Élisa Shua Dusapin. La lauréate du Prix littéraire SPG 2017.
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Élisa Shua Dusapin. La lauréate du Prix littéraire SPG 2017. © Romain Guélat
N° 123 - Été 2017

« J’ai ressenti un sentiment d’urgence »

Élisa Shua Dusapin est la lauréate de la quatrième édition du Prix littéraire SPG pour son livre « Hiver à Sokcho » publié aux Éditions Zoé. Ce premier roman a été choisi parmi les trente-quatre ouvrages reçus cette année. Rencontre.

– Quand vous êtes-vous mise à écrire pour la première fois ?

– Au lycée, pour mon travail de maturité. Il consistait en un récit autobiographique de mes premiers voyages en Corée. Depuis, ces textes courts ont tous été publiés. Avec le recul, j’ai pu constater qu’ils portaient en eux les prémices de mon premier roman. Et puis, au moment de réaliser mon travail de maturité, j’ai ressenti un sentiment d’urgence, il fallait que j’écrive, ce fut une sorte d’intuition, autrement j’allais passer à côté de quelque chose.

– Quel sentiment a inspiré ce livre, l’élément déclencheur ?

– Il est venu d’un sentiment profond d’abord d’appartenance à une culture, j’ai des origines coréennes, et puis d’un questionnement par rapport au corps des femmes dans une société où l’image est si importante. La chirurgie esthétique en Corée du Sud est fortement pratiquée par les femmes, jeunes et moins jeunes, ce qui fait des ravages autant au niveau de la santé qu’au niveau identitaire. C’est une véritable aliénation. Beaucoup de femmes veulent ressembler aux Européennes. Au fond, je crois que j’avais des choses à exorciser.

– Il y a une ambiance dans votre roman qu’on ne saurait illustrer que par la référence à des œuvres d’art ? Quelles sont celles qui ont inspiré votre histoire ?

– Cosey a eu une influence fondamentale sur mon travail. Je l’ai rencontré sur un tournage de la RTS et j’ai eu l’occasion de l’observer dessiner pendant des heures. Nous avons beaucoup échangé sur la créativité, les couleurs. J’admire beaucoup les œuvres d’Edward Hopper, sa façon de transcrire le silence, l’attente.

– Dans quel état d’esprit étiez-vous en écrivant ce premier roman ?

– Je n’étais pas dans un esprit de publication. J’étais libérée de cette pression. Je l’ai écrit pour moi.

– Quelle est la première personne à convaincre ?

– Moi-même, car j’avais tellement peu confiance en moi que je ne pensais même pas publier mon roman. C’est Noëlle Revaz qui m’a accompagnée au début, qui m’a convaincue. J’ai ensuite envoyé mon livre à trois maisons et les Éditions Zoé m’ont répondu assez vite. C’est un avantage d’être publiée par une maison d’édition romande car on se sent accompagnée, soutenue, même physiquement, par l’éditrice. On peut développer une belle relation.

– Lorsqu’on vous a appris que vous alliez être publiée, à qui avez-vous pensé en premier ?

– J’ai pensé à ma famille coréenne, mes grands-parents. J’étais extrêmement heureuse et en même temps très triste car ils ne pouvaient pas lire mon livre. Heureusement, peu de temps après, il a été traduit en coréen. Les premiers commentaires m’ont beaucoup surprise. Les gens me parlaient de quelque chose de très doux, vaporeux ; or, quand je l’ai écrit, j’étais dans une forme de violence, de rage. J’ai ressenti un décalage entre ma manière d’écrire et la perception du public.

– Après la sortie de votre premier roman, quels furent les premiers commentaires ?

– « C’est très crédible » et cela m’a fait plaisir. Il y avait aussi beaucoup d’émotion parce que c’était la première fois que l’on parlait de cette ville, Sokcho, où se trouvent des réfugiées de Corée du Nord.

– Vous diriez : « Un premier roman, c’est le début de… » ?

– C’est le début d’une responsabilité nouvelle, d’une remise en question permanente.

KERRAND A FAIT COULER TOUTE L’ENCRE DU POT, LA FEMME A TITUBÉ, CHERCHÉ À CRIER ENCORE, MAIS LE NOIR S’EST GLISSÉ ENTRE SES LÈVRES JUSQU’À CE QU’ELLE DISPARAISSE.

– Quelle est la première chose à faire lorsqu’on veut écrire son premier roman ?

– Ne pas se décourager : c’est un vrai marathon, cela m’a pris trois ans. Il ne faut pas avoir peur des critiques et savoir se remettre en question.

– Qu’est-ce qui vous a fait le plus plaisir ?

– La chose dont je suis le plus fière, c’est de réaliser que tout le questionnement identitaire, et tout ce qui a trait au corps, à l’image, ont pu toucher mes lecteurs. Mon livre a déclenché un dialogue. C’est un but inespéré qui a été atteint.

 

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