces enfants, ces familles dans leur quotidien. Dans leurs regards, il y a un mélange de timidité et de dureté. Au fond, raconter cette histoire c’était un peu leur rendre hommage. J’espère modestement la faire connaître aux francophones. Tous ceux qui ont vécu l’évacuation de 1930 ont disparu aujourd’hui. Il n’y a plus de survivants ; un enfant qui a quitté l’île quand il avait 6 ans, en 1930, est mort en 2013. C’était le dernier.

Les trois finalistes du Prix littéraire SPG 2018. « Mémoire des cellules » de Marc Agron, Éditions L’Âge d’Homme, le lauréat « L’Adieu à Saint-Kilda » d’Éric Bulliard, Éditions de l’Hèbe, « Là-bas, août est un mois d’automne » de Bruno Pellegrino, Éditions Zoe.
Les trois finalistes du Prix littéraire SPG 2018. « Mémoire des cellules » de Marc Agron, Éditions L’Âge d’Homme, le lauréat « L’Adieu à Saint-Kilda » d’Éric Bulliard, Éditions de l’Hèbe, « Là-bas, août est un mois d’automne » de Bruno Pellegrino, Éditions Zoe.
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Les trois finalistes du Prix littéraire SPG 2018. « Mémoire des cellules » de Marc Agron, Éditions L’Âge d’Homme, le lauréat « L’Adieu à Saint-Kilda » d’Éric Bulliard, Éditions de l’Hèbe, « Là-bas, août est un mois d’automne » de Bruno Pellegrino, Éditions Zoe.
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Les trois finalistes du Prix littéraire SPG 2018. « Mémoire des cellules » de Marc Agron, Éditions L’Âge d’Homme, le lauréat « L’Adieu à Saint-Kilda » d’Éric Bulliard, Éditions de l’Hèbe, « Là-bas, août est un mois d’automne » de Bruno Pellegrino, Éditions Zoe.
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Prix littéraire SPG 2018

Le premier roman d’un auteur suisse-romand

Critères du prix

Le Prix littéraire SPG récompense une première œuvre de fiction (roman) d’un auteur romand, écrite en langue française et éditée par une maison d’édition suisse. Ne peuvent pas concourir les ouvrages édités à compte d’auteur, les traductions ainsi que les rééditions.

Ce prix a pour but de promouvoir la création littéraire romande et sa diffusion, d’encourager de nouveaux auteurs romands, et de soutenir l’édition romande et ses acteurs. Le Prix littéraire SPG est doté de la somme de CHF 5 000.– (cinq mille francs). Le jury est composé de membres bénévoles.

La remise du Prix littéraire SPG a lieu chaque année au Salon du livre fin avril. Vous pouvez nous envoyer vos premiers romans. Les exemplaires destinés aux membres du jury sont pris en charge par l’organisateur du prix.

Prix littéraire SPG
Route de Chêne 36 – CH-1208 Genève
prixlitteraire@spg.ch
Suivre l’actualité du prix

Le jury du Prix littéraire SPG. Thierry Barbier-Mueller, Président, Administrateur délégué de la SOCIÉTÉ PRIVÉE DE GÉRANCE S.A. (SPG), Christine Esseiva, Directrice des publications SPG, Hélène Leibkutsch, Vice-présidente de la Société de lecture de Genève et Présidente de la Commission de lecture, Mania Hahnloser, Présidente d’honneur de l’Alliance Française de Berne, Isabelle Falconnier, Présidente du Salon du livre de Genève, Pascal Couchepin, Ancien Conseiller fédéral, Président d’honneur.
Le jury du Prix littéraire SPG. Thierry Barbier-Mueller, Président, Administrateur délégué de la SOCIÉTÉ PRIVÉE DE GÉRANCE S.A. (SPG), Christine Esseiva, Directrice des publications SPG, Hélène Leibkutsch, Vice-présidente de la Société de lecture de Genève et Présidente de la Commission de lecture, Mania Hahnloser, Présidente d’honneur de l’Alliance Française de Berne, Isabelle Falconnier, Présidente du Salon du livre de Genève, Pascal Couchepin, Ancien Conseiller fédéral, Président d’honneur.

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