N° 133 - Automne 2020

Confinement

– Alors, ce confinement, ce ne fut pas trop dur ?
– Ni trop dur, ni très agréable ! Nous nous sommes félicités tout du long d’être deux et en bonne santé, et si bien ensemble, et si correctement logés. Il y avait plus à plaindre que nous !
– Les personnes isolées…
– Ou les parents qui devaient s’occuper de jeunes enfants (et les occuper, eux !), souvent dans des logements exigus ! Et puis je continuais d’écrire, ma compagne continuait de peindre… Cela dit, au bout de quelques semaines, la réclusion nous a pesé ! Il nous arrivait d’envier les Suisses, tellement plus libres de leurs mouvements !
– Vous êtes restés à Paris ?
– Oui, cela nous parut plus juste que de partir nous réfugier, comme nous l’aurions souhaité, dans notre maison de campagne, à l’extrême ouest de la Normandie. Le taux d’infection, là-bas, était infime. Pas question d’y apporter notre possible contagiosité ! Et vous, dans votre jolie maison lausannoise ?
– Nous n’avions pas non plus à nous plaindre… D’ailleurs, comme vous l’avez noté, le confinement, chez nous, ou le « semi-confinement », comme il nous arrivait de dire, n’avait pas les rigueurs toutes jacobines que les prétendus « Gaulois réfractaires » ont si docilement acceptées !
– Pendant que les Suisses, réputés si disciplinés, faisaient ce qu’ils voulaient…
– Pas tout à fait ! Mais nous sommes trop attachés à la liberté pour accepter cette espèce d’assignation à résidence que fut le confinement à la française, avec ses attestations obligatoires, ses contrôles de police, ses vexations, ses amendes… Paradoxalement, malgré un confinement bien plus souple, il y eut en Suisse plusieurs manifestations pour protester contre ce qui était perçu par certains comme une violation de nos droits fondamentaux. Alors qu’en France, qui se croit le pays des droits de l’homme et où l’on aime tant défiler dans les rues, chacun obéissait bien sagement aux injonctions du gouvernement et des médias : « Restez chez vous ! » En Suisse, où l’on préfère la liberté aux slogans, les quelques entraves qu’on nous imposait furent davantage critiquées. Vous disiez avoir envié les Suisses ; il nous arrivait d’envier les Suédois, qui ne se sont pas confinés du tout !
– Mais qui en appelaient à la responsabilité individuelle, au télétravail et à la distanciation sociale…
– Cela suffisait-il ? Il est trop tôt pour le dire. On verra bien, dans quelques années, les pays qui s’en sont le mieux sortis, je veux dire ceux qui ont eu le moins de morts, par rapport au nombre d’habitants.
– Et au moindre coût économique !
– Vous allez vous faire taper sur les doigts, surtout en France ! On va vous accuser de sacrifier la santé à l’économie !
– À tort ! La médecine coûte cher. Elle a donc besoin d’une économie performante. Puis, la misère est aussi un problème sanitaire : la faim tue plus vite que la maladie.
– Nous n’en sommes pas là…
– Dans nos pays, non. Mais les experts craignent que le confinement quasi planétaire que nous avons vécu ne fasse, par la formidable récession économique qu’il engendre, davantage de morts dans les pays pauvres que le virus qu’il s’agissait de combattre…
– Et combien de souffrances, même dans les pays riches ! En France, où le chômage commençait enfin à reculer, le voilà qui s’envole à nouveau, spécialement chez les jeunes…
– C’est ce qui me désole le plus. Ce confinement, qui visait surtout à protéger les plus vieux (90% des morts de la Covid-19 ont plus de 65 ans), ce sont les jeunes qui auront, et pendant fort longtemps, à en assumer le coût économique ! Comment le père de famille que je suis pourrait-il ne pas s’en inquiéter ? Je me fais plus de souci pour l’avenir de mes enfants, qui sont de jeunes adultes, que pour ma santé de presque septuagénaire !
– Je suis comme vous. D’ailleurs, je n’ai jamais compris cette espèce d’affolement qui s’est emparé d’une partie de la population et de la quasi-totalité des médias. C’est comme si des millions de gens, regardant la télévision, découvraient soudain qu’ils sont mortels ! Vous parlez d’un scoop !
– Contre quoi j’ai souvent cité Montaigne : « Tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant. »
– Sauf que la mort, ordinairement si discrète, de nos jours, envahissait soudain nos journaux télévisés : on ne parlait plus que de ça !
– Pour une maladie qui est bénigne dans 80% des cas, et dont le taux de létalité, au dire des experts, semble se situer entre 0,3 et 0,7% !
– Elle n’en fit pas moins des milliers de morts, quelque 30’000 en France, à l’heure où nous parlons, près de 2’000 en Suisse, bientôt 500’000 dans le monde…
– Et elle aurait pu en faire bien plus, si l’on n’avait pris aucune mesure ! C’était le paradoxe initial de cette pandémie : qu’une maladie relativement peu inquiétante, à l’échelle individuelle, soit collectivement un problème sanitaire majeur, qui pouvait vite devenir effrayant. Les experts, en France, redoutaient quelque 300’000 morts. Il était clair, dès le départ, qu’aucun gouvernement démocratique ne pouvait s’y résigner.
– C’est ce qui justifie les « gestes barrières », la « distance sociale », le confinement…
– Voilà pourquoi j’ai toujours dit qu’il fallait les respecter scrupuleusement. Mais ce n’était pas une raison pour tomber dans l’affolement. Les gens, autour de moi, poussés par le discours anxiogène des médias, ne parlaient plus que de « tragédie », de « cauchemar », de « peur au ventre »… Vous évoquiez les 30’000 morts en France. C’est évidemment beaucoup trop. Mais enfin, en quoi ces 30’000 morts méritent-ils davantage notre compassion que les 600’000 qui meurent chaque année ?
– Ou que les 9 millions (dont 3 millions d’enfants) qui meurent tous les ans, dans le monde, de malnutrition !
– Sans compter que la Covid-19, nous l’évoquions à l’instant, tue surtout des vieillards, dont je fais partie… Pour le père anxieux que je suis, c’est plutôt rassurant : pour une fois que mes enfants sont moins exposés que moi !
– Attention : terrain glissant !
– Raison de plus pour y avancer prudemment, pas pour s’enfermer dans le politiquement correct ! Toute mort est triste, mais toutes les morts ne se valent pas : il est plus affreux de mourir à 20 ou 30 ans qu’à 68 (mon âge) ou 81 ans (l’âge moyen des morts de cette pandémie). De ce point de vue, le cancer, qui tue en France 150’000 personnes par an (parmi lesquels des milliers d’enfants, d’adolescents, de jeunes adultes) est autrement effrayant que la Covid-19 ! – Ce n’est pas une raison pour laisser les vieux mourir sans soins…
– Cela va de soi ! Là encore, c’était l’une des justifications du confinement, et ce fut l’une de ses réussites : éviter que les services d’urgence et de réanimation ne soient submergés, au point qu’il faille trier les malades, par exemple en fonction de leur âge, pour décider qui pourra être sauvé ou non, ce qu’aucun médecin, bien évidemment, n’a envie de faire ! Mais enfin, nous n’en mourrons pas moins, tôt ou tard !
– Mieux vaut tard !
– Vous apportez de l’eau à mon moulin : il est plus grave de mourir jeune !
– Quoiqu’il arrive qu’on meure parfois trop tard…
– Vous pensez à la maladie d’Alzheimer ? C’est une maladie que je connais bien. Mon père en est mort. Ma belle-mère vient d’en mourir, dans un EHPAD. À cause du confinement, elle n’avait pas vu ses enfants depuis des semaines. Il est vrai qu’elle ne les reconnaissait plus depuis des années… Or il y a chaque année, en France, 225’000 nouveaux cas de la maladie d’Alzheimer ! Taux de guérison : 0%. Taux de guérison de la Covid 19 : un peu plus de 99%. Comment n’aurais-je pas plus peur de celle-là que de celle-ci ?
– « Meurs à temps ! », conseillait Nietzsche.
– Encore faut-il en avoir les moyens ! Cela me fait une raison supplémentaire d’envier les Suisses, qui ont légalisé l’assistance au suicide !
– Je vous l’ai dit : nous aimons la liberté !
– Vous avez bien raison : mieux vaut aimer la liberté que tout attendre de l’État et pester perpétuellement contre lui, comme font si souvent les Français !
– Et mieux vaut aimer la vie qu’avoir peur de la mort !

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