N° 125 - Printemps 2018

Dialogue sur l’athéisme

– Je sais que vous ne croyez pas en Dieu…
– Vous êtes bien informé !
– Mais vous définiriez-vous plutôt comme athée ou comme agnostique ?
– Comme athée, clairement.
– Pas moi ! Je trouve que l’agnosticisme est plus humble, plus lucide, plus vrai…
– Comment une ignorance pourrait-elle être vraie ?
– Parce qu’elle s’avoue comme telle ! Qui peut savoir ce qu’il en est de l’absolu, de l’éternel, de l’existence ou non d’un Dieu dont on ne sait rien, en tout cas rien d’avéré ni de vérifiable ? Les athées, comme les croyants, en disent plus qu’ils ne savent. C’est une espèce de mensonge ou d’illusion…
– Seulement s’ils prétendent savoir ce qu’il en est !
– S’ils ne le prétendaient pas, ils ne seraient pas athées ou croyants ; ils seraient agnostiques, comme moi !
– Qu’entendez-vous par « agnosticisme » ?
– La même chose que n’importe qui ! L’étymologie, en l’occurrence, est assez claire. Agnôstos, en grec, c’est l’inconnu ou l’inconnaissable. Être agnostique, c’est reconnaître que l’absolu nous est inaccessible, qu’on ne peut le connaître, ni donc savoir s’il existe ou non un ou plusieurs dieux…
– Vous avez une bien piètre opinion des croyants et des athées !
– Pourquoi ça ?
– Croyez-vous qu’ils soient assez sots pour prétendre connaître l’inconnaissable ?
– S’ils ne le connaissent pas, pourquoi se prononcent-ils sur ce qu’il est ou n’est pas ?
– Parce qu’à défaut d’un savoir, sur cette question, ils disposent d’un certain nombre de croyances ou de convictions ! Relisez Kant !
– « J’ai donc dû supprimer le savoir, pour laisser place à la foi… »
– Exactement ! C’est parce que nous ne savons pas si Dieu existe ou non que la question se pose d’y croire ou pas !
– Donc nous sommes tous agnostiques…
– Pas du tout ! Nous sommes tous ignorants, certes, et pour beaucoup d’entre nous conscients de l’être. Mais l’agnostique, ce n’est pas celui qui reconnaît ne pas savoir (beaucoup de croyants ou d’athées le reconnaissent également) ; c’est celui qui, reconnaissant ne pas savoir, décide de s’en tenir à cet aveu d’ignorance : il laisse la question ouverte, refuse de prendre position, bref coche la case « sans opinion » du grand sondage métaphysique portant sur l’existence de Dieu.
– N’est-ce pas l’attitude la plus raisonnable ? Dès lors que nous ne savons pas ce qu’il en est, pourquoi faudrait-il prendre position ?
– Nous le faisons bien en matière de politique ou de morale, qui ne relèvent pas non plus d’un savoir…
– Comment ça ? Il y a une science politique ! Il peut y avoir une science des mœurs…
– Mais qui ne vous diront jamais quelle est la bonne politique, ni la bonne morale.
– Là-dessus, vous avez raison : la science politique n’est ni de droite ni de gauche…
– Ni même du centre ! Et une éventuelle science des mœurs, à supposer qu’elle existe, ne vous permettra jamais de trancher quelque problème moral que ce soit, portant par exemple sur l’avortement ou l’euthanasie…
– Or cela ne nous empêche pas de prendre position sur ces questions…
– C’est même ce qui nous oblige à le faire !
– Soit ; mais c’est parce qu’il s’agit de problèmes concrets, que la loi doit résoudre. En matière de métaphysique, rien de tel !
– C’est pourquoi l’agnosticisme est une position légitime (ce que l’apolitisme ou l’immoralisme, à mes yeux, ne sont pas), mais parmi d’autres ! Athéisme ou religion le sont tout autant…
– Je reviens à ma question : pourquoi opter dans un sens ou dans l’autre, dès lors qu’on ne sait pas ?
– Je vous l’ai dit : parce qu’à défaut de savoir, on a des croyances, des opinions, des convictions parfois…
– Qui viennent d’où ?
– Pascal vous répondrait que la foi vient de la grâce, donc de Dieu. Et que tout le reste vient du monde, donc du péché…
– Et vous, que répondez-vous ?
– Qu’il n’y a pas de preuve que Dieu existe, ni qu’il n’existe pas, mais qu’il y a un certain nombre d’arguments, des deux côtés, dont il nous incombe de mesurer le poids respectif… Pour ce qui me concerne, les arguments allant dans le sens de l’inexistence de Dieu, ou des dieux, me paraissent sensiblement plus forts que ceux allant en sens contraire. Pourquoi devrais-je croire en l’existence d’un être dont je n’ai aucune expérience, que rien ne prouve, et dont la prétendue bonté, s’il est tout-puissant, ou la prétendue toute-puissance, s’il est bon, sont démenties chaque jour par des horreurs innombrables, dont beaucoup ne sont nullement de notre faute ?
– Les croyants vous répondront que…
– Je connais leurs réponses, comme ils connaissent les miennes ! Cela fait vingt-cinq siècles qu’on en discute. Il est douteux qu’on invente des arguments tout à fait inédits !
– Mais si les arguments étaient meilleurs d’un côté que de l’autre, ils finiraient par convaincre le plus grand nombre…
– C’est peut-être ce qui est en train de se passer, dans les pays les plus libres et les plus avancés : les croyants y sont de moins en moins nombreux.
– En Europe, peut-être, mais pas en Amérique du Nord !
– Détrompez-vous ! Les athées sont la communauté spirituelle qui s’est le plus développée, ces dernières années, au Canada comme aux États-Unis ! Ils restent très minoritaires, dans ces deux pays, mais leur nombre augmente sensiblement, de même d’ailleurs que celui des agnostiques. À l’inverse, la proportion de croyants, toutes religions confondues, ne cesse d’y baisser.
– Cela tient-il aux arguments, ou bien à l’évolution des mentalités, des sensibilités, des modes de vie ?
– Sans doute à tout cela à la fois, mais je vous accorde que les arguments, dans ce domaine, ne sont pas l’essentiel. On croit ou non, pour toutes sortes de raisons vagues, qui tiennent à l’éducation qu’on a reçue, à ce qu’on a vécu entre-temps, aux expériences qu’on a faites, aux rencontres, aux relations, aux influences… Puis on cherche les arguments qui pourraient justifier cette croyance ou cette incroyance.
– Vous êtes donc athée par hasard…
– Je suis né par hasard. Mais je décide tous les jours de continuer à vivre. Pareil pour mon athéisme : il doit quelque chose aux hasards de l’histoire et de ma biographie, mais je décide tous les jours que c’est bien ma position.
– Position fort étrange, puisqu’elle ne se définit que par une double négation !
– Que voulez-vous dire ?
– Qu’être athée, c’est ne pas croire en quelque chose qui est censé ne pas exister, donc ne pas croire (première négation) à un non-être (deuxième négation). Rien de bien positif là-dedans !
– Sauf qu’une double négation, en bonne logique, fait une affirmation ! Nier ce qui n’existe pas, c’est se donner les moyens de mieux affirmer tout le reste !
– Tout le reste, c’est-à-dire quoi ?
– Tout ! L’univers, la nature, ce monde-ci, avec l’humanité dedans, cette vie-ci, telle qu’elle est !
– Les croyants n’en contestent pas l’existence !
– Mais ils tendent à la dévaloriser, au profit prétendu d’un autre monde ou d’une autre vie !
– On pourrait dire aussi bien l’inverse : que, pour un croyant, ce monde et cette vie ont d’autant plus d’importance qu’ils s’ouvrent sur autre chose, de plus « réellement réel », comme dirait Platon, ou de meilleur…
– Soit. C’est où la sensibilité joue un plus grand rôle que l’argumentation. Au fond, si je suis athée, c’est peut-être parce que ce monde-ci et cette vie-ci me suffisent…
– Vous n’êtes pas difficile !
– Ou bien est-ce vous qui l’êtes trop ?
– Je ne suis pas croyant, je vous le rappelle. Mais on ne me fera jamais dire que ce monde et cette vie, tels qu’ils sont, suffisent à me combler !
– Je peux le comprendre ! Mais est-ce ce monde qui est insuffisant, ou nos désirs qui sont insatiables ?
– Les deux ! Raison de plus pour être insatisfait : un monde aussi imparfait, une humanité aussi insatiable !
– J’y verrais plutôt une raison d’être athée : comment un Dieu infiniment bon aurait-il pu vouloir cela ?
– Et moi, une raison d’être agnostique : comment se contenter de si peu ?
– Croyez donc en Dieu…
– Je voudrais bien !
– Qu’est-ce qui vous en empêche ?
– Cela même ! La croyance en Dieu correspond tellement bien à nos désirs les plus forts (ne pas mourir, retrouver les êtres chers que nous avons perdus, être aimé…) qu’il y a lieu de penser qu’elle en est issue…
– C’est ce que Freud appelle une illusion : une croyance dérivée des désirs humains… Vous apportez de l’eau à mon moulin !
– Pas tout à fait ! Car Freud notait aussi qu’une illusion n’est pas la même chose qu’une erreur, ni même nécessairement fausse. Que Dieu soit trop beau pour être vrai, comme j’ai tendance à le penser, cela ne prouve pas que l’athéisme, comme dit un de mes amis, soit trop laid pour être faux !

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