Des espaces de coworking pour « changer le monde ». Impact Hub Westminster fait partie d’un réseau international d’espaces de travail collaboratifs. Cet immense open space a été aménagé de manière à encourager les interactions.
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Des espaces de coworking pour « changer le monde ». Impact Hub Westminster fait partie d’un réseau international d’espaces de travail collaboratifs. Cet immense open space a été aménagé de manière à encourager les interactions. © John Reynolds
N° 122 - Printemps 2017

Partage bureau, plus si affinités

Un demi-million de personnes à travers le monde travaillent dans des espaces de coworking. Ce phénomène, né au début du millénaire, n’a cessé de s’amplifier. Le coworking implique le partage d’un espace de travail. La plupart du temps, il requiert également l’adhésion aux principes de l’économie de partage. La capitale britannique est aux avant-postes de cette nouvelle façon de travailler et de vivre.

Londres, Kapil Sampanthan est le seul représentant d’une agence galloise spécialisée dans la publicité sur supports mobiles. Les autres salariés d’AdSpruce se trouvent à plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres de là en Asie du Sud-Est. Mais ce cadre de 28 ans ne se sent pas isolé. Debout dans la cour de Campus London, au cœur du quartier branché de Shoreditch, Kapil a l’air détendu et satisfait d’un homme en harmonie avec son environnement. C’est l’heure du déjeuner. Ce commercial a commandé un hamburger et, en ce vendredi, il se réjouit à l’idée de partager quelques bières avec ses collègues de bureau pour marquer la fin de la semaine.

Cela fait quatre mois que Kapil a pris ses quartiers au premier étage du hub londonien de Google ouvert en 2012. Les lieux sont idéalement situés – Shoreditch est l’épicentre de la TechCity londonienne – et l’atmosphère informelle qui règne à Campus London convient parfaitement à ce passionné de technologies mobiles. « Il y a toujours des gens prêts à discuter de sujets qui m’intéressent. Dans mon secteur d’activité, c’est de cette façon que l’on trouve des clients et des collaborateurs », estime Kapil, les mains dans les poches et l’air résolument confiant.

LE COWORKING MÈNE SOUVENT À LA COCRÉATION.

Le coworking space situé dans les locaux de Campus London permet surtout à Kapil de louer un bureau à un prix très abordable. Pour seulement 425 livres par an, cet employé de start-up a le droit de passer vingt heures par semaine dans les locaux gérés par TechHub et de côtoyer d’autres acteurs du secteur florissant du numérique. Si les affaires d’AdSpruce se portent bien et que l’équipe s’agrandit, Kapil Sampanthan sait qu’il pourra changer de formule d’abonnement sans difficulté. S’il préfère changer d’espace de coworking, cela ne lui posera aucun problème non plus. Pour trouver le cadre de travail idéal, cet employé de PME n’a que l’embarras du choix.

Londres, capitale mondiale du coworking

Depuis 2009, la capitale britannique est devenue « the place to be » du coworking. Selon un rapport officiel publié en septembre 2014, Londres comptait 132 espaces de travail collaboratifs1. En mars dernier, l’Institute for Public Policy Research a recensé, quant à lui, 100 bureaux partagés, studios d’artistes et ateliers en tout genre dans le seul borough d’Hackney dans l’est de Londres2.

De toute évidence, la métropole londonienne, où l’immobilier est parmi le plus cher au monde, se trouve à la pointe d’un phénomène apparu à la fin des années 90 à Berlin et à New York. Le concept a été popularisé en 2005. À San Francisco, Brad Neuberg, un programmateur en informatique, a l’idée de louer des bureaux à d’autres travailleurs indépendants. La même année, dans le quartier d’Islington, à Londres, un espace collaboratif baptisé Impact Hub voit le jour dans un ancien hangar aménagé avec peu de moyens.

Impact Hub : un réseau mondial pour changer le monde

Onze ans plus tard, le hub d’Islington existe toujours. Il a même donné naissance à l’un des plus importants réseaux d’espaces de coworking au monde. Depuis la capitale autrichienne où est installée son équipe restreinte, Impact Hub fédère plus de 80 lieux de travail collaboratifs et incubateurs d’entreprises répartis sur cinq continents. Ces hubs, dont l’accès est payant, forment une communauté en expansion permanente. Au cours des douze dernières années, cinq nouveaux hubs ont été inaugurés en Afrique et une vingtaine de projets sont sur le point d’aboutir dans différentes régions du globe.
Chaque Impact hub fonctionne de manière indépendante, mais tous adhèrent aux mêmes valeurs. L’ambition de ce réseau mondial est de créer « un monde meilleur » en encourageant l’émergence d’entreprises à caractère social et d’autres initiatives à dimension environnementale. Pour cela, chacun des hubs emploie une équipe d’hôtes. Leur mission consiste à organiser des ateliers de formation, des discussions thématiques et des événements informels susceptibles de faire émerger des projets collaboratifs. Les 15 000 membres d’Impact Hub à travers le monde peuvent également entrer en relation via une plateforme en ligne.

Sophie André, une jeune Française installée à Londres, fréquente régulièrement Impact Hub Westminster. Créé en 2011, l’espace de coworking est installé dans un open space de 1 185 m² à cinq minutes de Trafalgar Square.

Il a été aménagé pour faciliter les échanges entre ses quelque 500 abonnés. Les tables, par exemple, ont été conçues par l’un des architectes à l’origine de la création de ce hub. Leurs angles arrondis ont pour but d’encourager les échanges impromptus entre coworkers. Les événements informels organisés chaque semaine – pause thé et petits gâteaux le mardi à 16h, apéritif le vendredi à 17h – ont aussi pour vocation de créer du lien entre les travailleurs indépendants et les entrepreneurs qui utilisent ce coworking space.

LES NON-SALARIÉS CONSTITUENT 18 % DE LA MAIN-D’ŒUVRE DE LA CAPITALE.

Il a fallu du temps à Sophie, 25 ans, avant de nouer des relations avec d’autres membres de Impact Hub Westminster. Mais cette jeune entrepreneuse reconnaît spontanément que l’accès à l’espace de coworking a eu un effet très motivant sur elle. « C’est un cadre très porteur », s’enthousiasme Sophie. Au début de l’année, cette diplômée d’une école de commerce a remporté un concours organisé par la mairie de Westminster pour encourager la création d’entreprises sociales. « Comme récompense, j’ai obtenu le droit d’utiliser gratuitement Impact Hub Westminster cent heures par mois entre mars et juin. Le hub m’a permis de me poser et de lancer mon activité », explique Sophie, désormais à la tête d’Elysia, un service de traiteur engagé dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Des espaces vitaux pour travailleurs indépendants et PME

Pour Mathias Schumann, 42 ans, la fréquentation d’un espace de coworking a également eu un effet catalyseur. Ce Suisse travaillait à son compte en tant qu’expert en marketing lorsqu’il s’est inscrit dans un espace de travail partagé à Zurich il y a quelques années. Aujourd’hui, il est à la tête d’une agence de publicité qui emploie dix personnes. « Je n’aurais pas créé ma propre entreprise si je n’avais pas fait la connaissance d’autres spécialistes du marketing via l’espace de coworking », analyse le cofondateur de Rocket. « Le coworking mène souvent à la cocréation », ajoute-t-il. « De manière générale, notre époque est plus collaborative », observe Mathias Schuermann, auteur d’un livre sur le coworking paru en 20143.

Ce rapprochement entre travailleurs indépendants se fait de gré et de force. Au Royaume-Uni, la crise de 2008 a entraîné une explosion du nombre de self-employed. À l’échelle du pays, plus de 4,6 millions de personnes sont à leur compte, soit 16 % de la population active. À Londres, cette tendance est encore plus marquée : les non-salariés constituent 18 % de la main-d’œuvre de la capitale.
Ces architectes, designers, spécialistes en communication etc. travaillent souvent de chez eux, parfois dans des cafés. Depuis 2009, ils sont aussi de plus en plus nombreux à payer quelques centaines de livres par mois pour avoir accès à de vrais bureaux et à la vie sociale dont leur statut les prive souvent. Avec qui discuter de la dernière série télé à la mode lorsque vous vous accordez une pause si vous n’avez pas de collègues et encore moins de machine à café pour susciter ces rencontres spontanées ?

Des bureaux qui donnent de la crédibilité

Outre les travailleurs indépendants, les PME et les organisations caritatives sont de plus en plus nombreuses à louer un ou des bureaux au sein d’un coworking space. « La location de bureaux est vraiment hors de prix à Londres, constate Jonathan Cook, qui vend ses services de consultant à des ONG. Et puis, de nos jours, la plupart des équipes n’ont besoin de se rencontrer qu’une fois par semaine pour faire le point sur leurs activités. Le reste du temps, chacun travaille de chez soi sur son ordinateur. »

En plus d’être flexibles, ces espaces de travail collaboratifs présentent l’avantage d’être bien situés, ajoute le consultant d’Insightful. Au lieu de devoir s’exiler en grande banlieue dans des quartiers peu attractifs, des petites organisations peuvent disposer de bureaux modernes dans le centre de Londres. « Pouvoir accueillir des clients potentiels dans des locaux agréables et bien situés me donne beaucoup de crédibilité », admet Sophie André, créatrice d’Elysia et membre d’Impact Hub Westminster.

La crise de 2008 et la récession qui a suivi ont aussi obligé les propriétaires de bureaux et d’espaces commerciaux à faire preuve d’inventivité afin de tirer profit de leurs investissements. Certaines entreprises louent désormais des bureaux dans leurs locaux à des travailleurs indépendants via des sites Internet calqués sur le modèle d’Airbnb. Le boom du coworking dans les grandes villes du monde entier s’est également traduit par l’arrivée sur le marché de grands groupes immobiliers tels que Regus.

LES FEMMES SONT DE PLUS EN PLUS NOMBREUSES À S’APPROPRIER CES LIEUX.

De nouveaux acteurs ont aussi fait leur apparition. WeWork, une start-up new-yorkaise, s’est muée en véritable géant du coworking. Lancée en 2010, WeWork possède 111 espaces de coworking à travers le monde dont sept dans le centre de Londres.

« Le phénomène du coworking est avant tout un phénomène urbain, mais il est en train de se développer dans des villes de taille moyenne ainsi qu’en milieu rural », constate Janet Merkel, maître de conférences à City University et spécialiste du sujet. La chercheuse observe également une diversification du profil des usagers des espaces de travail collaboratifs. « Lorsque les espaces de coworking sont apparus, ils étaient surtout utilisés par des hommes et par des jeunes », précise ce maître de conférences en sociologie. Or, les femmes sont de plus en plus nombreuses à s’approprier ces lieux où se mêlent travail et sociabilité. Il n’est plus rare non plus de voir des quinquagénaires tapoter sur leur portable au milieu d’un open space branché.

Le concept du coworking lui-même est peut-être sur le point de connaître une nouvelle mue. Dans le nord-ouest de Londres, un espace de coliving a ouvert au printemps dernier. The Collective propose de petites chambres tout équipées au sein d’un immeuble aménagé de A à Z pour une vie en collectivité. À l’automne, un espace de travail partagé ouvrira ses portes au premier étage de l’immeuble. Les locataires de The Collective pourront habiter et travailler dans un seul et même endroit, pour le meilleur et pour le pire.

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