Des outils de partage. Sharoo, site de partage de voitures, a mis en place un système de déverrouillage des portes grâce à une application à télécharger sur son téléphone portable.
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Des outils de partage. Sharoo, site de partage de voitures, a mis en place un système de déverrouillage des portes grâce à une application à télécharger sur son téléphone portable. © iStock.com / GlobalStock
N° 118 - Automne 2015

Économie de partage : la révolution du XXIe siècle

L’économie se transforme. Nous serions en train d’assister aux débuts de la « 3e révolution industrielle ». Rien que ça. Pour Jeremy Rifkin, essayiste et économiste américain, l’économie de partage est une « Transformation fondamentale du capitalisme classique » qui devrait changer l’espace économique mondial. Et il est vrai qu’à la vitesse où ce système « d’échange » des biens ou des services s’accroît, notre modèle de consommation se retrouve totalement bouleversé.

Uber, le plus célèbre exemple, offre un service de taxis grâce à Uber X (professionnels) ou Uber Pop (chauffeurs particuliers). AirBnB, autre mastodonte de la « sharing economy », permet de louer sa maison ou son appartement à des inconnus le temps d’un week-end ou d’un voyage. Moins de dix ans après sa création, cette start-up – qui n’en est plus une – prépare une levée de fonds à une valorisation de 24 milliards de dollars. Une valeur quasi-égale aux plus grands groupes hôteliers mondiaux, comme Accor.

Mais l’économie de partage, ou « économie collaborative », se retrouve aujourd’hui dans toutes nos habitudes de consommation. Envie d’une nouvelle coupe de cheveux ? En un clic, un professionnel (ou amateur) vient chez vous, grâce à PopMyDay. Son talent à manier les ciseaux et le balayage sera ensuite évalué par les membres de la communauté. On peut également prêter son potager à d’autres internautes pour arrondir ses fins de mois, faire appel à un bricoleur du dimanche pour refaire sa cuisine ou des petits travaux, louer le loft, la terrasse ou l’atelier d’un particulier pour organiser ses soirées d’anniversaire avec SnapEvent. Globshop ou WorldCraze permettent aux touristes d’amortir leurs voyages en ramenant un Mac Book Air de Tokyo ou les dernières baskets Nike de New York à d’autres « collaborateurs ». En Suisse, Sharoo propose de partager sa voiture avec les membres de la communauté du site Internet, et a mis au point un système de déverrouillage des portes grâce à son téléphone portable, pour ne plus perdre de temps à s’échanger les clés.

Car le facteur essentiel de l’économie de partage, c’est la confiance. Il y a encore dix ou quinze ans, il aurait été impensable de laisser son appartement ou sa voiture entre les mains d’inconnus. C’est pour cela que la création d’une « communauté » est essentielle. Cette conception est née grâce à Internet, et à eBay en particulier (système de vente par correspondance entre particuliers) en 1995. Puis Napster, en 1999, a développé le concept d’échange, en aidant les internautes à s’envoyer de la musique. Le « peer-to-peer » était né.

Le système de « communauté Web » a été renforcé grâce à ses amis virtuels sur Facebook ou à ses « followers » sur Twitter. La crise économique de 2008 a fait le reste. Selon Jeremy Rifkin, l’économie de partage est la réponse des citoyens à un système économique capitaliste à bout de souffle : « Le prix de l’énergie ou des denrées alimentaires augmente, le chômage s’accroît, le marché de l’immobilier stagne, les dettes publiques et privées augmentent. Il a fallu trouver une manière de contourner ces obstacles pour garder les mêmes habitudes de vie. »

Mais comme toute révolution, l’avancée de l’économie de partage ne se passe pas sans violence et sans peine. Fin juin, les rues de Paris et de Marseille se sont enflammées dans la désormais célèbre « guerre Taxi contre Uber ». Le 30 juin, les deux directeurs France de l’application californienne étaient placés en garde à vue pour encourager le travail clandestin. Uber, quant à elle, a décidé de porter plainte contre la France à la Commission européenne pour contester la loi Thévenoud, qui encadre l’activité des voitures de transport avec chauffeur (VTC). A Genève aussi, l’arrivée d’Uber a provoqué une levée de boucliers des taxis professionnels.

Nous sommes entrés dans « la freelancisation de l’emploi qui fait de chaque individu une marque », selon le fondateur de BlaBlaCar, Frédéric Mazzella. Certains grands groupes, conscients qu’Internet est impossible à contrôler, ont décidé de s’adapter plutôt que de lutter. Le géant de l’automobile BMW permet désormais de partager ses voitures électriques en un clic, avec l’application Drive Now. En France, la SNCF vient de lancer TGV Pop, pour stopper « l’hémorragie » de ses clients qui préfèrent le covoiturage, plus économe, aux billets de train achetés à la dernière minute au prix fort. Le train « pop » partira si suffisamment d’acheteurs se « partagent » une rame. Consciente du coût exorbitant d’un tel programme s’il venait à échouer, la directrice France de Voyages-SNCF, Rachel Picard, joue à la roulette russe : « C’est une expérimentation, avoue-t-elle. Un véritable pari. » L’économie du XXIe siècle a pris un nouveau tournant. Reste à en étudier et connaître les bons chemins à emprunter.

Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar.
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© DR
Frédéric Mazzella, fondateur de BlaBlaCar.

BlaBlaCar : success story à la française de la « sharing economy »

N’allez pas dire à Frédéric Mazzella que l’économie française est en déclin. Le fondateur de BlaBlaCar, leader européen du covoiturage, se veut le chef d’entreprise « made in France » de la nouvelle économie de partage, comme autrefois Michelin ou Peugeot faisaient briller les fleurons de l’industrie nationale. Selon lui, « Paris est une très bonne ville pour développer une start-up internationale, avec des gens d’une qualité incroyable grâce au système d’éducation mis en place ». Un discours d’un optimisme suffisamment rare dans l’Hexagone pour que le président François Hollande lui-même félicite la success story de BlablaCar.

Car le « bébé » de Frédéric Mazzella a bien grandi depuis sa naissance en 2006. BlaBlaCar s’appelait alors covoiture.com. Son principe est simple : réduire ses coûts de déplacements, en proposant à d’autres membres du site de partager sa voiture le temps d’un voyage. Neuf ans plus tard, la communauté compte 20 millions de « covoitureurs » à travers 19 pays. Après son implantation en Europe, l’entreprise part à la conquête du monde, en s’installant plus récemment en Inde et au Mexique. « Les problèmes de mobilité dus à l’accroissement de population et à la cherté de l’énergie sont globaux, explique Kevin Deniau, porte-parole de BlaBlaCar France. Mais en Inde, par exemple, le principe du covoiturage n’existait pas, il faut donc faire un gros travail de sensibilisation et d’éducation. »

Il en est de même, en Europe, pour les plus de 30 ans. Le service a rapidement séduit les étudiants.

Mais, grâce au bouche à oreille, la moyenne d’âge des nouveaux « membres » (on ne parle pas de clients dans l’économie collaborative !) ne cesse d’augmenter : elle est de 34 ans aujourd’hui, contre 29 en 2009. Pour le premier week-end de la saison estivale, on comptait plus de 500 trajets au départ de Genève ! « La formule est très intéressante pour les transfrontaliers, explique Kevin Deniau. C’est positif pour l’écologie et le lien social. »

Si BlaBlaCar peut continuer son expansion sans faire de vagues comme AirBnB ou Uber, c’est que l’entreprise veille à ne pas enfreindre les lois en vigueur dans les pays où elle s’implante. Il ne faudrait pas que les chauffeurs de BlaBlaCar deviennent des chauffeurs de taxis collectifs qui ne disent pas leur nom. Kevin Deniau assure que les règles sont strictes, le prix de chaque voyage fixé selon son coût global, le nombre d’allers-retours surveillé, pour que l’économie de partage reste collaborative et ne tombe pas finalement dans les mêmes travers que l’économie traditionnelle. C’est ce qui fait le succès de cette start-up. Mais c’est aussi ce qui pourrait causer sa perte, et les foudres des acteurs traditionnels.

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