Sudan est le dernier rhinocéros blanc du Nord mâle encore en vie. Le rhinocéros blanc du Nord est une espèce quasiment éteinte puisqu’il n’en existe plus que quatre dans le monde.
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Sudan est le dernier rhinocéros blanc du Nord mâle encore en vie. Le rhinocéros blanc du Nord est une espèce quasiment éteinte puisqu’il n’en existe plus que quatre dans le monde. © Mélinda Fantou
N° 123 - Été 2017

Rhinocéros blancs, l’alerte est lancée

Face à la chute du tourisme, Ol Pejeta, un parc naturel au nord du Kenya, se veut un « modèle d’intégration unique » de l’homme avec la nature. Seule solution pour combattre le braconnage, préserver les rhinocéros en Afrique de l’Est et la faune sauvage dans son ensemble.

La réserve d’Ol Pejeta espère que la technologie sera bientôt disponible pour faire reproduire les rhinocéros blancs du Nord. En attendant, Peter Esogon, un des cinq soigneurs attitrés, prend soin de Sudan, qui a déjà atteint l’âge honorable de 43 ans.
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La réserve d’Ol Pejeta espère que la technologie sera bientôt disponible pour faire reproduire les rhinocéros blancs du Nord. En attendant, Peter Esogon, un des cinq soigneurs attitrés, prend soin de Sudan, qui a déjà atteint l’âge honorable de 43 ans.

« Vous voyez ces vaches ? Elles vont sauver les derniers rhinocéros ! » Au volant de sa Jeep, Giles Prettejohn fait sa tournée quotidienne dans les grandes prairies sèches du Lakipia, une région au bord de la vallée du Rift, à 200 kilomètres de Nairobi, la capitale kényane. Chapeau de cow-boy, chemise couleur sable, Giles gère les 7 500 têtes de bétail de la réserve d’Ol Pejeta. Dans ce parc naturel de 360 km², il est plus commun de voir des antilopes, des lions, des éléphants ou des rhinocéros que des animaux de ferme. Mais c’est le pari d’Ol Pejeta : inspirer un nouveau schéma de conservation de la faune sauvage, grâce à l’élevage. Les vaches, d’une espèce indigène de la Corne de l’Afrique, ressembleraient presque à des zébus. Mais elles sont domestiquées, et, comme toutes les semaines, elles passent l’une après l’autre sous des jets de produit désinfectant. « J’appelle ça le ’lavage automatique’ ! s’amuse le gentleman-farmer. Le bétail domestique peut attraper des maladies transmises par les gnous et les buffles. » Ol Pejeta est devenu un « modèle d’intégration unique », comme le souligne avec fierté Giles Prettejohn. La cohabitation n’est pas toujours évidente, avec le nombre de prédateurs qui rôdent dans les buissons épineux. La nuit, des bergers montent la garde pour assurer qu’ils ne soient pas dévorés par les lions ou les guépards. D’habitude, les parcs en Afrique proscrivent toute présence « humaine », à l’exception bien sûr des touristes et de leurs appareils photo. « Mais avec un tourisme en chute libre au Kenya, et la chasse étant interdite, nous devons trouver d’autres sources de revenu pour faire vivre la réserve, explique le manager. L’élevage de bovins rapporte un million de dollars en chiffre d’affaires chaque année. Les bénéfices sont ensuite reversés dans des projets de conservation de la faune. »

Les femelles rhinocéros blancs du Nord ont des problèmes de fertilité qui ne permettent pas à l’espèce de se reproduire naturellement. David Limo (à gauche) et Peter Esogon (à droite) nourrissent Fatou et une autre femelle rhinocéros blanc du Sud qui lui tient compagnie.
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Les femelles rhinocéros blancs du Nord ont des problèmes de fertilité qui ne permettent pas à l’espèce de se reproduire naturellement. David Limo (à gauche) et Peter Esogon (à droite) nourrissent Fatou et une autre femelle rhinocéros blanc du Sud qui lui tient compagnie.

Depuis les dernières attaques terroristes – notamment celle du centre commercial du Westgate en 2013, qui ont fait 67 morts –, les touristes boudent le Kenya, autrefois fleuron des safaris-photos sur le continent africain. « Rien qu’à Ol Pejeta, nous enregistrons une baisse de 40% de fréquentation par rapport à l’année dernière, regrette le directeur de la réserve, Richard Vigne. Et déjà, 2014 était une très mauvaise année. Cela va prendre du temps avant que le monde réalise que le pays n’est pas dangereux. En attendant, il faut trouver d’autres sources de financement. L’élevage bovin est l’une d’elles. » Et de l’argent, il en faut pour sauver une vie sauvage extrêmement menacée. Au Kenya, le déclin de la faune est inquiétant : on y comptait 15 000 lions il y a quinze ans. Ils ne sont plus que 2 000. Alors que le continent a perdu 75% de sa population d’éléphants ces quarante dernières années, le Kenya aussi a vu son nombre de pachydermes décliner de 167 000 en 1979 à environ 30 000 aujourd’hui (selon Kenya Wildlife Service, l’organisme national de gestion de la faune).

Ol Pejeta est l’un des rares endroits en Afrique de l’Est où l’on trouve encore des rhinocéros en grand nombre. Ils sont environ 130 à vivre dans cette réserve privée. Un record, dans un pays où l’espèce est décimée par le braconnage depuis les années 1970 et où l’on ne compte plus qu’un millier d’individus. En Asie, leur corne est vendue à prix d’or pour leurs prétendues vertus médicinales. On estime qu’un kilo de corne vaut environ 60 000 dollars sur les marchés de Chine ou d’Asie du Sud-Est. L’espèce a quasiment disparu des grandes plaines du Masai Mara, ou du Serengeti, joyaux naturels du continent. En Afrique du Sud, où la majorité des rhinocéros blancs ou noirs survivent encore, ils ne sont plus que 20 000 et 1 215 bêtes ont été massacrées en 2014 seulement. « Nous avons installé 120 kilomètres de barrières électrifiées, des patrouilles armées, et on espère que la technologie des drones peut nous aider à surveiller la réserve, poursuit le directeur Richard Vigne. Cela nous coûte près de 1,5 million de dollars par an. C’est pour ça que nous sommes l’une des rares réserves du pays à avoir des rhinocéros. Cela coûte trop cher de les maintenir en vie ! » En Afrique du Sud, au Zimbabwe ou au Kenya, les parcs nationaux et les réserves privées qui abritent encore des rhinocéros sont devenus des terrains de guerre.

La chute du tourisme au Kenya a fortement menacé les sources de revenu des parcs naturels. À Ol Pejeta, les animaux sauvages disposent de 360 km² de territoire qu’ils partagent avec du bétail.
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La chute du tourisme au Kenya a fortement menacé les sources de revenu des parcs naturels. À Ol Pejeta, les animaux sauvages disposent de 360 km² de territoire qu’ils partagent avec du bétail.
À quelque 200 kilomètres de la capitale, Nairobi, buffles et zèbres se mélangent aux 130 rhinocéros présents sur la ferme. Cinq soigneurs s’occupent personnellement des trois rares rhinocéros blancs du Nord de la réserve.
À quelque 200 kilomètres de la capitale, Nairobi, buffles et zèbres se mélangent aux 130 rhinocéros présents sur la ferme. Cinq soigneurs s’occupent personnellement des trois rares rhinocéros blancs du Nord de la réserve. © Mélinda Fantou
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À quelque 200 kilomètres de la capitale, Nairobi, buffles et zèbres se mélangent aux 130 rhinocéros présents sur la ferme. Cinq soigneurs s’occupent personnellement des trois rares rhinocéros blancs du Nord de la réserve.
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À quelque 200 kilomètres de la capitale, Nairobi, buffles et zèbres se mélangent aux 130 rhinocéros présents sur la ferme. Cinq soigneurs s’occupent personnellement des trois rares rhinocéros blancs du Nord de la réserve.
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À 17 heures, tous les jours, la trentaine de rangers de la « Garde de Protection anti-braconnage » d’Ol Pejeta, se prépare à passer la nuit en brousse. Treillis vert et brun, lampe infrarouge, fusil à pompe et deux chargeurs remplis de munitions, l’équipement de la « garde de nuit » est un arsenal militaire. « J’ai été entraîné par l’armée britannique, prévient Paul Gathoga, officier supérieur. Les braconniers ne me font pas peur. Ici, on tire pour tuer, pas pour dissuader. » Même si les rangers ne veulent pas révéler le chiffre exact des victimes, ils avouent que ces deux dernières années, « on a dénombré deux intrusions fatales » dans la réserve. « Les armes des braconniers sont extrêmement perfectionnées, se justifie l’un d’eux. Ils n’hésiteront pas à nous abattre non plus. »

Ce soir, John et Christopher, deux gardes armés, patrouillent dans le grand enclos des « Rhinos blancs du Nord ». Si le reste des rhinocéros vit à travers la réserve, Sudan, Fatou et Najin sont des animaux trop précieux pour être laissés dans la nature. Ce sont les derniers survivants des rhinocéros blancs du Nord, une espèce quasiment éteinte, puisqu’ils en sont les derniers représentants (Nola, femelle rhinocéros blanc du Nord, en captivité dans le zoo de San Diego en Californie, est morte le dimanche 22 novembre, laissant les trois individus survivants de l’espèce dans la réserve d’Ol Pejeta au Kenya). D’ailleurs, leur corne est régulièrement coupée pour décourager les éventuels braconniers.

La réserve d’Ol Pejeta a fait le pari de faire côtoyer animaux sauvages et animaux de ferme. Giles Prettejohn est le manager de la ferme et s’occupe de plus de 7 500 têtes de bétail de la réserve.
La réserve d’Ol Pejeta a fait le pari de faire côtoyer animaux sauvages et animaux de ferme. Giles Prettejohn est le manager de la ferme et s’occupe de plus de 7 500 têtes de bétail de la réserve. © Mélinda Fantou
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La réserve d’Ol Pejeta a fait le pari de faire côtoyer animaux sauvages et animaux de ferme. Giles Prettejohn est le manager de la ferme et s’occupe de plus de 7 500 têtes de bétail de la réserve.
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La réserve d’Ol Pejeta a fait le pari de faire côtoyer animaux sauvages et animaux de ferme. Giles Prettejohn est le manager de la ferme et s’occupe de plus de 7 500 têtes de bétail de la réserve.
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« Le rhinocéros blanc du Nord est une espèce indigène de l’Afrique centrale, explique Samuel Mutisya, manager adjoint du parc et responsable de la sécurité. On en trouvait en République centrafricaine, au nord du Congo, au Tchad ou au Soudan… dans des pays qui ont été ravagés par la guerre, et où il n’y avait aucun état de droit. Le braconnage a fait des ravages dès les années 70, et l’espèce a totalement disparu à l’état naturel. » Sudan, le dernier mâle survivant, la « star » d’Ol Pejeta, vient de fêter ses 43 ans. « Ça équivaut à peu près à 70 ou 80 ans, en âge humain », estime James Mwenda, son ranger et soigneur personnel. Vieux et affaibli, le dernier mâle rhinocéros blanc du Nord semble porter toute la fatalité de son espèce sur ses lourdes pattes. « Il a été capturé au Congo, lorsqu’il avait 2 ans, pour être vendu à un zoo en République tchèque, poursuit Samuel. En 2009, quand l’espèce était quasiment décimée, on a pensé que le renvoyer en Afrique, dans son environnement naturel, l’aiderait à retrouver ses instincts et l’inciterait à la reproduction. » Les premiers signes étaient encourageants. Le vieux Sudan est toujours habitué à la présence humaine de ses rangers, mais il a commencé à développer des comportements de la vie en brousse. Il se roulait dans la poussière et dans la boue pour chasser les tiques, et a même essayé de se reproduire avec les deux femelles Fatou et Najin. « Nous étions très enthousiastes, se souvient Samuel Mutisya. Mais on s’est rendu compte que les femelles ne pouvaient pas procréer… »

En raison d’un braconnage intense, les rhinocéros sont une espèce en danger d’extinction dans toute l’Afrique. Le soigneur de Sudan, Peter Esogon, espère que les prochaines générations pourront encore voir des rhinocéros dans leur habitat naturel.
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En raison d’un braconnage intense, les rhinocéros sont une espèce en danger d’extinction dans toute l’Afrique. Le soigneur de Sudan, Peter Esogon, espère que les prochaines générations pourront encore voir des rhinocéros dans leur habitat naturel.

Pour sauver cette espèce vieille de plusieurs millions d’an-nées, il faudrait donc inséminer artificiellement la semence spermatique de Sudan et les ovules de Fatou dans l’utérus d’une autre femelle rhinocéros blanc du Sud : une espèce menacée également mais dont les représentants sont plus nombreux que leurs cousins du Nord. Les recherches scientifiques avancent, mais la technologie n’est toujours pas au point. « On travaille avec des zoos en Afrique du Sud, avec des fondations, on a récolté des fonds, mais le coût de l’opération reste encore trop élevé », regrette Richard Vigne. La « GPA de rhinocéros » coûterait entre 500 000 et un million de dollars. « Et même si l’on parvenait à faire cette insémination, on ne peut pas être sûr à 100% que la femelle porteuse puisse arriver à terme… », poursuit le directeur de la réserve. Dans tous les cas, même si un nouvel individu de l’espèce voit le jour, cela ne suffira pas à faire renaître l’espèce, déjà condamnée par l’Histoire. Les efforts, les coûts, valent-ils la peine ? « La vérité c’est que nous pouvons très bien vivre sans rhinocéros, poursuit Richard Vigne. Mais la disparition de cette espèce est un signal d’alerte que nous devons entendre. Nous sommes en train de vivre la sixième grande extinction animale de l’Histoire. Et celle-là est causée par l’Homme. Sudan, Fatou et Najin ne sont qu’un exemple de ce qu’il est en train de se produire à l’échelle de notre planète. » Au-delà de la préservation des rhinocéros, Ol Pejeta s’est lancé le défi de prouver que l’homme, l’élevage et la vie sauvage peuvent vivre ensemble. Les vaches de Giles, de l’autre côté de la montagne, en sont le symbole. « Il faut pouvoir intégrer les communautés, rendre les terres productives, créer de l’emploi, explique le fermier de la réserve. Personne ne va sauver des animaux pour les simples joies de leur conservation naturelle. » Un pari qu’il faut à tout prix réussir, sans quoi, les espèces endémiques de la savane africaine, ne rapporteront rien, et seront vouées à disparaître.

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