Les plantes sauvages, fraîches ou séchées. Un plaisir gratuit et à portée de main presque toute l’année !
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Les plantes sauvages, fraîches ou séchées. Un plaisir gratuit et à portée de main presque toute l’année ! © istockphoto/LiliGraphie
N° 120 - Été 2016

Retour en grâce des « mauvaises herbes »

Dent-de-lion, ortie, chénopode, oxalis, aspérule odorante… ces plantes sauvages ont nourri des générations d’humains avant d’être délaissées voire oubliées. Offertes par la nature, elles recèlent pourtant des saveurs gustatives subtiles, mais aussi des qualités nutritionnelles et médicinales indéniables.

Pour le plaisir des yeux et des papilles. Les fleurs agrémentent les salades ou parfument les confitures, sirops et autres eaux florales.
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© Nathalie Pasquier
Pour le plaisir des yeux et des papilles. Les fleurs agrémentent les salades ou parfument les confitures, sirops et autres eaux florales.
Un stage de « gastronomie sauvage ». Il permet de connaître une vingtaine de plantes comestibles avant de les accommoder de multiples façons.
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© Nathalie Pasquier
Un stage de « gastronomie sauvage ». Il permet de connaître une vingtaine de plantes comestibles avant de les accommoder de multiples façons.

Pendant des millénaires, l’homme s’est essentiellement nourri de plantes sauvages. Chez nos ancêtres chasseurs-cueilleurs, elles constituaient jusqu’à 70 % du bol alimentaire, avant de nourrir des siècles durant les populations des sociétés agricoles. C’est seulement à partir du Moyen Age que leur statut a commencé à changer. Comme l’explique Pierre Lieutaghi dans son ouvrage La Plante compagne, « au Moyen Age, une classification symbolique des aliments sous-tend et valide la hiérarchie sociale ». Les nobles comme le clergé pourront savourer des mets fins, dont chapons, volailles et autres gibiers à plume, tandis que les vilains devront se contenter d’aliments inférieurs. Les racines, panais et carottes sauvages, noix de terre et autres bulbes et tubercules se retrouvent à la base de leur alimentation aux côtés des céréales sauvages, des baies et des herbes. En se « civilisant », l’homme va au fil des siècles chercher à accéder aux nourritures raffinées tout en rejetant celles qui avaient constitué jusqu’alors son garde-manger. Les plantes sauvages deviennent alors des « mauvaises herbes », juste bonnes à enrichir le fourrage des cheptels. En toute discrétion, elles continuent cependant d’être utilisées, pour leurs vertus médicinales et nutritionnelles, mais leurs adeptes sont parfois considérés comme des sorciers d’un autre temps.

Eveil des sens et invitation à revisiter des émotions premières

Il faudra attendre les années 80-90 qu’un couple très médiatique annonce leur grand retour. Aidé par l’ethnobotaniste François Couplan, Marc Veyrat réadapte les recettes qu’il dégustait en alpage avec sa grand-mère et confère une dimension gourmande à la reine-des-prés, à la berce, au chénopode Bon-Henri et autres pissenlits poussant autour de son chalet. Dans son Auberge de l’Eridan, il opère des « mariages d’amour » tel celui entre la benoîte urbaine à la légère astringence et au parfum de clou de girofle avec de la féra du lac d’Annecy, et obtient même la note suprême : 20/20 au GaultMillau. Cette distinction sera le coup d’envoi de la réhabilitation !

Depuis, bon nombre de maîtres-queux se sont mis à dompter les sauvageonnes, de René Redzepi, chef du fameux Noma à Copenhague, à Emmanuel Renaut, chef au Flocons de Sel à Megève, ou au très prometteur Alexandre Gauthier, chef de La Grenouillère à Montreuil-sur-Mer ! En Suisse, Carlo Crisci, chef de l’Auberge du Cerf à Cossonay s’est lui aussi assuré les services de l’ethnobotaniste chapeauté pour façonner sa carte. Un ouvrage, Vertiges des saveurs, témoigne de leur travail commun. A Genève, le jeune chef Nicolas Darnauguilhem, à la barre du Neptüne depuis le début du printemps 2015, célèbre les « nourritures alpestres ». La flore locale ne fait pas de la figuration, mais se montre en pleine lumière, déclinée de la racine jusqu’au sommet de la tige. Sur le petit écran, des émissions de coaching culinaire évoquent « ail des ours », « ortie » ou « bourgeon de sapin ». Il n’en fallait guère plus pour redonner aux gastronomes l’envie d’aller glaner dans les bois et dans les prés. Mais avant de remplir les paniers, il est indispensable de savoir parfaitement identifier les plantes avant de les ramasser et de les cuisiner si l’on ne veut pas finir dans la rubrique des faits divers du journal local. Trop de méprises ont encore lieu entre les feuilles d’ail des ours et celles du muguet et du colchique, toutes deux mortelles. Tout comme elles, près de 10 % de notre flore sauvage s’avère toxique. Une erreur de jugement peut donc avoir des conséquences graves, voire fatales.

Du panier à l’assiette

Pour débuter dans l’apprentissage, chacun peut s’armer d’ouvrages pédagogiques tel Le guide des plantes sauvages comestibles et toxiques avant de s’offrir les bibles du botaniste. Le Flora Vegetativa guide les glaneurs des premiers jours du printemps, ceux qui ramassent alors que les plantes sont encore à l’état végétatif. Mais dès la floraison, c’est le Flora Helvetica qui prend la relève, répertoriant la flore suisse, soit près de 3 000 plantes à fleurs et autres fougères. Pour aiguiser son sens de l’observation et ne pas confondre gentiane et vératre, on peut encore s’offrir une journée « découverte » aux côtés d’un professionnel ou encore un stage de « gastronomie sauvage » permettant durant une semaine de poursuivre la connaissance des plantes et l’art de les accommoder, tout en s’oxygénant au grand air. Initiées par l’ethnobotaniste François Couplan*, ces activités se sont multipliées ces dernières années à travers toute la Suisse et permettent de réapprendre à vivre au plus près de la nature à travers la redécouverte des plantes typiques d’un lieu, qu’il s’agisse des montagnes du Jura, du Valais, de la Gruyère ou du val d’Anniviers… Après la cueillette, mieux vaut ne pas trop tarder avant de passer au fourneau si l’on veut conserver les saveurs et les valeurs nutritives des plantes. « Les plantes sauvages ont un goût plus prononcé que les légumes et les plantes cultivés. Leur valeur nutritive est aussi supérieure, c’est pourquoi le bon sens veut que nous les consommions en petite quantité », explique Amandine Geers dans Je cuisine les plantes sauvages (Editions Terre vivante) sorti en mai 2015. Après des recommandations sur la cueillette, le tri, la conservation, elle livre quelques recettes simples et gourmandes. A Cerniat (FR), avec « Saveursauvages », Judith Baumann et sa complice et cueilleuse Françoise Rayroud invitent les curieux à une journée de cueillette et de cuisine. Les conseils avisés de l’ex-chef de l’institution gruérienne La Pinte des Mossettes sont précieux pour domestiquer l’amertume ou l’astringence de certaines herbes ou capturer leur parfum. Achillée, pimprenelle, bistorte, cardamine des prés, dent-de-lion, ortie glanées le matin même agrémenteront une tartelette à la ricotta. Le filet de volaille, farci d’une julienne de poire et zeste de citron, recevra quelques râpées de racine de polypode, succédané de la racine de réglisse, à la saveur âcre sucrée. Et pour finir en beauté, les tiges d’aspérule odorante infusées dans la compote de rhubarbe lui insuffleront des notes délicates de foin et d’amande. Un menu tout en finesse, bien loin des assiettes de nos ancêtres !

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