N° 137 - Printemps 2022

La parité, idée ringarde

Pourquoi certaines femmes et certains hommes perdent-ils encore leur temps à défendre aujourd’hui une cause (dé)passée, qui, de surcroit, n’a jamais été en faveur des femmes ? Je parle de la parité.

À croire qu’il s’agit toujours, pour certains, et surtout pour certaines, de monter à l’assaut, de faire croire que les combats d’aujourd’hui sont équivalents en difficulté et en courage à ceux d’antan. Si certaines injustices salariales doivent encore être combattues, la cause paritaire est bel et bien démodée. En 2022, en France, la question de savoir si les femmes sont éligibles dans les différentes assemblées, entreprises ou à certaines fonctions est désormais incongrue, en droit comme en fait. Les femmes dirigent des journaux, sont ministres, directrices générales, médecins, astronautes. Les postes les plus prestigieux sont accessibles, sinon occupés, par des femmes. Cette liberté d’exercer acquise depuis des années, nous la devons aux féministes universalistes du siècle passé qui ont conquis les droits républicains et fait des femmes des sujets à part entière de la représentation économique et nationale.

Plus de cinquante ans après, certaines néoféministes parfois venimeuses, souvent animées d’une frénésie persécutrice et d’une récrimination rigoureuse, rigidement recroquevillées sur les nouvelles convenances linguistiques et comportementales, affamées de quotas stricts, ne salivent qu’à l’idée d’une égalité statistique parfaite, traquent les moindres disparités, terrorisent les hommes par leur exigence infinie de repentance. Certaines « en tant que femmes » vont jusqu’à invoquer le principe « différentialiste », le même ayant servi aux hommes pendant des siècles à justifier dans tous les domaines l’infériorité féminine ! Ce à quoi les propagandistes du bienfait paritaire rétorquent avec véhémence : « Les femmes sont encore sous-représentées dans certains secteurs ou à certains niveaux. »

Si les femmes sont moins nombreuses à certains postes, cela ne veut pas du tout dire qu’elles sont sous-représentées pour autant ! La confusion se joue entre représentation et représentativité. La représentation est un principe républicain qui dépasse les signes identitaires. Un homme, un avocat par exemple, peut représenter une femme, une femme un homme. La représentativité est le rapport numérique et identique entre les sexes, selon lequel il faudrait des femmes pour représenter des femmes. L’identité se substitue insidieusement à l’égalité dans le concept de représentativité.

LUTTE DE POUVOIR

Les thuriféraires de la parité ne s’arrêtent pas à l’argument de la représentation, mais visent bien une égale représentativité, un partage strictement égalitaire du pouvoir entre les sexes. C’est avouer à leur insu que le combat est plus une lutte de pouvoir, d’occupation, de présence représentative que de liberté d’être représentée. Par ailleurs, en quoi les femmes seraient-elles mieux représentées par des femmes ? Entre un avocat masculin performant ou une femme avocate moins performante, je choisis l’homme ! L’affirmation selon laquelle à niveau égal, seules des femmes seraient capables de mieux représenter les femmes reste contestable. C’est faire des femmes un groupe homogène, susceptible de porter une revendication catégorielle en fonction d’une nature supposée.

C’est le rêve d’une sororité harmonieuse que la réalité ne cesse pourtant de démentir. Il suffit de voir les disparités entre femmes sur divers sujets, ne serait-ce que sur celui de la parité, pour se défaire de toute illusion d’uniformité féminine. En outre, la notion de sororité fait inévitable-ment glisser les esprits vers les clichés essentialistes les plus éculés : plus douces, plus compréhensives, seules capables de comprendre leur exclusion, etc. Défendre la sororité revient à défendre une spécificité féminine, une essence féminine. Les raisonnements essentialistes de ce genre sont évidemment à bannir pour le simplisme et la réduction qu’ils font d’un être humain à ses caractéristiques biologiques. Enfin, si les femmes sont moins représentantes, cela peut être lié à de multiples facteurs. L’argument du plafond de verre remet sur la misogynie de la classe politique ou économique cette disparité. Il est certes plus facile d’accuser l’autre sexe que de questionner le sien, c’est un procédé éprouvé. Mais travailler à plein temps et élever des triplés tout en restant pimpante n’est pas à la portée de la première venue. La difficulté à cumuler vie de famille et vie professionnelle est l’une des explications majeures de cette disparité statistique. Aussi, le vrai problème pour les femmes n’est pas tant celui des quotas que celui des conditions leur permettant d’exercer pleinement de hautes responsabilités sans être débordées par leurs tâches domestiques. Comment agir politiquement, socialement, économiquement, sur la répartition des tâches familiales et ménagères me semble un enjeu bien plus fondamental pour la liberté des femmes que de savoir s’il faut deux ou huit femmes au sein d’un conseil d’administration pour obéir à l’injonction inclusive.

RAISONNER EN TERMES DE PARITÉ REVIENT TOUJOURS À ESSENTIALISER LES FEMMES, ET À LES RÉDUIRE À LEUR CONDITION BIOLOGIQUE.

PONCIFS RANCES

Autre rengaine radotée par les marionnettes ventriloques de la cause paritaire : « Oui, mais la parité est une pro-messe de richesse », « les différences entre hommes et femmes restent incommensurables, et nécessaires pour le bon travail d’équipe ». Les panégyristes paritaires les plus friands répètent avec fierté et lyrisme ces remarques aussi niaises que convenues. Le vice de forme de cette pastorale réside dans le fait d’insister sur les différences biologiques, et d’aller ainsi à l’encontre de toute l’éman-cipation féministe qui a toujours voulu penser la femme comme pouvant s’arracher à ces prérogatives naturelles quand il s’agit de travail, de réflexion, de responsabilité et de décision.

« La parité est nécessaire de manière transitoire. Il faut bien des quotas pour permettre l’accès des femmes à de hautes responsabilités, sinon elles ne passeront jamais ce fichu plafond de verre » est l’un des poncifs les plus rances de la diatribe paritaire. Là aussi, cet argument reste nivelant pour la femme, pensée comme incapable de réussir par elle-même. Certaines femmes se sentent en effet amoindries par la parité qui nivelle leur mérite ou leur talent au simple fait d’être une femme, et donc à sa différence biologique pour laquelle elle n’a aucun mérite. Que pèsera la victoire de quelques-unes face au soupçon qu’elles ont vaincu non par leur mérite, leur travail ou leur talent propre, mais par discrimination positive ? Enfin, si l’argumentation rationnelle ne suffit pas à anéantir les accents totalitaires de l’argumentaire paritaire, l’histoire des idées est en train d’en avoir définitivement raison. Raisonner en termes de parité revient toujours à essentialiser les femmes, et à les réduire à leur condition biologique. Or, depuis toujours en pratique, et depuis l’apparition du genre en théorie, les vieilles catégories sexuées se trouvent, à tort ou à raison, dépassées par l’indifférenciation sexuée et la fluidité des identités. Si les paritaristes affrontaient les réelles difficultés, ils verraient bien que le débat n’est plus entre paritaristes et universalistes, entre quotas ou mérite, mais entre partisans de la catégorisation sexuée et partisans de l’anéantissement des sexes et du mélange des genres. Les deux sexes anatomiques n’étant plus que de vieilles lunes inventées par le patriarcat et en cours de liquidation totale par notre époque, les paritaristes risquent de se voir bientôt ringardisés. Ironie de l’histoire qui fait des paritaristes se voulant progressistes des arriérés identitaires. Notre époque semble en effet mettre un terme définitif aux affres des deux sexes, en déplaçant insidieusement le conflit social du féminin et du masculin vers l’intimité de l’âme humaine. La manière de répartir au sein du même « moi » la part masculine et féminine semble une question plus brûlante et actuelle que celle de la répartition sexuée d’un comité exécutif. Les fixettes paritaristes sont aujourd’hui ringardisées par le vagabondage identitaire.

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