N° 119 - Printemps 2016

Dialogue sur le terrorisme

– Ces attentats, à Paris, quelle horreur !
– Oui : 130 morts, des centaines de blessés… Massacre d’autant plus effroyable qu’il toucha surtout des jeunes gens !
– Voilà votre pays en état de guerre…
– Est-ce le mot qui convient ? Une guerre, en principe, est un conflit armé, entre Etats. Or Daech, quoi qu’il prétende, n’en est pas un…
– Le FLN non plus, dans les années 50. D’ailleurs le mot « guerre », à l’époque, était officiellement proscrit : votre gouvernement préférait parler de ce qu’il appelait pudiquement, ou hypocritement, la « pacification » ou « les événements d’Algérie »…
– C’était le politiquement correct du moment, qui ne changeait rien à la réalité des combats et, déjà, des attentats !
– Je ne vous le fais pas dire… De fait, c’est l’expression de « guerre d’Algérie » qui finit par s’imposer. Aucun historien, aujourd’hui, n’hésite à l’utiliser.
– Admettons donc que la France est en guerre, au moins en un certain sens, puisque les djihadistes la lui font. Mais alors, en toute rigueur, c’est en partie de « guerre civile » qu’il faudrait parler. La plupart des terroristes, lors des derniers attentats, étaient français…
– On pourrait aussi parler de guerre de religion…
– En aucun cas, puisque la France, laïcité oblige, ne se réclame d’aucune ! D’ailleurs, parmi les victimes du 13 novembre, on trouve des croyants de toutes les religions, et aussi beaucoup d’athées et d’agnostiques.
– Mais les terroristes, eux, étaient musulmans, ou se croyaient tels…
– Il suffit de le croire pour l’être.
– La plupart des musulmans, en tout cas dans nos pays, vous diront que ces atrocités n’ont rien à voir avec le véritable islam.
– Libre à eux. Les terroristes pensaient le contraire.
– Faut-il leur donner raison ?
– Au nom de quoi leur donner tort ? Qui peut juger de ce qu’est le « véritable islam », et de quel droit ? Le premier travail, dans les écoles coraniques, est d’apprendre le Coran par cœur et en arabe. J’ai du mal à croire que les talibans, qui y furent formés, n’ont rien compris à ce qu’ils ont passé des années à relire et à mémoriser !

– Les terroristes du 13 novembre n’étaient pas des talibans : ils ne sortaient pas d’une école coranique, mais de votre bonne vieille école laïque… Ont-ils seulement lu le Coran ?
– Je n’en sais rien. Mais leurs inspirateurs ou commanditaires, de par le monde, l’ont lu.
– On vous objectera que l’islam est une religion de paix et d’amour…
– C’est notre politiquement correct à nous. Mais, enfin, ce n’est pas la paix et l’amour qui ont conquis le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et l’Espagne, dans les premiers siècles après l’hégire, ni qui ont tué ces dernières années des milliers d’innocents, dans les attentats de New York, de Madrid, de Londres, aujourd’hui de Paris, sans parler de ceux, plus nombreux, qui ont endeuillé tant de pays musulmans…
– Les chrétiens n’ont pas fait mieux, et il est arrivé qu’ils fassent pire. Souvenez-vous de la Saint-Barthélemy (3 000 morts à Paris, en quelques jours, peut-être 30 000 dans tout le pays), de la conquête de l’Amérique, de l’Inquisition…
– Toutes les religions ont du sang sur les mains.
– Beaucoup d’athéismes aussi ! Souvenez-vous du nazisme, du stalinisme, du maoïsme, des Khmers rouges…
– Oui : c’est le fanatisme qui tue, avec ou sans Dieu. On s’autorise d’autant plus volontiers le pire qu’on se croit détenteur du Bien absolu !
– Vous avez raison : un salaud ordinaire, qui n’agirait que par égoïsme, ferait moins de mal. Quel intérêt aurait-il à fomenter des massacres ?
– Alors que si c’est au nom de Dieu, de la Patrie ou de la Révolution…
– Logique de l’absolu : logique de la terreur !
– Mais revenons à nos terroristes d’aujourd’hui…
– Le mot est trop vague pour me satisfaire tout à fait. On traitait aussi de « terroristes » les combattants du FLN. Cela ne suffit pas à les condamner.
– Comme les nazis appelaient « terroristes » ceux qui résistaient, les armes à la main, à l’occupation de leur pays.
– Mais ceux-ci tuaient de préférence des militaires…
– S’ils avaient pu faire exploser une bombe à Berlin, dans une gare ou un cinéma, croyez-vous qu’ils se le seraient interdit ?
– Sans doute pas. Mais eux se battaient contre la barbarie. Le terrorisme est l’arme des faibles, dit-on, et les faibles ont bien le droit de se battre, lorsqu’ils sont attaqués ou opprimés.

– Alors que les djihadistes se battent contre la démocratie, contre la laïcité, contre l’égalité hommes-femmes, contre la liberté de conscience et de culte, de croyance et d’incroyance !Ce n’est pas un hasard s’ils ont choisi de mitrailler une salle de concerts et des terrasses de cafés. Tout ce qui ressemble au libre plaisir leur fait horreur !
– « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie », disent-ils… Ce sont des nihilistes.
– Pas du tout ! Le nihiliste, c’est celui qui ne croit en rien (nihil, en latin). Il n’a aucune raison de vivre, mais aucune raison non plus de tuer. C’est Houellebecq plutôt que Ben Laden ! Le fanatique est le contraire d’un nihiliste. Il ne croit pas en rien, bien au contraire ! Il est prêt à mourir, oui, mais pour une cause qu’il croit juste ou sacrée. Et c’est vrai spécialement de ces terroristes-là, qui en espèrent le paradis !
– Comment les combattre ?
– Par les armes, lorsqu’il le faut. Mais aussi et d’abord par les idées. Ce que nous pourrions redouter de pire, c’est que nous n’ayons rien d’autre à opposer au fanatisme des uns que le nihilisme des autres.
– Auquel cas je sais bien qui va gagner ! Entre quelqu’un qui est prêt à mourir pour ses idées et quelqu’un qui ne sait pour quoi vivre, c’est le premier toujours qui l’emporte.
– Battons-nous donc sur deux fronts, contre les uns et contre les autres !
– C’est le combat pour les Lumières qui continue… Voltaire, qui était le contraire d’un nihiliste, a gagné contre les fanatiques catholiques. Pourquoi ne gagnerions-nous pas contre leurs successeurs musulmans ? Mais on va nous reprocher de tomber dans l’islamophobie…
– Le mot est piégé à force d’être équivoque. Si on entend par « islamophobie » la haine ou le mépris des musulmans, ce n’est qu’une forme de racisme, aussi haïssable qu’elles le sont toutes. Mais si le mot désigne le refus ou la peur de l’islam, c’est une position idéologique parfaitement admissible. On a le droit, dans nos pays, d’être antifasciste, anticommuniste ou antilibéral. Pourquoi n’aurait-on pas le droit d’être anti-intégriste ou anti-islamiste ?

On a le droit, dans nos pays, d’être antifasciste, anticommuniste ou antilibéral.

– Soit. Mais l’islam n’est pas l’islamisme… D’ailleurs beaucoup de musulmans, qui en sont les premières victimes, sont prêts à combattre l’islamisme radical. C’est eux qu’il faut soutenir, plutôt que les adeptes du « choc des civilisations » !
– Encore faut-il cesser de répéter, comme un mantra politiquement correct, qu’il n’y a « aucun rapport entre l’islam et l’islamisme » ! Que la plupart des musulmans ne soient pas djihadistes, c’est une évidence. Mais tous les djihadistes sont musulmans. On ne me fera pas croire que c’est par hasard ! Que penseriez-vous de celui qui vous dirait : « Il n’y a aucun rapport entre le christianisme et l’Inquisition. Cela n’a rien à voir ! » Ou de celui qui prétendrait qu’il n’y a « aucun rapport entre le marxisme et le stalinisme », que cela « n’a rien à voir » ?
– Je me dirais qu’il nie l’évidence. C’est au contraire en analysant ce rapport que la plupart des chrétiens et des marxistes ont pu se libérer de ces horreurs en comprenant ce qui, dans leur religion ou leur idéologie, les avait rendues possibles.
– C’est ce travail d’élaboration critique que les musulmans doivent faire, en France comme ailleurs. Personne ne peut le faire à leur place !
– Voltaire n’a pas attendu que les chrétiens s’y mettent pour critiquer le christianisme…
– Faisons donc comme lui ! N’ayons pas peur de critiquer tel ou tel trait de l’islam, tel ou tel passage du Coran. Non par haine des musulmans, mais pour les pousser à s’expliquer, à évoluer, à s’adapter aux exigences de la modernité, de la démocratie, de la laïcité. Le politiquement correct, qui fuit le débat, fait le jeu du populisme.
– Voilà un troisième adversaire, qui n’est pas le moins inquiétant !
– Ce ne sont pas les adversaires qui manquent. A nous de savoir nous unir, quelle que soit notre religion ou notre irréligion, pour les combattre tous !

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