Décider ensemble. À Saint-Basile-le-Grand au Québec, les électeurs ont finalement choisi de redorer la place centrale de leur village, rebaptisée Place des Générations.
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Décider ensemble. À Saint-Basile-le-Grand au Québec, les électeurs ont finalement choisi de redorer
la place centrale de leur village, rebaptisée Place des Générations. © Ville de Saint-Basile-le-Grand
N° 126 - Été 2018

Le budget participatif pour embellir la ville

Qui ne rêverait pas d’avoir des millions en poche pour enjoliver les coins moches de son quartier, reverdir sa rue ou créer un potager urbain ? De plus en plus de citoyens ont ce privilège depuis que leurs villes ont introduit le budget participatif, une nouvelle donne qui confie aux citadins le pouvoir de décider eux-mêmes comment seront dépensés les deniers publics.

Selon un recensement réalisé par l’organisme Engagement Global en 2014, entre 1 200 et 2 800 villes ou communes dans le monde s’étaient converties aux vertus du budget participatif (BP), né en 1989 à Porto Alegre, au Brésil. Et leur nombre ne cesse de croître depuis.

« L’idée du budget citoyen est née au Brésil avec l’arrivée du Parti travailliste. Ce parti voulait alors renverser les effets d’années de dictature. Cela a permis de donner aux citoyens le pouvoir de voter sur des projets totalisant jusqu’à 20 % du budget. Cela a changé non seulement le visage de la démocratie, mais aussi celui de plusieurs villes de l’Amérique latine », affirme Josh Lerner, directeur de l’organisation américaine The Participatory Budgeting Project (PBP) qui s’est donné pour mission de promouvoir cette nouvelle forme de participation citoyenne.

Que le meilleur gagne

Cet adepte convaincu et convaincant recense de mois en mois les avancées de ce nouveau moteur de la démocratie qui remet entre les mains des citoyens un pouvoir longtemps resté l’apanage des fonctionnaires de tout acabit. La recette est simple. Une portion précise du budget est consacrée par des élus ou des administrateurs d’institutions publiques aux propositions de citoyens. Des appels à projets sont lancés. La population passe ensuite au vote, souvent de façon électronique. Les projets les plus plébiscités reçoivent ensuite les fonds réservés au budget participatif.

Une courte histoire

À Porto Alegre, l’avènement des budgets participatifs a accéléré au fil des ans la métamorphose de favelas en quartiers enviables. Sous la pression des citoyens, le nombre de maisons reliées au réseau d’égouts est passé de 70 % à plus de 84 % et pas moins de 53 000 familles ont obtenu l’accès à de nouveaux logements. Grâce aux propositions citoyennes, les investissements, autrefois centralisés dans les quartiers plus riches, ont bondi dans les quartiers pauvres. Dans la foulée, ce mouvement a fait augmenter les recettes fiscales et reculer la corruption.

Depuis, l’idée du budget citoyen fait boule de neige dans plusieurs pays d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Afrique et d’Asie. En Pologne, au Pérou et en République dominicaine, les lois ont même rendu obligatoire le recours à ces budgets « démocratisés » pour les administrations publiques.

Selon l’organisme lesbudgetsparticipatifs.fr, c’est la capitale de la province chinoise du Sichuan, Chengdu, qui détiendrait la palme des budgets participatifs les plus imposants, pour une somme frisant 270 millions de dollars en 2014. Plus de six millions de citoyens chinois auraient ainsi pu participer à l’allocation de ces montants dans divers villages.

Semer les germes du budget citoyen. Appelés à proposer des projets et même à voter, les jeunes de plus de 16 ans de Saint-Basile-le-Grand ont donné leur priorité à l'amélioration des terrains de foot, au Parc de la Seigneurie.
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© Ville de Saint-Basile-le-Grand
Semer les germes du budget citoyen. Appelés à proposer des projets et même à voter, les jeunes de plus de 16 ans de Saint-Basile-le-Grand ont donné leur priorité à l'amélioration des terrains de foot, au Parc de la Seigneurie.

Paris sur la piste citoyenne

À l’heure où le vocable « citoyen » a le vent en poupe, la mairie de Paris a flairé la piste et, dès 2014, sa mairesse, Anne Hidalgo, a lancé un vaste projet de budget participatif, allant jusqu’à y consacrer 5 % du budget d’immobilisations de la capitale française.

Appelés à voter sur des propositions citoyennes, les Parisiens ont arrêté cette année-là leur choix sur dix-sept projets touchant tout Paris, allant de la création de fontaines d’eau (dont certaines pétillantes !) sur l’ensemble du territoire à l’aménagement de 105 passages sous les espaces bétonnés du périphérique parisien. Le tiers des projets proposés a été destiné à des quartiers populaires.

Depuis, Paris continue de mener le bal, et confie au bon jugement des citoyens le sort de millions d’euros destinés à redorer leurs quartiers, végétaliser murets et trottoirs, ou même à des projets d’accueil aux migrants ou de logements pour sans-abri.

En constante croissance, la somme dévolue par Paris à ces budgets a atteint en 2017 la rondelette somme de 92 millions d’euros, soit l’équivalent de 1 % du budget global de la Ville Lumière. À l’automne 2017, 168 000 Parisiens ont pris part à la consultation populaire pour voter en faveur de propositions diverses susceptibles d’améliorer la qualité de vie dans leurs quartiers. Depuis trois ans, 700 projets ont été ainsi financés grâce à ce nouvel outil de démocratie directe.

PLUS QUE JAMAIS, VOTER C’EST CLIQUER !

En 2014, la mairesse socialiste affirmait «vouloir donner les clés du budget aux citoyens». Depuis, la somme remise « entre les mains» des Parisiens n’a cessé de croître et a atteint 41 euros par habitant, soit la plus élevée de tous les pays européens ayant adopté cette nouvelle façon de faire.

Changer sa ville, un clic à la fois

Le reste de la France s’emballe aussi pour ce nouveau modèle, puisque le nombre de villes qui s’y sont converties est passé au cours des cinq dernières années d’une dizaine de communes à 46, selon le dernier recensement de lesbudgetsparticipatifs.fr. Suivant les villes, la voix des citoyens peut se faire entendre lors de réunions publiques, puis de votes en bonne et due forme. L’essor des plateformes numériques a contribué à doper le développement récent de ces nouveaux outils démocratiques, facilité par la présentation de propositions, d’échanges et de votes en ligne. Plus que jamais, voter c’est cliquer !

Le vent se lève en Suisse

En Suisse, des écoles de Genève ont pris la balle au bond et adhéré à cette nouvelle approche pour rehausser leur qualité de vie et accroître le sentiment d’appartenance au milieu scolaire. Car en sus des améliorations concrètes proposées, cette formule citoyenne vise notamment à stimuler les débats et à rapprocher élèves, parents et autres acteurs du milieu éducatif. C’est ainsi qu’à l’école Le Corbusier et à l’école de Trembley, les budgets participatifs ont fait naître des potagers collectifs, gérés depuis main dans la main par parents et élèves, professeurs et animateurs.

Plusieurs autres écoles dont Le Mail, Le Pré-Picot et Les Vollandes ont aussi choisi cette voie pour embellir leurs préaux respectifs de fresques et d’aires végétalisées réalisées par les enfants.

Un nouveau venu au Canada

Au Canada, de petits pas ont été faits dans cette direction à Toronto, où, depuis 2001, les résidents d’habitations à loyer modique décident chaque année eux-mêmes comment seront dépensés les 5 à 10 millions de dollars du budget global versé par l’administration municipale. Entre 2006 et 2008, un arrondissement du cœur de Montréal s’est aussi converti à ce processus citoyen, depuis transformé en une consultation en ligne.

Depuis 2014, dans la petite ville de banlieue de Saint-Basile, électeurs et enfants s’investissent chaque année dans une démarche collective visant à sélectionner les projets les plus porteurs pour la communauté. En trois ans, plus d’un demi-million de dollars a été investi à la faveur de votes populaires, notamment pour créer une place publique, construire un mur d’escalade et assurer la tenue gratuite à la belle saison de projections de films en plein air.

Les BP prennent du galon en Amérique

D’abord porteurs de petits programmes «marginaux », les BP sont de jour en jour plus imposants en Amérique et véhiculent d’importants projets. À New York, ils sont devenus réalité dans la moitié des districts de la ville dès 2015. Maintenant, chaque conseiller municipal dispose d’un budget d’un million de dollars, destiné aux propositions citoyennes qui remporteront la faveur des électeurs.

« Les premières expériences, en 2012, ne visaient pas de grosses infrastructures, mais surtout des améliorations physiques aux parcs, aux écoles, ou même à combler des nids-de-poule, explique Josh Lerner, directeur de PBP. Au fil des ans, cela a donné naissance à des projets plus ambitieux, qui ne sont pas habituellement dans les cartons des fonctionnaires. »

Des exemples ? L’un des projets ayant eu le plus d’impact est celui qui a permis de doter les toilettes des écoles publiques de… portes. À New York, où la gestion des écoles relève du gouvernement local, ce « détail » n’avait jamais été considéré comme une priorité par l’administration ! « Les parents ont eu leur mot à dire. Cela a eu le double effet de transformer les écoles de certains districts plus défavorisés, puis de mettre cette situation aberrante sous les projecteurs », souligne M. Lerner.

« Les citoyens d’un quartier ne sont-ils pas les mieux placés pour déterminer ce qui aura le plus d’impact sur leur qualité de vie quotidienne ? », relève le directeur de PBP.

Installation de panneaux solaires sur des logements sociaux, librairies mobiles, terrains de basket-ball en zones défavorisées, outils technologiques dans les écoles : plusieurs idées novatrices ont été mises en avant à New York grâce à ces budgets branchés sur le pouls de la communauté. Débattues sur la place publique, ces solutions citoyennes ont en outre l’avantage d’être à l’abri des divers lobbys qui sollicitent constamment élus et gestionnaires de fonds publics en catimini. Fini les passe-droits !

Un tremplin pour la démocratie

La popularité de ces « projets pleinement citoyens » donne parfois des ailes aux élus qui s’en servent comme tremplin pour appuyer les initiatives les plus prisées par la communauté. « Des études ont démontré que les maires ou les élus qui endossent les budgets participatifs sont 10 % plus populaires auprès de la population. Lors d’une élection, ça peut faire toute la différence », affirme Josh Lerner.

Sous le régime du président démocrate Barack Obama, le budget citoyen avait même été identifié comme une piste de choix pour rendre le budget américain plus digeste et transparent aux électeurs.

De citoyens à codécideurs

Reste que c’est à Porto Alegre, là où les budgets participatifs ont vu le jour, que le rôle des citoyens dans les destinées de leur ville demeure le plus important, puisque ces derniers continuent d’être codécideurs de 20 % du budget annuel global.

Pour Josh Lerner, les BP ont le mérite d’intéresser à la vie démocratique des citoyens souvent complètement désabusés de la politique, ainsi que certaines populations marginalisées.

Un brin subversif, le concept fait en sus sauter le modèle du « contribuable-voteur », en étendant le vote aux moins de 18 ans et aux immigrants non reçus. À Boston, des jeunes de 12 à 25 ans ont ainsi été invités par le cabinet du maire à choisir comment dépenser un million de dollars pour divers projets destinés à la jeunesse. Idem à Newcastle, au Royaume-Uni, où des écoliers ont pu décider du sort de projets totalisant 2,25 millions de livres. Une façon, en quelque sorte, de semer les germes de la participation citoyenne, dès le plus jeune âge.

« Ce modèle de décision permet à tous de poser des gestes concrets, pas juste aux contribuables, soutient M. Lerner. Cela intéresse à la vie politique des gens qui n’y participent pas d’ordinaire, tout en créant un fort sentiment d’appartenance dans la communauté. »

Qui aurait un jour pensé pouvoir dépenser des millions et dicter les dépenses de sa propre commune ? C’est maintenant chose possible dans plusieurs villes. Peut-être même la vôtre. Citoyens, au vote !

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