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Florence habille les hommes

Au début des années 50, la ville des Médicis prenait le rôle de capitale de la mode italienne. Avant de céder son titre, dès les années 60, à Milan et à Rome. Il lui reste aujourd’hui Pitti Uomo qui, deux fois par an depuis 1972, est devenu le rendez-vous in-contournable des élégances masculines.

Il s’appelle Giovanni Battista Giorgini. Il est malin et dirige habilement ses affaires d’exportation de produits de luxe italiens depuis cette Toscane qui l’a vu naître en 1898. Il a pris part à la Marche sur Rome de Mussolini en 1921 et même si le krach de 1929 l’a mis sur la paille, il a rebondi en ouvrant un magasin de meubles à Florence avec l’architecte et designer Gio Ponti. La guerre éclate. L’Italie se trouve du mauvais côté de l’Axe. Les Alliés, qui débarquent dans la Péninsule, cherchent un commerçant capable de gérer la boutique qui permettra aux soldats de se fournir, sur place, en produits et souvenirs de la région. Et prennent contact avec Giovanni Battista Giorgini qui, une fois l’Europe libérée, va profiter de ses bonnes relations américaines pour devenir l’exportateur des plus grands magasins de New York. Car Giovanni a un plan.

Le plus grand salon de mode masculine du monde attire les ragazzi très chics.
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(Alexander Fischer)
Le plus grand salon de mode masculine du monde attire les ragazzi très chics.

Depuis la fin des années 40, la mode se fait à Paris. Les plus grands créateurs sont français, comme Dior et Patou. Et même si Schiaparelli est italienne et Balenciaga espagnol, c’est dans la capitale que ces maisons doivent impérativement s’installer. Giorgini pressent le potentiel de la mode transalpine dont les marques Carosa, Simonetta, Schuberth ou encore Emilio Pucci sont parfaitement inconnues des magazines et de la clientèle internationale. Surtout, il estime que la mode sophistiquée et académique qui sort des ateliers parisiens ne correspond pas à une certaine clientèle à la recherche d’élégance plus facile à porter.

Après avoir essuyé un refus de la part du magasin Altman de monter un défilé de mode italienne à New York, il organise, chez lui, à Florence, dans sa villa Torrigiani, le First Italian High Fashion Show.

Dix-huit modèles créés par dix ateliers de couture italiens sont présentés à un parterre choisi, dont six acheteurs américains que Giorgini a invités tous frais payés. Pari gagné.

À Pitti Uomo, le défilé se déroule aussi dans les rues de Florence.
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(Daniel Hunter)
À Pitti Uomo, le défilé se déroule aussi dans les rues de Florence.

SOFT POWER

L’année suivante, le défilé se déplace dans un hôtel chic de la ville. Giovanni y lance Roberto Capucci, petit prodige de la mode de 18 ans que Dior considère alors comme « le meilleur créateur de mode italienne ». Mais le show historique, celui qui va définitivement imposer la cité toscane sur la carte de la couture, se déroule en 1952 dans la Casa Bianca du Palazzo Pitti. La presse relate l’événement le plus glamour de la Botte.

Les journalistes mode de Vogue et Harper’s Bazaar se font les échos de cette création italienne fraîche et originale. Dans leurs foulées, les acheteuses affluent à chacun des deux défilés qui sont désormais organisés en marge des présentations de Paris. De la même manière que Gio Ponti créa le Compasso d’Oro en 1954 pour promouvoir, partout dans le monde, le savoir-faire italien dans le domaine du design, Giorgini vise un objectif similaire en inaugurant cette année-là à Florence le Centro di Firenze per la moda italiana. Il va ainsi multiplier les expositions dans les grands centres urbains pour permettre à la mode italienne de rayonner des États-Unis à l’Asie.

L’effervescence de la Casa Bianca petit à petit s’essouffle.

Sala Bianca du Palazzo Pitti
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(DR)
Image du tout premier défilé de mode italienne dans la Sala Bianca du Palazzo Pitti en juillet 1952. À l’époque, il n’est consacré qu’au vestiaire féminin.

Les défilés au Palazzo Pitti vont se poursuivre jusqu’en 1982 avant de s’arrêter. Le marché de la mode italienne se sépare alors en deux. Les défilés haute couture vont désormais se dérouler à Rome, tandis que Milan remporte ceux du prêt-à-porter. Mais Florence ne capitule pas. Chaque année depuis 1972 se déroule ainsi Pitti Uomo, événement planétaire exclusivement consacré à la mode masculine organisé deux fois par an, en janvier et en juin.

Malgré son nom, la manifestation n’a pas lieu dans le plus riche palais des Médicis, mais au cœur de la Fortezza da Basso, bâtiment massif voulu par la famille florentine pour défendre la ville, mais aussi pour servir de refuge au gouvernement, sa construction, entre 1534 et 1537, coïncidant avec le retour, en 1531, des Médicis à Florence après en avoir été chassé cinq ans auparavant. C’est là, cernés par des remparts séculaires, que se retrouvent les acteurs de l’industrie de la mode masculine dont la seule part italienne du marché représente 11,4 milliards d’euros, en légère baisse par rapport à 2023.

Défilé de Marine Serre en 2024
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(p3_Studio)
En juin 2024, Marine Serre présentait sa première collection masculine. Pour la fête d’après défilé, la designer française avait choisi le décor d’un splendide palais florentin.

DÉFILÉ PERMANENT

Longtemps présentation spécialisée, connue des seuls amateurs de mode pointus, Pitti Uomo jouit depuis quelques années d’un succès phénoménal. Au point que les défilés ne se déroulent plus seulement dans le cadre feutré des architectures renaissantes, mais aussi dans les rues de la cité toscane. Il faut voir les hommes rivaliser de chic et assurer un show permanent tout autour de la forteresse en faisant le bonheur des influenceurs de tout poil et des chasseurs Instagram. Surtout, et contrairement aux défilés de Paris, de Milan et de New York strictement fermés et réservés à quelques invités, Pitti Uomo est davantage un salon professionnel qui fait vibrer la ville sur le modèle de la foire internationale du meuble qui transforme le centre de Milan en showroom XXL. Et qui s’étend désormais de la Stazione Leopolda, première gare de Florence reconvertie pour l’occasion en lieu de spectacle, au Palazzo Vecchio, au pied duquel se trouve une réplique du David de Michel-Ange.

Pour se faire remarquer à Pitti Uomo il faut faire preuve d’audace. Quitte à en faire un peu trop.
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(Astra Marina Cabras)
Pour se faire remarquer à Pitti Uomo il faut faire preuve d’audace. Quitte à en faire un peu trop.

TREMPLIN POUR LES TALENTS

L’édition de janvier 2025 recensait ainsi 20’000 visiteurs, dont 13’500 acheteurs, et 800 exposants venus du Japon, de France, d’Italie, de Grande-Bretagne et des États-Unis. Si les grandes marques sont au rendez-vous – Brunello Cucinelli, Stefano Ricci, Herno, Guess – la foire sert également de tremplin à de jeunes talents très connus dans leur pays, mais beaucoup moins par ici. C’est le cas de l’Américain Todd Snyder qui vend très bien aux États-Unis, de Magliano, label italien lancé à Florence en 2018, de l’italo-japonais Satoshi Kuwata, lauréat du LVMH Prize 2023 avec sa marque Setchu ou de S. S. Daley, designer britannique, lui aussi récipiendaire du prix Louis Vuitton, millésime 2022, qui a fait ses armes dans les studios d’Alexander McQueen et de Tom Ford. Chaque édition, on en est à la 108e, est également l’occasion de mettre en avant un designer invité. Après Fendi, Marine Serre et MM6 Maison Martin Margiela, le comité de l’événement a choisi le japonais Issey Miyake pour faire le beau à Pitti Uomo en juin 2025.

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