N° 139 - Automne

Quatre pistes face au réchauffement

De tout temps, l'architecture a été pensée en fonction du climat où elle s'installe. Des projets climatocompatibles d'aujourd'hui au Palazzo Ducale d'Urbino connstruit il y a plus 500 ans. Petite histoire comparée du bâti climatique.

La quête de l’affranchissement des styles du passé fondé sur les nouvelles conditions des temps que nous vivons est un mode récurrent du renouveau stylistique en architecture.

C’est ce qui animait, il y a cinquante ans déjà, les réflexions de Joseph Rykwert dans son livre La maison d’Adam au paradis. Alors que l’historien et théoricien remettait en perspective les considérations autour du mythe de la hutte originelle, apparaissait tout un volet, en filigrane dans son texte, consacré aux fondamentaux ambigus de l’architecture, soit la volonté de se protéger de l’environnement et en même temps de faire avec. Cette question est aujourd’hui primordiale.

La maison d’Adam au paradis illustre un de ces moments étincelants de la pensée sur le bâti. En reconnaissant que chaque style, chaque forme architecturale contient en elle-même une représentation, une vision construite du mythe autour de son origine. Avec cet essai, Joseph Rykwert exprime ce moment ténu dans l’histoire de l’architecture où les choix dominants n’ont pas encore été faits, où les options restent ouvertes. Elles sont parfois vraiment nouvelles, ou alors elles existent depuis longtemps et se maintiennent à travers les âges. Parfois, celles qui apparaissent comme les plus innovantes font des concessions étranges à leurs principes en empruntant des techniques désuètes. Tandis que certaines, qui font ressurgir le passé, réclament des innovations importantes que leurs auteurs s’efforcent de rendre invisibles. Analysons, à travers ce prisme, quatre propositions actuelles pour faire face aux enjeux climatiques et les comparer à d’autres, enfouies dans l’histoire, qui offrent des résonnances et pourraient nous éclairer.

Commençons par les progressistes, que l’on peut diviser en deux catégories. Tous sont créatifs, mais différemment. Les premiers semblent connaître les formes que doivent prendre les choses pour répondre aux nouveaux défis. On pourrait les appeler formalistes ou symbolistes, alors que les seconds, les éclaireurs, maîtrisent les outils et les concepts à mettre en œuvre et sont prêts à découvrir de nouvelles esthétiques qui émergeront de leur utilisation.

TRAVAILLER AVEC L’EXISTANT

Les formalistes portent l’idée nouvelle que l’économie de moyens et d’énergie doit nous amener à transformer la situation existante uniquement avec le site. Notre nouvel Adam n’utiliserait donc que les matériaux qu’il trouverait autour de lui.

Un projet de l’architecte japonais Junya Ishigami illustre parfaitement cette attitude. Pour son jardin poétique à Tochigi au Japon, il propose de travailler le site uniquement avec ce qu’il contient. Les pierres qui forment les pas japonais et organisent les parcours étant déjà là, c’est leur disposition qui change. Le projet se limite au réagencement des arbres, des terre-pleins, des zones humides et des espaces en eau pour en faire un parc harmonieux, véritable réussite.

Mais, pour réaliser ce dernier, il a fallu transplanter les arbres à grands frais, voire en remplacer par d’autres certains qui n’ont pas survécu. Les fonds naturels argileux qui formaient les zones inondées ont été remplacés par des toiles étanches permettant de contenir l’eau et de redistribuer les bassins entre les îles qui, elles, ont été partiellement bétonnées pour consolider leurs emplacements…

La critique est facile, certes. Elle rappelle celle que faisaient les anciens qui regardaient d’un air dubitatif les murs en façade peints en noir sur la hauteur des ouvertures à l’époque moderne. Il s’agissait alors de faire croire que la forme héroïque du béton permettait cette prouesse de la fenêtre en bandeau, libre de tout appui intermédiaire. Pourtant, nous savons aujourd’hui que le béton a permis de percer des fenêtres qui offrent le paysage en format 16/9, comme au cinéma. Peut-être que le jardin poétique d’Ishigami est une étape nécessaire, certes artificielle, pour atteindre notre but de créer un environnement proche équilibré, sobre et peu dispendieux.

Les éclaireurs, eux, pensent que l’invention est devenue indispensable, que les formes du passé sont désuètes et doivent être abandonnées au profit de celles que nous ne connaissons pas encore, fondées sur des principes et des concepts nouveaux en adéquation parfaite avec notre avenir surchauffé.

Le jardin poétique de l’architecte Junya Ishigami.
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(Junya Ishigami + associates)
À Tochigi, au Japon, le jardin poétique de l’architecte japonais Junya Ishigami au fil des saisons.
Le jardin poétique de l’architecte Junya Ishigami.
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(Junya Ishigami + associates)
À Tochigi, au Japon, le jardin poétique de l’architecte japonais Junya Ishigami au fil des saisons.

BÂTIR AVEC LA NATURE

Notre nouvel Adam construirait sa maison par rapport au vent dominant, choisirait les matériaux et les couleurs pour leur adaptation au climat changeant, peu importe la forme qui en résulterait pour autant qu’elle produise un objet confortable, fabriquant sa propre atmosphère tout en assurant une sobriété d’énergie dans l’usage. En cela, pas besoin de système compliqué pour réchauffer où refroidir, le design s’en chargera. Un projet de Philippe Rahm Architectes, Mosbach paysagistes, Ricky Liu & Associates montre parfaitement cette approche. Leur Jade Eco Park de 70 hectares à Taïwan est un parc modelé par la météorologie qu’il va induire. Là, les éléments de composition ne sont pas les parcours, les plantations ou les constructions. Ces dernières sont disposées de telle manière que différents modes climatiques peuvent se mettre en place et assurer le confort en été comme en hiver.

La critique est facile. Elle ressemble à celle que l’on formulait face à des dispositifs dont l’usage et l’entretien nécessitaient des notices à n’en plus finir et des apprentissages longs pour les personnes qui en avaient la charge. Ce qui n’est pas sans rappeler les premiers bâtiments Minergie®, voire à énergie passive. Leurs contraintes pratiques ont fait que les usagers n’ont pas pu maintenir ces dispositifs complexes, où les stores se relèvent automatiquement parce que le vent se lève alors que dardent encore les rayons du soleil, transformant les intérieurs en étuve. En effet, la pratique des bâtiments et des espaces relève aussi d’une culture du « bien habiter » qui se transforme lentement et qu’il n’est pas possible de décréter. Même si nous savons ces recherches indispensables pour nous faire réfléchir, mettre en crise nos certitudes et interroger nos pratiques pour répondre aux enjeux de demain.

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(CJBG © Laura Keller pour Christian Dupraz Architecture Office)
Construits par Jean-Marc Lamunière entre 1967 et 1974, l’institut et la bibliothèque des Conservatoire et Jardin Botaniques de Genève ont été mis aux normes thermiques par Christian Dupraz Architecture Office en 2016.

REMISE À JOUR

Dans son anthologie L’urbanisme, utopies et réalités, l’historienne Françoise Choay opposait aux progressistes les culturalistes nécessairement éclectiques. Vu la diversité des productions du passé, ils s’obligent à l’invention pour préserver ces bâtiments qui ne correspondent plus aux exigences de notre temps. La question se posera peut-être un jour pour le centre Pompidou à Paris inauguré il y a quarante-cinq ans. Plus proche de nous, l’institut et la bibliothèque des Conservatoire et Jardin Botaniques (CJBG), construits entre 1967 et 1974 par Jean-Marc Lamunière et rénovés par Christian Dupraz Architecture Office en 2016, ont déjà fait l’objet de cette remise à jour. Comment adapter ces édifices dont les normes énergétiques datent d’une autre époque ? On peut les emballer, au risque de leur faire perdre leur identité et leur valeur patrimoniale. On peut aussi, et c’est l’option adoptée au CJBG, interroger le bâtiment, sa structure, mais aussi ses effets et tenter avec des moyens techniques de pointe de le mettre en conformité. C’est le cas ici, où des vitrages de 7 mm, une véritable passoire thermique, ont été remplacés par du verre multicouche de 7 cm, plus isolant que de la laine de verre et qui, malgré son épaisseur, ne nuit pas à l’aspect général de l’édifice. Encore une critique facile : la construction ne correspond plus aux évidences formelles qui l’ont constituée, crime de lèse vérité constructive. Le verre choisi pour sa légèreté alors porté par le métal devient l’élément le plus lourd du bâtiment et participe à la tenue de l’ensemble. Un peu comme Boileau dans ses églises parisiennes et toute l’architecture de Chicago du XIXe siècle où la pierre, à l’inverse, censée être lourde, camouflait les grandes poutres de métal permettant ainsi de réaliser les linteaux nécessaires au passage des fidèles et aux immeubles nord-américains de prendre de la hauteur. Étrangement, c’est cette même attitude qui fait qu’une passoire du XXe siècle au Jardin botanique de Genève devient climatocompatible et que toute une culture architecturale du XIXe se projette dans le XXIe, par sa masse, sans passer par la case énergivore du siècle précédent.

La cour intérieure du Palazzo Ducale d’Urbino.
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(Raffaele Pagani)
La cour intérieure du Palazzo Ducale d’Urbino. Dans ce palais du XVe siècle, un système de ventilation permet encore aujourd’hui d’affronter les chaleurs de la région des Marches.

Les derniers de ces nouveaux Adam sont, eux aussi, culturalistes, paradoxalement plus discrets dans les livres savants et plus présents sur le territoire avant que ne frappe la révolution industrielle. Les formes qu’ils ont produites nous permettent encore aujourd’hui de savoir où l’on est, du moins quand les services des monuments et sites ne les figent pas dans un passé insignifiant. Ce sont ces architectes anonymes qui ont construit avec le bon sens hérité de l’expérience et de la tradition. De la même manière que le potier règle la température de son four selon l’humidité de la journée et mélange ses engobes en tenant compte de la saison et de la qualité des produits qu’il utilise. Qui se souvient du mur de huit heures (à ne pas confondre avec la cuisson du gigot) ? C’est un mur de ferme qui n’est pas qualifié par la maçonnerie employée ou par son épaisseur, mais par sa capacité à emmagasiner la chaleur des fourneaux un jour d’hiver pour la restituer la nuit. Tout comme il est aussi capable de maintenir un intérieur frais pendant les grandes chaleurs. On parle aussi d’une époque où les habitants connaissaient ces propriétés, fermaient les volets le jour pour bannir la touffeur, tiraient les rideaux en hiver pour profiter du moindre rayon et empêcher la chaleur de s’échapper par les fenêtres. Et toujours la critique facile qui voit là des esprits figés, cloîtrés dans leurs traditions empêchant l’ouverture au monde et aux apports bénéfiques de la science et du progrès.

Peut-être n’est-il pas trop tard, comme pour le climat, pour avancer avec l’histoire non écrite de la banalité, pour pouvoir de nouveau construire sur la base de formes traditionnelles, mais évoluant en permanence grâce à l’apport des nouvelles technologies, l’industrie et la science sans pour autant sacrifier aux savoir-faire ancestraux. Au XVe siècle, la température intérieure du Palazzo Ducale d’Urbino pouvait atteindre 5 degrés de moins qu’à l’extérieur grâce aux puits, dits aujourd’hui « canadiens », qui permettent par induction et grâce à la circulation de l’air de créer de la fraîcheur. Le système fonctionne encore très bien aujourd’hui.

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