Se promener dans les bois. Une activité simple, aux multiples bénéfices.
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N° 126 - Été 2018

Déstresser sous la canopée

Qu’elle se nomme friluftsliv en Norvège, sanlimyok en Corée, shinrin yoku au Japon, ou tout simplement sylvothérapie chez nous, la balade en forêt est devenue une véritable thérapie.

J’aime beaucoup marcher dans la forêt », raconte l’astrophysicien Hubert Reeves. « Les Japonais appellent cela des « bains de forêt ». Vous partez seul dans les bois puis vous marchez, vous ne pensez à rien. Vous vous laissez pénétrer par les arbres qui vous parlent d’une certaine façon. Et il y a quelque chose qui se passe. Un contact s’établit entre vous et cette présence végétale. »

L’humaniste canadien n’est plus seul désormais à fouler l’humus et à en ressentir un bien-être certain. Deux ouvrages, devenus best-sellers, ont réactivé notre intérêt pour la forêt et ses arbres. Dans Les arbres entre visible et invisible, Ernst Zücher, ingénieur forestier suisse et enseignant à l’EPFZ, livre les résultats d’années de recherche passées à confronter les savoirs traditionnels aux lois de la physique. Il a ainsi pu observer des modifications du diamètre des arbres en fonction des marées, confirmer que la qualité du bois change en fonction des phases de la lune ; que le chêne, le hêtre et autre pin sylvestre sont tous reliés au cosmos. L’intuition des ancêtres celtes serait donc juste… il existe bien un lien entre le végétal et les étoiles. Autre succès de librairie, avec 300 000 exemplaires écoulés, Peter Wohlleben a mis l’accent sur l’intelligence des arbres, capables de s’entraider, de s’adapter et de communiquer entre eux par voie aérienne ou souterraine grâce à un gigantesque réseau de mycorhizes, comparable à l’internet. Et ce n’est pas tout… ces géants chlorophylliens ne se contentent pas d’enrichir notre oxygène vital, mais émettent des composés qui agiraient sur le bien-être humain. Il faut se rendre en Asie, pour découvrir les premières recherches scientifiques menées sur le sujet.

Shinrin-yoku, balade un peu perchée ?

Dès 1982, l’agence des forêts japonaises propose les premiers « shinrin-yoku », ou bains de forêt visant à améliorer la qualité de vie et le bien-être. Cette approche combine promenades sous la canopée, méditations et autres activités guidées destinées à immerger tous nos sens dans la nature. On pourrait voir là un beau concept marketing visant à envoyer les Japonais dans les forêts, jusqu’à ce qu’une poignée de scientifiques commence à étudier les effets physiologiques comme psychologiques de la nature, et plus particulièrement des forêts, sur notre santé et notre bien-être. Dès mars 1990, Yoshifumi Miyazaki et Motohashi, deux chercheurs à l’Université de Chiba, à côté de Tokyo, observent une réduction du niveau de stress après une balade de quarante minutes dans les bois, en mesurant la tension artérielle et le niveau de cortisol salivaire de leurs cobayes1.

Entre 2000 et 2015, grâce à des outils plus perfectionnés, les expériences corroborent les effets relaxants et déstressants des balades forestières : diminution de la fréquence cardiaque, de la tension artérielle, baisse de l’anxiété, de la fatigue et de l’état dépressif sont tour à tour prouvées scientifiquement, tout comme une amélioration de l’humeur, de l’attention et une plus grande stimulation de la créativité… Une aubaine face à l’augmentation galopante du nombre d’urbains touchés par le stress et au système nerveux perturbé.

En 2015, le professeur Qing Li découvre les effets positifs du shinrin-yoku sur le système immunitaire, en constatant une augmentation des lymphocytes NK, des cellules qui éliminent les cellules cancéreuses2. Et les répercussions ne s’arrêtent pas là. Selon le professeur nippon, ces résultats seraient en partie dus à la présence de phytoncides dans l’air, des molécules émises par les arbres qui leur permettent de se protéger contre les attaques de champignons et bactéries. Ces substances agiraient favorablement sur l’humeur, le cœur, les capacités cognitives et le système immunitaire entre autres. Enfin, les études démontrent que ces bienfaits perdurent pendant au moins une semaine, voire un mois dans certains cas.

Une médecine préventive

Grâce à toutes les données scientifiques récoltées, ce qui était au départ purement intuitif est devenu une vraie thérapie conduisant à l’émergence d’une nouvelle branche : la médecine forestière. L’Archipel s’est doté de 48 forêts thérapeutiques, d’une soixantaine de sentiers officiels et affiche un nombre croissant de médecins certifiés Médecine forestière. La Corée du Sud, via son Forest Service, accorde tout autant d’importance à ces plongées en sous-bois. Le gouvernement a bien saisi que cela réduisait les coûts médicaux. Aussi des sentiers thérapeutiques, pour petits et grands, ont vu le jour dans une quarantaine de forêts, proches de grandes villes. De nouvelles formations universitaires de « thérapies en forêt » vont diplômer près de 500 « gardiens de la santé » pour accompagner les 13 millions de Coréens qui visitent chaque année les forêts. Les États-Unis ne sont pas en reste ! Les travaux menés par Margaret Hansen et son équipe de l’Université de San Francisco ont dévoilé l’impact d’une promenade en nature sur les maladies cardiovasculaires, les problèmes respiratoires et allergies. Un shinrin-yoku à la sauce américaine a vu le jour sous l’influence d’Amos Clifford, directeur de l’Association des guides et programmes de la nature et de la thérapie forestière. « Le désir d’être dans la forêt pour y trouver du réconfort est profondément encodé dans la psyché humaine, dans notre ADN, explique-t-il dans son Livre des bains de forêt, sorti en mars dernier aux éditions Tredaniel. Car notre espèce a évolué dans les bois et la savane, entre les arbres et les prairies. Nous portons le souvenir de leur puissance, de leur beauté et de leur générosité. » La nature serait donc notre véritable maison. L’auteur a fait l’expérience de bains de forêt dans plusieurs grandes forêts à travers le monde et nous donne quelques clés indispensables pour tenter l’expérience.

La méthode :

  • Commencer par se déconnecter : laisser le portable à la maison ou le mettre en mode avion
  • Respirer amplement pour bien s’oxygéner et inhaler les précieux phytoncides.
  • Être présent à ce qui est autour de soi. On ne regarde pas de futurs stères de bois, mais des êtres vivants. Éveiller tous ses sens.
  • Poser l’attention sur ses ressentis corporels
  • Limiter ses efforts et se laisser guider par les invitations de la nature comme celle de toucher la mousse, de prendre une pierre dans ses mains, d’écouter sourdre une source, ou encore de se poser pour savourer son encas ou noter les idées créatives qui ont émergé au cours de sa marche contemplative.

Avec ses 1 267 millions d’hectares de forêt, soit 1/3 de la sur-face du pays, la Suisse offre de nombreux terrains d’expérimentation. Pas encore de pratiques de shinrin-yoku, mais des sylvothérapies voient le jour, comme à Cottens (FR) avec Françoise Morier. Depuis quelques années, la psychothérapeute propose des ateliers de libération en forêt. « C’est l’occasion de quitter un espace clos et de se mettre en marche au sens propre comme au figuré », reconnaît-elle. « L’atmosphère qui s’y trouve nous apporte quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs. Je suis à chaque fois émerveillée de constater comme la forêt agit. C’est un vrai partenaire thérapeutique. Elle est partie prenante du soin, en offrant exactement ce dont chacun a besoin au bon moment. On peut aller l’enlacer et ressentir son énergie, on peut se laisser consoler en prenant conscience de ses branches qui nous entourent, on peut y déposer nos peines ou lui demander d’être le gardien de quelques précieux secrets. » Ses patients apprécient ces moments à l’air libre où ils accèdent plus facilement à la détente, au lâcher prise. « La forêt permet à chacun de s’abandonner, car nous sommes si petits face à ces centenaires. Une vraie ouverture de conscience s’opère. » Ce travail réalisé en pleine conscience serait aussi d’une grande aide pour les personnes surmenées. « Dans nos sociétés hyperconnectées, nous n’avons jamais été aussi seuls, constate Françoise Morier. Les arbres nous aident à nous relier, car ils sont là chaque matin, au même endroit et nous apportent tellement. Ils sont vivants, ils bougent même si on a l’impression de les voir comme des monuments im-mobiles. Ils se transforment aussi au fil du temps. Je souhaite donc à tous de prendre conscience de cela, notamment pour pallier ce grand sentiment de solitude. » Et ce n’est pas Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement et auteur de Méditer dans la nature qui va la contredire. Le politicien n’oublie jamais d’aller saluer son peuplier et de méditer contre son tronc avant de démarrer sa journée.

Des cantons, à travers leur office de tourisme, proposent aussi des promenades autour des arbres. Ainsi en Valais, au-dessus de la station du Haut Nendaz, un sentier permet d’admirer des mélèzes millénaires, tandis que dans la région du Jura/Trois-Lacs, une brochure répertoriant une dizaine de balades ressourçantes a été conçue en collaboration avec la géobiologue Joëlle Chautems. On y trouve des conseils pour développer son ressenti, le type de bienfaits (la vitalité, l’esprit, les émotions ou l’ancrage) que le marcheur pourra percevoir et les points énergétiques les plus intéressants.

Étreintes sylvicoles

En juin, la géobiologue, auteure de plusieurs ouvrages dont le Guide des arbres extraordinaires de Suisse romande, 40 balades d’énergie, proposera un stage de sylvothérapie. L’occasion pour une quinzaine de participants de découvrir autrement la forêt et ses bienfaits. « On va commencer par affiner nos sens, car pour entendre ce que l’arbre veut nous dire, il va falloir se montrer très attentif. Bien sûr l’arbre ne va pas se mettre à nous parler, mais sa réponse va nous parvenir par d’autres biais, explique l’écrivaine. Cela peut passer par un ressenti dans le corps comme une contraction ou un apaisement, par l’entente d’une fréquence particulière ou par la vision d’images. Nous verrons aussi comment l’arbre dégage de l’énergie et ce que cela fait d’entrer dans ce champ-là. Beaucoup d’exercices seront consacrés à l’approche de l’arbre et comment utiliser ce contact pour que cela soit bénéfique pour lui comme pour nous. Car il existe une vraie réciprocité. On pourra enlacer un arbre et sentir ses effets sur le cœur », poursuit la géobiologue. On ressent un mieux-être, la sensation d’être libéré du stress, d’avoir un moment de respiration profonde et tout cela indique qu’il y a eu plein de guérisons dans le corps. Même des gens qui ont du mal avec leur ressenti s’aperçoivent quelques jours après qu’ils n’ont plus cette douleur chronique à l’épaule ou ce stress avant de reprendre le travail. » Mais le plus simple reste encore d’expérimenter par soi-même. Le film sur l’intelligence des arbres, où l’on retrouve Peter Wohlleben et le travail de scientifiques comme Suzanne Simard du British Columbia au Canada, devrait vous aider à poser un autre regard sur les arbres et la forêt.

ÉCOUTEZ LE CHANT DES OISEAUX ET REGARDEZ LA TROUÉE DANS LA CANOPÉE À TRAVERS LE CIEL.

Et pour démarrer, rien ne vaut les conseils du Professeur Miyazaki : « Sentez la terre et les feuilles sous vos pieds, le claquement des brindilles. Écoutez le chant des oiseaux et regardez la trouée dans la canopée à travers le ciel, en observant comment la lumière filtre tout autour. Inspirez, profondément. Sentez les arômes distincts de la forêt : mousse, sève, terre et bois… et intégrez tout cela en vous. »

Un peu de lecture pour aller plus loin

  • « Shinrin Yoku » Yoshifumi Miyazaki, Éditions Trédaniel
  • « Le Guide des bains de forêt », Amos Clifford, Éditions Trédaniel
  • « Sylvothérapie : le pouvoir bienfaisant des arbres », Jean-Marie Defossez, Éditions Jouvence
  • « Les Arbres, entre visible et invisible », Ernst Zücher, Éditions actes Sud
  • « La Vie secrète des arbres », Peter Wohlleben, Éditions Les Arènes
  • « De L’Énergie des arbres à l’homme », Patrice Bouchardon, Éditions Trédaniel
  • « Guide des arbres extraordinaires de Suisse romande », Joëlle Chautems, Éditions Favre

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