N° 148 - Automne 2025

Philip K. Dick: le robot déprimant

Chez Philip K. Dick, le robot est plus qu’une simple machine. Il est, comme tout ce qui habite l’univers trouble et complexe de l’auteur américain, une énigme, une fissure dans le réel.

Dans son roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? publié en 1966, les frontières entre l’humain et son double deviennent si floues que même les chasseurs de robots peinent à discerner ce qu’ils traquent. La machine n’est pas ici un esclave mécanique, mais un miroir glacé de l’homme désaffecté, un reflet de notre propre incapacité à éprouver des sentiments. Là où Asimov rassure par ses lois de la robotique, Dick inquiète par le doute. Son robot n’obéit à aucune règle fixe : il trompe, ressent, aspire ou feint de le faire. Il dérange parce qu’il remet en cause l’authenticité de notre propre humanité. L’homme est-il plus humain que la machine, ou n’est-il qu’un automate programmé par ses instincts, sa culture et ses illusions ? Pour le romancier, la différence entre l’organique et l’artificiel devient une question morale, existentielle, presque mystique.

Dans cet univers fracturé, la techno- logie n’est jamais neutre. Elle révèle, déforme, interroge. Il n’est pas tant question ici de science-fiction que de perception : voir, n’est-ce pas déjà se tromper ? Pour Philip K. Dick, l’appa- rence n’est que chimère, tout comme peut-être, aussi, la conscience. Ainsi, le robot ne promet pas d’avenir meilleur, mais, au contraire, de vivre un cauchemar éveillé : celui de ne plus savoir qui l’on est, ni pourquoi l’on vit. Ce n’est pas la machine qui effraie, mais ce qu’elle révèle de notre propre néant. Et dans les yeux froids des androïdes, c’est peut-être notre humanité qui vacille comme un souvenir en train de s’effacer.

Footnotes

Rubriques
Dossiers

Continuer votre lecture