Aux États-Unis, l’échec entrepreneurial n’est plus tabou. En Europe, la stigmatisation reste forte mais les mentalités sont en train de changer.
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Aux États-Unis, l’échec entrepreneurial n’est plus tabou. En Europe, la stigmatisation reste forte mais les mentalités sont en train de changer. © iStockphoto / oneinchpunch
N° 124 - Automne 2017

Échouer, oui, mais intelligemment !

Face à des success-stories comme celles de Facebook, Apple ou Amazon, combien d’entreprises technologiques ont-elles mis la clé sous la porte ? Et à y regarder de plus près, les échecs en sont-ils vraiment ? Failcon, un réseau de conférences dédiées à l’échec, fait des émules. Mais il s’agit moins de célébrer l’échec que le rebond entrepreneurial.

J’ai appris de 50 000 façons que cela ne fonctionnait pas. Par conséquent, je suis 50 000 fois plus proche de la réussite finale de mon expérimentation. » Cette citation attribuée à Thomas Edison, l’inventeur de l’ampoule électrique, s’affiche en introduction d’un blog américain dédié aux entrepreneurs pour qui le succès n’a pas été au rendez-vous. Sur ce blog démarré en 2014*, plus de 200 entrepreneurs et investisseurs ont pris la plume pour parler de leurs échecs. « Nous ne pensions pas en arriver là, malheureusement nous n’avons pas été capables de trouver un modèle économique qui aurait justifié le coût exorbitant de fonctionnement de notre site », s’y confie Tim Robertson, fondateur de la start-up Omniref, qui a cessé ses opérations à fin janvier. « Nous nous sommes accrochés à la mauvaise stratégie trop longtemps, raconte de son côté Keith Nowak, fondateur d’Imercive, une plateforme de vidéos interactives. Il est difficile d’admettre que votre idée n’est pas aussi bonne que vous le pensiez, ou qu’elle pourrait ne pas marcher. Si nous avions été honnêtes avec nous-mêmes, nous aurions pivoté plus tôt et il nous serait resté assez de financement pour exécuter la nouvelle stratégie. »

Stratégies bancales, manque de financement, mauvais positionnement ou mauvais recrutements, les raisons qui poussent des entrepreneurs à mettre la clé sous la porte sont nombreuses, plus encore pour les jeunes pousses du secteur technologique. C’est au stade précoce qu’elles sont le plus vulnérables, en raison de financements limités, de produits encore immatures et d’une incertitude quant à la demande du marché. D’après une étude de la Harvard Business School, sur quatre start-up américaines financées par du capital-risque, trois échouent. Et selon le ministre du Travail américain, seule la moitié des nouvelles entreprises, tous secteurs confondus, est toujours en activité cinq ans après leur création – et un tiers l’est au bout de dix ans. Loin d’être exceptionnel, l’échec est donc une expérience presque banale dans le monde de l’entrepreneuriat. Pourtant, ce constat commence tout juste à être accepté.

EN FRANCE ET EN SUISSE, LA STIGMATISATION DE CEUX QUI N’ONT PAS RÉUSSI DU PREMIER COUP EST FORTE.

Parler honnêtement de l’échec

Lorsqu’elle a créé la première FailCon, abréviation de Failure Conference (« Conférence de l’échec »), Cassandra Phillipps était en recherche de conseils. La jeune entrepreneuse se sentait intimidée par les succès flamboyants de ses confrères de la Silicon Valley et voulait entendre ceux pour qui le chemin avait été parsemé d’embûches : « J’étais à un événement consacré à l’entrepreneuriat et j’ai réalisé que tout le monde discutait de choses qui marchaient, de business prometteurs, de parcours excitants. Alors qu’en tant que nouvelle entrepreneuse, moi, j’étais terrifiée et perdue ! Je ne pouvais pas croire que j’étais la seule. FailCon a démarré en réponse à cette réflexion. Je voulais créer un événement où les participants se senti-raient suffisamment à l’aise pour être honnêtes, et où les speakers pourraient parler de la difficulté réelle du parcours d’un entrepreneur. »

En octobre 2009, avec plus de 400 participants, la première FailCon fut une réussite, tout comme les quatre suivantes. La recette a fait des émules et la conférence s’est exportée ailleurs dans le monde. En Suisse, la première FailCon s’est tenue en 2013. L’échec, enfin, est abordé comme un élément important de la vie des entreprises.

Pour autant, souligne Cassandra Phillipps, FailCon n’a pas été créée pour célébrer l’échec, mais pour parler des raisons de ces échecs, de la manière d’échouer avec grâce, mais aussi et surtout des enseignements que chacun peut en tirer. « Échouer intelligemment est une qualité de plus en plus importante », confirme Ashley Good, fondatrice de Fail Forward, une agence de conseils pour les entreprises en difficulté. « L’échec est l’autre face de l’innovation. Innover veut dire prendre des risques en essayant quelque chose de nouveau. Avec le risque viennent forcément des ratés. Des aspects de votre travail vont bien fonctionner mais d’autres non. Ce qui importe est d’apprendre autant de ce qui marche que de ce qui ne marche pas. » Bien souvent, explique-t-elle, nos premiers instincts nous poussent à ignorer ou à être dans le déni sur ce qui a raté, à rejeter la faute sur des facteurs extérieurs ou sur d’autres personnes, ou encore à se retrouver paralysé dans l’autocritique. La dimension émotionnelle n’est évidemment pas à négliger, mais la neuroscientifique Mandy Wintink conseille avant tout à ses clients de séparer l’ego de l’activité, de dépersonnaliser l’échec. Le processus de résilience sera alors source d’enrichissement. Et bien souvent la clé d’un futur succès.

Vers un changement des mentalités

Dans la Silicon Valley, il y a déjà plusieurs années que l’échec n’est plus un sujet tabou. En 2014, la cinquième FailCon a même été annulée. L’événement n’avait plus de raison d’être, explique Cassandra Phillipps : « Il y a eu tellement de progrès qu’une large conférence n’avait plus de sens. Aujourd’hui, il existe des milliers de témoignages sur Internet et la discussion autour de l’échec s’est libérée. » En Californie, la rumeur – aucune donnée ne permet de l’étayer – veut qu’un investisseur soit plus enclin à financer un entrepreneur qui a échoué dans le passé qu’un entrepreneur qui n’a connu que le succès. Et sur les curriculum vitae, on affiche désormais ses échecs au même titre que ses réussites, car on a compris que les enseignements tirés de ce qui n’a pas fonctionné sont précieux.

Ce n’est pas le cas ailleurs. En France et en Suisse, par exemple, la stigmatisation de ceux qui n’ont pas réussi du premier coup est forte. Selon une étude de la Commission européenne consacrée au délai entre l’échec et le rebond entrepreneurial, la France remporte la palme de la durée la plus longue : huit ans ! Et les entrepreneurs qui échouent voient souvent leurs chances d’obtenir à nouveau des financements réduites à néant.

Mais si les start-up européennes se sont longtemps cachées pour mourir, là aussi le tabou pourrait être brisé. Le succès des FailCons organisées dans les grandes villes européennes en est un exemple, tout comme la multiplication des associations chargées d’accompagner les entrepreneurs dans leurs échecs, de les aider à rebondir. En France, des associations comme 60 000 Rebonds ou Second Souffle, participent à ce travail de déstigmatisation, mais aussi de lobbying, auprès des pouvoirs publics et des banques. De timides avancées sont à noter : depuis septembre 2013, les entrepreneurs français dont la société a été liquidée ne sont plus fichés à la Banque de France, et peuvent donc plus facilement obtenir de nouveaux financements. Des banques régionales soutiennent les entrepreneurs qui tentent de rebondir et la Banque Publique d’Investissement apporte une aide non négligeable, explique Thibaut Mulliez, président de la branche Auvergne-Rhône-Alpes de l’association 60 000 Rebonds : « Le chemin est encore long, mais il y a une prise de conscience générale que notre vision de l’échec entrepreneurial n’est pas la bonne. Grâce à des associations comme la nôtre, nous sommes en mesure de présenter aux entrepreneurs ayant fait faillite d’autres entrepreneurs étant passés par là mais ayant su rebondir. »

Le pouvoir de l’exemple positif pour accompagner les entre-preneurs, c’est aussi ce qu’observe en Suisse Sandrine Szabo, la cofondatrice de NetInfluence, une agence digitale basée dans la région de Lausanne. Mais elle y voit une limite : « Pour le moment, les personnes qui racontent leurs échecs sont plu-tôt des personnes à succès qui citent quelques anecdotes passées avouables. Mais si l’échec est frais ou imminent, la défiance s’impose encore. » Et l’entrepreneuse de conclure sur un problème majeur en Europe, qui relève de la peur d’échouer non pas venant des entrepreneurs mais des investisseurs : « La culture des venture capitalists (investisseurs en capital-risque), habitués à miser, à prendre des risques et donc à perdre parfois, est loin d’avoir franchi l’Atlantique. »

Ce que la psychologie nous dit de l’échec

Interview avec Mandy Wintink, PhD du Centre pour les Neurosciences Appliquées

Que se passe-t-il dans le cerveau lorsque nous échouons ?
Échouer est une attaque à notre ego et à notre identité. De la même façon que nous avons une réaction de peur lorsque notre vie est menacée, nous avons une réaction de peur lorsque la « vie » de notre ego est menacée. Pour parler en termes de processus biochimique, cette réaction se traduit par une libération d’hormones du stress comme le cortisol et l’adrénaline. Parallèlement, on observe une chute d’autres hormones comme la testostérone (l’hormone de la confiance en soi) et la sérotonine (l’hormone du bonheur). L’échec fait donc souffrir, physiquement et psychologiquement.

Quelles sont les erreurs courantes face à l’échec ?
L’évitement ! Le système de stress active une réponse de fuite, très naturellement. Beaucoup de gens cherchent à éviter d’échouer parce que l’échec fait se sentir mal. Or il est impossible à éviter tout au long de la vie. Et échouer a son importance dans le processus d’apprentissage. Des mécanismes de notre cerveau sont là pour nous aider à apprendre de nos échecs, en ajustant notre comportement pour que notre attention se porte sur ce qui a raté et ainsi nous aider à faire mieux. L’autre erreur courante, c’est de passer ses échecs sous silence. Cela perpétue l’illusion que nous sommes parfaits. Ce n’est pas sain car, inévitablement, nous serons un jour confrontés à la réalité, qui est que personne n’est parfait !

Comment dépasser cette réaction de fuite pour échouer intelligemment ?
Pour moi, la meilleure méthode est ce qu’on appelle le recadrage cognitif. Nous devons regarder nos échecs en face et les dépersonnaliser, pour ne s’attacher qu’aux faits qui ont conduit à ce résultat. Cela veut dire se battre avec nous-même pour trouver des explications positives à ces échecs. C’est ce qui permet de ne plus subir l’épreuve comme une attaque à notre ego. Et pour revenir à ce que j’expliquais sur la libération d’hormones, nous devons tout simplement accepter que l’échec fait mal, pour avancer et faire mieux la fois suivante.

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