Voilà 3 ans que neonomia partage son modèle innovant lors du Festival Alternatiba à Genève. © Nirine Arnold
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Voilà 3 ans que neonomia partage son modèle innovant lors du Festival Alternatiba à Genève. © Nirine Arnold
N° 129 - Été 2019

Une coopérative lutte contre la précarité des free-lances

Être indépendant.e.s, c'est être libre ! Libre de choisir sa propre voie, son emploi du temps, de sélectionner ses partenaires... Mais l'absence de contrat à durée indéterminée et de fiches de paie peut rendre ce statut précaire. « Neonomia», une coopérative romande, propose de fédérer les free-lances, slasheur.e.s et autres indépendants.e.s pour leur permettre d'accéder aux mêmes avantages que les salariés.e.s tout en les extirpant de leur solitude.

« Allié.e.s pour entreprendre », la devise s’affiche en baseline sur ses flyers et brochures. La coopérative, sise à Genève, est une pionnière en Suisse romande. En ce début 2019, et après bientôt trois ans d’activité, elle fédère une vingtaine d’entrepreneur.e.s aux profils variés. « Neonomia » s’inscrit dans le prolongement de l’incubateur Essaim lancé en 2009 par la Chambre de l’économie sociale et solidaire (APRÈS-GE), raconte Yann Bernardinelli, président de la coopérative et slasheur. Pendant six ans, cet incubateur a permis de tester un modèle d’entrepreneuriat salarié : accompagner des porteurs de projets en leur permettant de tester leur activité en toute sécurité. Mais en 2015, le fonds d’aide de la Ville de Genève n’est pas renouvelé et l’Essaim doit stopper son activité. Une quinzaine de bénéficiaires choisit de poursuivre l’aventure. En reprenant les principes de l’Essaim et en s’inspirant des modèles précurseurs italiens et français, une structure se dessine au fil des rencontres. « Des ateliers basés sur l’intelligence collective ont permis de poser les premières pierres, puis nos échanges ont révélé notre envie d’inscrire le projet dans une démarche éthique et avec des valeurs de travail en lien avec les principes du développement durable et de l’économie sociale et solidaire, se souvient Yann. Ensuite, nous avons présenté nos activités, nos valeurs, nos attentes et besoins. Il y avait vraiment un besoin de donner du sens. »

Daniele-Enrico Fino, passé par l’Essaim, rêvait d’une structure qui lui permettrait de poursuivre son activité avec plus de souplesse. Retraité après une carrière à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID), il travaille désormais à 40 % avec ses clients. « Ce statut me permet d’être beaucoup plus flexible, avec un temps de travail réduit et le choix des mandats que je souhaite effectuer. Je tenais à ce statut d’indépendant, mais être au sein d’une équipe me permet d’échanger voire même de travailler à plusieurs », explique-t-il.

Une fois la structure montée, il fallait sécuriser la démarche entrepreneuriale. Le statut de free-lance peut très vite devenir précaire. Un accident et voilà l’indépendant dans l’incapacité d’assurer ses mandats et de bénéficier des soins adaptés. En se fédérant, les contrats d’assurance ont pu être négociés, avec des garanties comparables à celles des entreprises pour leurs salariés. Concrètement, les frais d’accident sont pris en charge et une assurance perte de gain – souvent trop onéreuse pour les indépendants – peut garantir les revenus en cas d’arrêt maladie ou accident. « Nous bénéficions aussi d’une protection juridique et d’une assurance responsabilité civile professionnelle. Un indépendant aurait bien du mal à s’offrir le tout, reconnaît Yann. Et puis, nous nous sommes également affiliés à un 2e pilier. »

Enfin, pour limiter les coûts des assurances et de fonctionnement, la mutualisation s’est imposée ! D’abord, celle du back- office, qui a permis d’embaucher un comptable et un responsable de l’administratif, puis celle des locaux, à deux pas des HUG. Les membres profitent ainsi d’espaces de coworking ou de réunions.

Une coopérative qui vise la gouvernance holacratique

Ce statut de coopérative permet à chaque individu de conserver son indépendance et ses responsabilités, tout en détenant une part sociale, donc une voix.
« Ce système de gouvernance participative implique que chacun soit à la fois porteur du projet et responsable de la coopérative. Pour le moment, nous suivons un modèle démocratique, mais nous tendons vers l’holacratie », précise le journaliste scientifique.

PLUS QUE DE SIMPLES SALARIÉS.

Daniele-Enrico Fino, Retraité après une carrière à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)
Régulièrement, les coopérateurs se retrouvent et échangent autour de l'économie solidaire.
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© Nirine Arnold
Régulièrement, les coopérateurs se retrouvent et échangent autour de l'économie solidaire.

Les décisions sont prises par l’ensemble et il arrive que les points de vue divergent. « Nous avons tous nos idées et nos caractères mais chacun peut s’exprimer, raconte Daniele-Enrico. La manière de résoudre ces petits conflits est très intéressante dans une coopérative à vocation économique et sociale, contrairement à une entreprise classique où tout est très hiérarchique. Ici, nous sommes plus que de simples salariés. »

Les valeurs éthiques en lien avec le développement durable sont aussi très marquées. « Nous délivrons une protection sociale à chacun bien sûr et nous faisons la promotion d’une économie basée sur la pérennité plutôt que sur le profit. » À ce titre, les fonds sont placés de façon éthique : pour le 2e pilier, elle s’appuie sur Nest, pionnier dans le domaine et dépose ces gains à la Banque alternative suisse (BAS). Et pour soutenir l’économie locale, les coopérateurs devraient bientôt accepter les lémans.

En Suisse, ce modèle reste unique. Il existe bien des coopérativesd’indépendants, mais sans le fameux filet de protection fourni par l’entrepreneuriat salarié. Il faut dire que les coopérateurs font face à un vide juridique dans le Code des obligations. En effet, le statut d’entrepreneur salarié n’y apparaît pas. « En Suisse, on est soit travailleur indépendant et il faut dès lors s’inscrire au registre du commerce, soit une société avec employeurs et employés, dont les fonctions sont régies par le Code des obligations, explique Yann. Là, nous avons fait en sorte que nos entrepreneurs salariés soient libres d’entreprendre, mais que ce soit également de vrais salariés – au sens du Code des obligations – au sein d’une société qui les engage. »

Ainsi, chaque entrepreneur bénéficie d’un contrat de travail avec un cahier des charges qui définit sa fonction : chacun est « engagé pour entreprendre », avec un taux de travail fixé. Un règlement strict définit comment chacun doit se comporter en tant qu’employé et la coopérative assume son rôle de subordination en tant qu’employeur. La seule nuance avec le Code des obligations, c’est que les salaires restent variables. « Grâce aux liquidités de la coopérative, nous parvenons néanmoins à lisser les salaires sur l’année pour que la plupart de nos coopérateurs aient un salaire fixe adapté à leurs revenus », précise Yann.

Mettre en synergie les compétences de chacun

Fin 2018, les profils des coopérateurs.trices étaient variés : un slasheur cumulant un poste de chercheur et de journaliste scientifique, plusieurs communicantes/RP/évènementiel, des traducteurs, un informaticien/technicien, une archiviste, des spécialistes en coopération internationale au développement ou encore des organisateurs d’évènements/tours à vélo et sortie nature… De quoi envisager des mandats communs et briser l’isolement pesant sur les épaules du néo-entrepreneur.

« J’avais entendu parler des coopératives d’activités et d’emploi (CAE) françaises par l’intermédiaire de mon compagnon qui en avait intégré une, en France. J’enviais sa facilité à obtenir les informations et papiers nécessaires à ses projets lorsque, de mon côté, c’était une grosse lutte pour obtenir ce dont j’avais besoin, raconte Amélie Charcosset, membre de neonomia depuis décembre 2017.

C’est donc tout naturellement que j’ai recherché une structure de ce type en arrivant en Suisse. Ne connaissant personne dans la région, c’était aussi pour moi l’occasion de rencontrer des gens, de me tisser un réseau et éventuellement de développer d’autres compétences en travaillant sur d’autres types de projets. Je suis animatrice d’ateliers d’écriture et enseignante de français comme langue étrangère. Le positionnement social et éthique, la force du collectif et l’invention d’un nouveau système de fonctionnement… tout cela offre un cadre très stimulant. En plus, cela fait des années que je m’intéresse à la facilitation et aux outils d’intelligence collective et neonomia est un beau terrain d’expérimentation pour ça ! Sans parler des avantages : ma compta est faite, mes cotisations payées… et je peux travailler sur des projets avec d’autres membres et avec des client.e.s que je n’aurais pas pu démarcher seule.»

Les compétences des uns et des autres ont été listées afin de mettre en lumière les synergies possibles et proposer ainsi aux client.e.s potentiel.le.s des solutions adaptées auprès d’acteurs aussi variés que les territoires et les collectivités, le secteur de la santé et de la recherche, les entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Revers de la médaille, le coût

Le travailleur autonome doit verser entre 7 % et 10 % de son revenu s’il veut accéder aux protections sociales et profiter des services mutualisés (locaux, back-office, communication). Puis viennent se greffer les charges sociales et patronales. « Il revient à chaque entrepreneur de payer ses charges patronales qui représentent environ 15 % du revenu déterminant et viennent se cumuler avec les 12 % de charges sociales… Globalement, on aboutit donc à une retenue de près de 30 % sur le chiffre d’affaires. Cela peut faire peur mais il ne faut pas oublier que la majorité du montant n’est pas perdue, car c’est un investissement pour le coopérateur : assurance, retraite et droits à des prestations sociales. Et puis, la part de prélèvement allant à la coopérative permet de donner accès aux services mutualisés à tous ! » conclut le président de neonomia.

Et pourquoi pas proposer un salaire inconditionnel à chacun ? « Mais il faudrait que l’on soit vraiment plus nombreux ! Cela nous permettrait d’être totalement en règle avec le Code des obligations c’est-à-dire qu’on assure le salaire par solidarité, avec peut-être un fonds commun de soutien, ce serait une magnifique interprétation de la solidarité. »

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