N° 138 - Été

État de siège

Tapissier-décorateur, un métier d’art artisanal pas banal, mais en voie de disparition. Dans son atelier lausannois, Vladimir Boson cultive un savoir-faire qui survit grâce au vintage et aux artistes, de Suisse et d’ailleurs, avec qui il collabore.

Vladimir Boson, tapissier-décorateur et amateur d’art
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Vladimir Boson, tapissier-décorateur et amateur d’art. À droite une œuvre de Thomas Liu Le Lann sur laquelle il est intervenu.

Timide et bien plus dans le faire que le dire, Vladimir Boson décrit son atelier lausannois comme un petit monde dans lequel lui et Claire Lavigne, sa collègue courtepointière, restaurent des sièges, confectionnent des rideaux et réalisent des œuvres d’ar t. Oui, l’art mandaté par des artistes de la scène romande, parfois aussi internationale, qui viennent les solliciter pour concrétiser des idées qu’ils mettent entre de bonnes et expertes mains. « Mon père était artiste, mais me déconseillait de prendre la même voie que lui, alors j’ai suivi un complément de formation pour approfondir mes connaissances théoriques et j’ai obtenu le diplôme en agencement et mobilier à l’école M. J. Dubois à Lausanne », explique ce natif de Fully, papa d’un petit garçon, et qui vit à Lausanne depuis qu’il a passé son certificat fédéral de capacité de tapissier-décorateur. Il travaille alors dans une entreprise d’Aigle. Une légère impression de tourner en rond et l’envie de passer plus de temps en Belgique, pays d’origine de sa mère, le décide à bouger. « J’aspirais à perfectionner les techniques de garnissage de sièges. J’ai choisi de partir à Liège, dans l’atelier de Denis Tissot. » Dès son retour en Suisse, il poursuit sa carrière chez Moyard à Morges pendant huit ans. « C’est là que je suis vraiment entré en contact direct avec les grands classiques du mobilier design. »

Les outils du tapissier.
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Les outils du tapissier. Le Lausannois travaille aussi avec Claire Lavigne, sa collègue courtepointière.

COSTUMES POUR PROUST

On se tourne et on regarde, les tissus sont parfaitement catégorisés dans cet espace restreint, mais suffisant pour accueillir des pointures comme l’artiste Denis Savary, qui vient de signer la scénographie d’un spectacle autour d’À la recherche du temps perdu de Proust, mise en scène par la cinéaste et artiste Véronique Aubouy et dont les costumes ont été créés à l’atelier pour la première marseillaise de la pièce. Denis Savary avec qui Vladimir Boson et Claire Lavigne remportaient en 2019 un prix dans la catégorie Métiers d’art & Design décerné par l’Association suisse des métiers d’art. Ou encore ces collaborations avec Sylvie Fleury et Thomas Liu Le Lann. « Je me laisse aller au gré des rencontres. Le milieu artistique n’est pas si grand. On finit par tous se connaître », poursuit Vladimir Boson, qui se définit en qualité de collaborateur et non pas d’exécutant par rapport à ces artistes qui font appel à ses talents. « La création contemporaine explore la problématique qui existe entre artisan et artiste. C’est là que je revendique que des professions comme la mienne soient valorisées. La question de cette relation fait de plus en plus l’objet de débats. Certains artisans aimeraient être cités, comme cela se fait dans le théâtre, la musique ou le cinéma. Je préfère garder une certaine discrétion. Rester dans l’ombre me convient très bien. »

Variété des tissus utilisés par Vladimir Boson
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Uni ou à motifs, classiques ou innovants : la variété des tissus utilisés par Vladimir Boson est sa marque de fabrique.

TISSUS BIZARRES

Lui a commencé son activité d’indépendant dans la cave d’un immeuble à Préverenges. Avant d’occuper l’actuel rez-de-chaussée de l’avenue Recordon. « Claire et moi avons repris cet espace qui disposait de vitrines, afin de mieux faire connaître notre domaine d’activité. Le bouche à oreilles a fait son œuvre, grâce notamment à la vague d’intérêt pour le mobilier vintage et le design scandinave. » Les boutiques de la région, comme Chic Cham et Pryma, font ainsi rapidement appel à leurs services. Elles sont bientôt suivies par une clientèle de particuliers qui affluent grâce au compte Instagram de l’atelier sur lequel Vladimir Boson poste régulièrement ses dernières créations. « J’aime bien quand les gens ont des envies précises. Aller à l’essentiel, c’est aussi mettre en lumière le savoir-faire. C’est plus simple d’avancer sur un fauteuil unique, par exemple, sachant que le recouvrir nécessite onze à douze heures de travail. Nous proposons une large gamme de textile, cela va des matières naturelles comme le coton, le lin, la laine à des revêtements plus techniques, plus « bizarres », comme le Tyvek, le vinyle ou le jersey. On travaille aussi bien les tissus unis ou à motifs, classiques ou innovants, provenant d’éditeurs renommés ou plus confidentiels. Ici, il y en a pour tous les goûts ! » continue le tapissier-décorateur en énumérant quelques-unes de ses dernières réalisations à Lausanne : le mythique café de Montelly, le bar Jaja, non loin de la Cité, pour lequel il a conçu les sièges et les tabourets, le Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds où il signe le réaménagement du hall d’entrée en collaboration avec l’architecte d’intérieur Juliette Roduit.

Vue de l’atelier de Vladimir Boson
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Vue de l’atelier avec, à droite, le cactus-portemanteau des designers Guido Drocco et Franco Mello.

« Ces dernières années, nous avons accumulé beaucoup de chutes de tissus que nous distribuons régulièrement aux étudiants de l’ECAL ou à des écoles de coutures, afin d’éviter le gaspillage. » Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. C’est dans cette optique de recyclage que Vladimir Boson et Claire Lavigne ont accepté de participer à l’émission de la RTS « Bon Débarras » qui questionne les habitudes de consommation et dénonce les excès de la société de masse. Le principe de l’émission, qui sera diffusée après l’été, est d’associer des artisans à une déchetterie de Suisse romande afin de donner une seconde vie à des objets destinés à la casse. « Il faut donner envie aux jeunes de s’intéresser à ce métier de tapissier qui disparaît. Pour cela, il faudrait revoir entièrement l’ensemble de la formation, qui n’est plus en adéquation avec les besoins et les attentes du monde d’aujourd’hui », conclut Vladimir Boson, tout en s’évadant dans un monde où de fil en aiguille, il tisse un décor de vie.

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