N° 145 - Automne 2024

Pas de pouvoir sans regret d’impuissance

Alors que dans tous les grands pays civilisés le pouvoir politique s’érode, on assiste à une prolifération de petits pouvoirs plus simples et moins prétentieux.

– Comme le pouvoir législatif qui vient en tête de tous les pouvoirs, car il échoua à l’ensemble des citoyens y compris aux impuissants. Chaque année, ou presque, on croit utile et salutaire de le modifier comme si ce qu’on envisage de faire demain était toujours supérieur à ce qu’on faisait la veille.

– Ou encore le pouvoir sexuel, qui tend (dans le meilleur des cas) à la prolifération des plaisirs plus qu’à la multiplication de l’espèce.

– Le pouvoir de penser (qui n’est pas accordé à tout le monde) est généralement conféré aux praticiens des professions de santé qui font leur beurre avec les greffes du coeur et les innombrables tripatouillages anatomiques. Encore faut-il distinguer entre les fabricants de médicaments, les disciples d’Hippocrate qui les prescrivent et les malades qui les ingurgitent. Rien ne peut plus faire rêver que la prolongation de la vie d’autrui, dès lors qu’on s’est assuré sa longévité personnelle. Il est détenu à tous les étages de la société égrotante par des professionnels qui ont fait des études ou par des amateurs qui détiennent surtout le pouvoir de varier les soucis.

– Le pouvoir de se divertir est confié aux grands esprits et aux petits amuseurs. Il prospère principalement à travers les livres, les journaux et les spectacles. À condition que les demandeurs disposent d’abord et surtout du nerf de la guerre à l’ennui qu’on appelle le pouvoir d’achat.

– Le pouvoir de se transcender en pratiquant du sport. Le pouvoir de remuer une partie de son corps plus vite et plus loin que ses voisins de palier. Le pouvoir de se croire sportif sans bouger de chez soi en encourageant les champions.

– Le pouvoir de rester chez soi grâce à la retraite et aux multiples indemnités inventées par les dirigeants à l’usage des paresseux.– Le pouvoir étayé de nombreuses propositions, plus ou moins suivies d’effet, tourne autour de l’oubli des problèmes plus intellectuels. Avec, hélas ! le renfort croissant des infortunés « Alzheimer ».

– Le pouvoir d’aimer son prochain, ou sa prochaine, est détenu selon les âges, les tempéraments et les professions par les prêtres, les prostituées et les capitalistes lorsque ces derniers n’ont pas pour seul objectif d’accumuler les milliards.

– Le pouvoir de maquillage sans qui les vieillards, les comptables et les artistes ne tromperaient plus personne.

– Le pouvoir de s’habiller afin de gommer les imperfections corporelles, les atteintes de l’âge et de la pauvreté.

– Le pouvoir de conduire un véhicule fait d’abord vivre les citoyens qui oeuvrent dans les usines avant ceux qui travaillent dans les hôpitaux.

– Le pouvoir de salarier un chauffeur ou d’affréter des taxis permet à la fois de croire qu’on a de la fortune et d’ajouter aux victimes du volant.

– Le pouvoir de simulation qui permet de faire croire qu’on a de l’argent sans être riche pour autant.

– Le pouvoir d’acheter ce qui n’était pas à vendre ou ce qui est très supérieur aux moyens financiers dont on dispose.

– Le pouvoir de dormir quand on est fatigué, mais également le pouvoir de faire la sieste quand on n’a rien à faire.

– Le pouvoir de cuisiner, ou d’avoir un cuisinier, ou d’aller au restaurant, ou d’ériger la diète en philosophie.

– Le pouvoir de l’ouvrir quand tout le monde la ferme. Le pouvoir de la fermer quand tout le monde l’ouvre.

– Le pouvoir de faire croire qu’on est intelligent alors qu’on est bête et le pouvoir de jouer les imbéciles alors qu’on est très futé.

– Le pouvoir de cacher à ses contemporains à la fois d’où l’on vient et où l’on souhaite aller.

Concernant le pouvoir familial, il faut compter avec l’âge auquel on est parvenu, l’aisance de l’autorité, la position sociale, les domiciles principaux ou secondaires, ainsi que les relations avec les gouvernants et la presse.

– Plus tard, lorsqu’on est passé devant le maire, le curé et un desservant ayant fait voeu de célibat, le pouvoir conjugal n’est plus l’apanage masculin et le mari doit de plus en plus compter avec l’âge, le caractère, la culture et le compte en banque du conjoint.

– Le pouvoir de continuer de prendre des vacances alors qu’on a cessé de travailler depuis un tiers de siècle.

– Le pouvoir d’attendre en mangeant sur toute la durée que les appareils dentaires ne coûtent plus rien ou pas grand-chose.

– Le pouvoir de se présenter au Festival de Cannes alors qu’il ne s’agit pas d’assises cinématographiques, mais d’une collection d’affiches ou de prospectus publicitaires.

– Le pouvoir d’effacer ou de réduire les stigmates de l’âge sans augmenter déraisonnablement le coût des prothèses.

HÉLAS, LE POUVOIR QUE JE CONNAIS TROP BIEN : CELUI DE VIEILLIR ALORS QU’ON A PERDU LA VUE ET QU’ON N’ENTEND PRESQUE PLUS RIEN.

– Le pouvoir de nommer un Premier ministre des plus restreints, car il faut à la fois trouver des compétences, mais aussi calmer les incompétences qui sont non seulement plus nombreuses, mais aussi plus exigeantes. Et si l’on mentionne que je n’ai pas le pouvoir de prendre le relais ou même de conseiller ceux qui se servent si mal du pouvoir, il est dans le pouvoir de ceux qui ne m’aiment pas de me considérer comme un impuissant.

– Hélas celui que je connais trop bien : le pouvoir de vieillir alors qu’on a perdu la vue et qu’on n’entend presque plus rien.

– Le pouvoir d’envisager déjà la thématique prochaine avec l’agrément du rédacteur en chef de L’Information Immobilière.

– Le pouvoir de faire semblant d’avoir compris tout ce qui précède.

Footnotes

Rubriques
Chroniques

Continuer votre lecture