N° 124 - Automne 2017

Modeste contribution au grand renouvellement

Même si les gouvernants sont souvent interchangeables, l’ambition des uns et la fatigue des autres nous poussent irrésistiblement à la refondation d’une société dont le principal tort est de ne pas s’être alignée sur le fonctionnement du loto pour varier ses gagnants.

Le nouveau politicien. Avant de se voir confier une responsabilité ministérielle, il devra jurer sur l’honneur ne rien connaître au milieu et au métier qui sont désormais les siens ainsi que s’engager à démissionner dès qu’il aura l’impression de commencer à être compétent. S’il est impécunieux, un salaire ministériel universel lui sera versé par des détenteurs de fortune personnelle.

POUR PERMETTRE À LA PAYSANNERIE DE S’ÉLEVER, ELLE SE SITUERA PRIORITAIREMENT SUR LES TOITS.

Le nouveau télétravail. Laissé au choix du salarié – et à lui seul –, il devrait libérer des millions de mètres carrés de locaux d’entreprise pouvant être, de ce fait, transformés en logements sociaux. Il sera juste que l’employeur prévoie un petit salaire de complément à l’intention de la maman qui fera un ménage supplémentaire et des enfants qu’on enfermera dans leurs chambres tandis que papa recevra des clients. Toutes les pièces pourront être affectées au télétravail. À l’exception de la chambre à coucher, trop intime et pas toujours assez aérée.

Les nouveaux fonctionnaires. Reconnaissables à l’uniforme sur les manches duquel ils arboreront des galons correspondant à gauche à leur mérite professionnel, à droite à leur nombre d’enfants, ils seront tous admis à fixer leurs horaires et leurs congés, sauf ceux qui auront le courage de déclarer publiquement qu’ils n’ont plus envie de travailler.

Les nouveaux impôts. Tous les prélèvements fiscaux seront supprimés. Sans que les contribuables en bénéficient puisque la totalité de leurs salaires étant virées à l’administration de tutelle, celle-ci allouera à chaque chef de famille un argent de poche calculé en fonction des personnes à charge et de ses vices déclarés (alcool, tabac, bandit manchot et PMU). Les factures que, dépourvu de ressources, il sera incapable de payer seront envoyées au ministère des Finances qui négociera.

La nouvelle spéculation. Grâce aux progrès de l’informatique, tout possesseur d’un ordinateur pourra ouvrir chez lui un site boursier où il proposera tout ce qui jusqu’à présent se dénichait dans les vide-greniers. À partir de 12 ans, les enfants seront in-cités à investir leur argent de poche dans des viagers proposés à leurs grands-parents.

Le nouveau commerce. Afin de moraliser toutes les professions, le monopole des boutiquiers sera abrogé. N’importe qui pourra vendre n’importe quoi, à condition que ce soit au prix coûtant. Dans les grands magasins au capital social dépassant le milliard d’euros, cette pratique se doublera d’une distribution d’actions gratuites à tous les clients capables de répondre à un interrogatoire de culture générale.

La nouvelle agriculture. Pour permettre à la paysannerie de s’élever, elle se situera prioritairement sur les toits où, paraît-il, l’air est plus vif et la pollution moins constante. Jardins ouvriers sur le toit des usines. Jardins potagers sur le toit des maisons de retraite. Jardins de curé sur le toit des presbytères. Les buralistes, auxquels l’État aura confisqué la commercialisation du cannabis, recevront en contrepartie le droit de cultiver des carottes dotées d’un dispositif lumineux intérieur sur les rayonnages désormais vidés de toute marchandise.

La nouvelle Éducation nationale. Afin de faire l’économie de trois cent mille professeurs, l’enseignement sera confié aux parents lorsqu’ils savent lire et aux enfants eux-mêmes lorsqu’ils sont plus intelligents que leurs parents. Les cours s’organiseront entre grasse matinée et sieste au domicile familial quand celui-ci n’aura pas été monopolisé par le télétravail. Les diplômes seront délivrés automatiquement en fonction de l’âge du demandeur en échange d’un timbre fiscal d’une valeur égale à la douzième partie du salaire souhaité. Les jeunes qui, à 28 ans, n’auront pas décroché un premier emploi et dont la taille dépasse 1,75 m trouveront asile pendant six mois dans les rangs de la Garde républicaine.

Les nouveaux enfants. Ils auront leur mode, leurs vedettes, leurs médias. À table, ils mèneront la conversation et ne donneront qu’avec parcimonie la parole à leurs parents. Très tôt, on leur offrira un livret A afin de leur rappeler que nous vivons en état de capitalisme honteux et que l’argent a cessé de rapporter de l’argent.

La nouvelle médecine. Exercée par d’anciens malades s’étant guéris avec des remèdes de bonne femme, elle encouragera l’autodiagnostic et l’autochirurgie pratiquée entre les repas sur la table de la salle à manger.

La nouvelle voiture. Dépourvue à la fois de chauffeur et de moteur, elle sera tirée comme une charrette par ses passagers. Après 20 000 kilomètres, elle sera offerte comme bureau principal à un autoentrepreneur.

Les nouveaux vêtements. Tissés avec de la fibre optique et alimentés par des piles à base de sueur humaine, ils serviront à la fois au chauffage, à la climatisation et à la communication. Échappant à la mode et aux modes, ils ne se démoderont plus. Seuls les sous-vêtements seront dispensés de transparence.

La nouvelle gastronomie. Inspirés par les menus proposés aux astronautes durant leur séjour dans la Station spatiale internationale, les repas seront composés uniquement de comprimés à avaler et de piqûres sous-cutanées. D’où une énorme économie que les nations pourront consacrer au changement de planète.

Les nouveaux médias. Organisés au niveau des immeubles, ils favoriseront la communication entre voisins pour des repas sympas, des promenades en famille et de petits matchs qui mériteront enfin leur qualification de « rencontres à domicile ». Les locataires assureront les articles et les photos. La publication, toujours financée par la municipalité, s’interdira de publier la moindre photo du maire afin de lutter contre la surcharge iconographique, de règle jusqu’à présent.

La nouvelle radio. Elle diffusera à partir de tous les logements des programmes familiaux où les chants d’enfants alterneront avec les informations de l’immeuble.

La nouvelle télé. Installée dans les grands appartements en plus de la radio et du télétravail, elle permettra de voir vivre ses contemporains en temps réel, du lever au coucher. Les fabricants des produits alimentaires posés sur le plan de travail de la cuisine offriront un complément de ressources aux foyers dans le besoin.

La nouvelle chanson. Un seul mot, une seule note mais scandés pendant trois minutes par des retraités du BTP ayant conservé leur marteau-piqueur.

Le nouveau cinéma. Laissé trop longtemps à la diligence des cinéastes, il sera produit, conçu, interprété, dialogué et tourné par tous les amateurs que ça amuse ou passionne. Un symposium du court-métrage familial s’insérera chaque année dans le Festival de Cannes où la violence sera remplacée par des caresses et des embrassades bénéficiant du label non pornographique.

Le nouveau théâtre. Chaque immeuble de plus de vingt locataires devra posséder sa salle, sa troupe et son répertoire. Un spectacle ne sera retiré de l’affiche que lorsqu’il aura été vu par tous les habitants du quartier.

Le nouveau roman. Afin de réduire les frais et d’encourager les jeunes talents, il se présentera sous la forme de cahiers d’écolier dans lesquels on contera sa vie quotidienne, ses amours et ses fantasmes. Un jury présidé par Marc Levy décernera un prix au scripteur qui aura réussi à tartiner 275 pages sans aucun intérêt.

La nouvelle drague. Abrogeant la législation sanctionnant le harcèlement de rue qui mettait tant d’entrain sympathique sur la voie publique, elle autorisera les esseulés en quête d’âme sœur à engager la conversation avec toutes les femmes à condition qu’elles soient jeunes et jolies. Le dragueur sera tenu d’offrir à sa future conquête un petit café au bout d’une demi-heure, une séance de cinéma le deuxième jour, un dîner le troisième et un week-end au bord de la mer. S’il produit un certificat d’impécuniosité, c’est la femme qui paiera.

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