Petits jouets robots
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L’aube des robots

Le progrès de l’intelligence artificielle fait craindre un monde du travail où les machines remplaceront l’être humain. Dans une économie mise à mal par les crises sociales et sanitaires, certains s’étonnent que cette question n’agite pas plus nos démocraties, tandis que d’autres trouveraient logique de taxer les robots. Explication.

Sur certaines chaînes automobiles, 80% de la fabrication d’une voiture est assurée par des robots.
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© iStockphoto / imaginima
Sur certaines chaînes automobiles, 80% de la fabrication d’une voiture est assurée par des robots.

Nous avons tous une image assez précise de ce qu’est un robot. Une vision qui va de Terminator, l’androïde tueur qui débarque dans le présent pour sauver le futur, au majordome supersophistiqué capable de servir un mojito et de changer la caisse du chat. La littérature et le cinéma de science-fiction nous ont ainsi imposé le cliché du robot docile et forcément humanoïde qui obéit sans se poser de questions. On oublie qu’aujourd’hui, le robot le plus vendu du monde est un aspirateur tout rond qui chasse la poussière tout seul.

Qu’est-ce qu’un robot ? Le terme qualifie n’importe quel système non humain qui accomplit n’importe quelle tâche. Les algorithmes des traders haute fréquence et les bots sur Twitter sont des robots au même titre que le rover qui a cartographié la planète Mars. Ils se trouvent aussi dans les jouets, les smartphones et le bitume des autoroutes… Certains s’inquiètent de leur prééminence, d’autant plus lorsque le progrès cherche à les mettre sur le marché du travail.

Nababs paniqués

La chose n’est pas nouvelle, elle existe depuis la Révolution industrielle et que des machines ont commencé à remplacer les ouvriers. « On peut même remonter bien avant dans le temps, explique Nicolas Nova, socioanthropologue, cofondateur du Near Future Laboratory et enseignant à la Haute École d’art et de design de Genève. L’humain a toujours cherché à se faire remplacer pour accomplir des tâches pénibles, dangereuses ou qui réclamaient des efforts physiques. Pour labourer son champ, il a d’abord utilisé des animaux avant de passer au tracteur. Il s’agissait de se faciliter la vie, ce qui était légitime. Le système capitaliste y a vu aussi un moyen de produire plus et plus vite en économisant sur les salaires. Ce qui a changé, c’est qu’avec l’avènement des ordinateurs, nous ne déléguons plus seulement notre force musculaire à des machines, mais aussi notre intellect. » En ce moment, la recherche en intelligence artificielle se concentre ainsi sur ces systèmes autonomes qui abolissent les conducteurs. À Fairfax, aux États-Unis, la start-up Starship teste des robots-livreurs qui se déplacent grâce à la géolocalisation. Lents et pas toujours fiables, ils peuvent compter sur la rapidité des progrès technologiques pour très vite s’améliorer. L’avenir ? Des camions sans chauffeurs qui feront la route sans jamais s’arrêter.

Pourtant devenu milliardaire grâce aux technologies numériques, Elon Musk assiste avec effroi à l’émergence d’une société dominée par les machines.
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Pourtant devenu milliardaire grâce aux technologies numériques, Elon Musk assiste avec effroi à l’émergence d’une société dominée par les machines.

Dans une économie mise à mal par les crises sociales et sanitaires, la capacité du robot à prendre toujours plus la place de l’honnête travailleur fait peur. Néanmoins, va-t-il vraiment le remplacer ? « Restons humbles sur cette question, disons que c’est une possibilité, estime Xavier Oberson, professeur de droit fiscal et avocat fiscaliste genevois que notre rapport existentiel aux robots passionne. Plus l’intelligence artificielle progresse, moins nous aurons besoin de l’humain. Il y a deux ans, j’ai visité les chaînes de montage de Toyota au Japon. Là-bas, une voiture est fabriquée à 80 % par des robots. Ce qui n’est pas un mal. En outre, ce sont des robots qui vont vérifier le degré de radioactivité dans les eaux de Fukushima. Je doute que l’on trouve beaucoup de volontaires pour accomplir cette tâche. »

Destruction créative

Très bien, que faire alors de tous ceux que les machines vont laisser sur le carreau ? La question angoisse, elle empêche même les nababs de la tech de dormir. « Bill Gates ou encore Elon Musk observent cette avancée de l’automatisation avec un certain effroi. Ils mettent en garde sur ses conséquences humaines et sociales, reprend Nicolas Nova. L’enjeu de notre société actuelle est de réinventer une idée du progrès qui ne provoquerait pas de nouveaux déséquilibres. Il est étonnant de constater que ces initiatives qui peuvent transformer nos sociétés sont le fait d’un tout petit nombre de personnes et qu’elles ne sont jamais liées à une discussion démocratique. En Suisse, on peut voter pour l’achat d’un avion de combat, mais pas pour décider si oui ou non les gens acceptent ces technologies. En ce moment, le débat sur la 5G est assez virulent alors que l’introduction de la 3G et de la 4G n’avait suscité aucune critique. Oui, le système participatif et la démocratie prennent du temps et certains ont beaucoup à perdre si les choses vont trop lentement. »

Il existe pourtant une théorie censée lever toutes les inquiétudes. Pour l’auteur de cette dernière, Joseph Schumpeter, il s’agit de dire que si l’innovation détruit les emplois qu’elle rend obsolètes, elle contribue néanmoins à en inventer de nouveaux. Dans son livre Capitalisme, Socialisme et Démocratie publié en 1942, l’économiste américain développe le concept aujourd’hui très discuté de « destruction créative ».  Schumpeter part du principe que la croissance est un processus de création permanente dans lequel tous les acteurs peuvent se recycler. « Je ne pense pas qu’il y aura suffisamment de nouvelles places de travail pour remplacer toutes celles que les robots vont faire disparaître, rétorque Xavier Oberson, et tout le monde ne peut pas s’adapter. Vous ne pourrez pas devenir consultant en robotique du jour au lendemain. » Nicolas Nova abonde, en avançant tout de même un optimisme prudent. « Avec de l’apprentissage et de l’accompagnement professionnel tout au long de notre vie, peut-être que cela pourrait fonctionner. » Xavier Oberson en profite pour rebondir. « Ma taxe sur les robots prévoit justement d’être aussi utilisée pour la réinsertion professionnelle et le recyclage des formations. »

EN SUISSE, ON PEUT VOTER POUR L’ACHAT D’UN AVION DE COMBAT, MAIS PAS POUR DÉCIDER SI OUI OU NON LES GENS ACCEPTENT LES CHANGEMENTS TECHNOLOGIQUES.

Nicolas Nova, socioanthropologue

Taxer les robots ? C’est l’idée qu’il expose depuis trois ans dans des conférences et dont il a tiré un livre : Taxer les robots. Aider l’économie à s’adapter à l’usage de l’intelligence artificielle (Larcier). « L’innovation, l’intelligence artificielle, les robots… on ne pourra pas s’opposer à ces développements qui sont par ailleurs très positifs. Le problème est qu’une machine qui ne tombe jamais malade et travaille jour et nuit ne touche pas de salaire. Elle ne cotise donc pas à la sécurité sociale qui finance les retraites, l’éducation, le système de santé ou encore le chômage. Laquelle verra donc ses moyens drastiquement diminués sans que les États puissent compenser ces pertes. »

Le robot est une personne

Pour renflouer les caisses, il suffira donc que les entreprises paient un impôt sur leurs robots. Il serait évalué à partir d’un salaire théorique, fondé sur l’activité humaine nécessaire pour effectuer la même tâche. En Suisse, Xavier Oberson envisagerait de mettre également à contribution la TVA, en ce sens que les robots offrent des services tels que les livraisons. Et là, pas besoin de fiche d’impôts car ne serait taxée que la transaction électronique. « J ’ai été soutenu dans mes idées, mais aussi parfois très violemment attaqué. On a dit que j’étais contre l’innovation, que je voulais ajouter une taxe dans un système qui en compte déjà énormément, qu’en imposant ainsi le capital productif, je freinais l’investissement et la croissance. Dans ce dernier cas, les solutions sont très techniques, mais elles existent », soutient l’avocat fiscaliste qui voit encore plus loin. « On pourrait aller jusqu’à imaginer la création d’une nouvelle personnalité juridique. »

Pepper, le robot d’accueil japonais est capable de reconnaître les émotions de son interlocuteur.
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© Alex Knight
Pepper, le robot d’accueil japonais est capable de reconnaître les émotions de son interlocuteur.

Accorder au robot son identité propre. En 2016, le Parlement européen y avait déjà sérieusement réfléchi à travers un projet de motion qui aurait donné à la machine un statut, des droits et des devoirs bien précis. « À l’époque, l’aspect fiscal n’avait pas été étudié. De fait, cela ferait du robot un contribuable ‹ normal › pour autant qu’il soit rémunéré pour son travail, par exemple en cryptomonnaie. » Un robot salarié qui remplirait sa déclaration de revenus ? Présenté comme ça, le projet paraît hautement extravagant. Xavier Oberson l’admet, mais il a ses arguments. « Prenez le concept de société. Il y a un peu plus de cent ans, des cours suprêmes aux États-Unis et en Angleterre ont décidé qu’une société était un nouveau sujet de droit qui lui donne une existence juridique. Une société peut conclure des contrats, être attaquée en justice et déposer des demandes de brevets. Le fisc a trouvé l’idée très intéressante. Il s’est dit, tiens, voilà une nouvelle ‹ personne › qu’on va pouvoir taxer. Aujourd’hui, qui conteste le fait que les multinationales et les PME doivent payer des impôts ? Pour le robot, ce serait exactement la même chose. » Bienvenue dans une société où l’humain et le cyborg feront copain-copain !

Évacuer l’émotion

« Personne ne sortira indemne de ces bouleversements, prédit Nicolas Nova. Tout le monde sera touché, aussi bien le personnel des supermarchés que les banquiers. » Même Xavier Oberson ? « Même moi, sans doute un jour, de l’interprétation, de la pesée des intérêts notamment dans les droits public et administratif. L’humain est donc encore nécessaire. Dans le futur, des robots parviendront peut-être à mettre tous les intérêts en présence et à les évaluer de manière plus sophistiquée. Alors je reprendrai ma guitare et j’irai jouer sur les routes. »

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